Gilles Coronado – La Main

Gilles Coronado : Guitare, Compositions

Olivier Laisney : Trompette

Christophe Lavergne : Batterie

Invités :

Élodie Pasquier : Clarinette

Sarah Murcia : SH-101

Un plaisir de retrouver ce talentueux guitariste, œuvrant discrètement depuis plus de 30 ans dans des domaines aussi différents que l’expérimentation en groupe (avec Guillaume Orti), la danse contemporaine, la chanson française (Katherine), entre autres projets personnels, il a aussi participé dernièrement à une virée de ‘The Bridge’.

Il s’est entouré d’anciennes connaissances : un trompette issu de la culture ‘Hard Bop’ à laquelle il emprunte un joli son clair, un touché précis, et un phrasé audacieux. Une maîtrise des métriques héritée de Magic Malik. Participations fréquentes dans l’écurie de Onze Heure Onze… Un interlocuteur ad hoc pour le guitariste exigeant.

Un batteur multi-genre, rompu à une grande diversité de genre, même s’il ne peut renier son ancrage dans la tradition jazz afro-américain. Demandé par une bonne partie de la scène ‘jazz contemporain’ européenne pour ses qualités d’écoute et d’intégration, ainsi que sa pertinence d’accompagnement/improvisation. C’est un instrument à part entière qu’il s’inclut dans ce trio atypique sans contrebasse.

Du coup, Sarah Marcia délaisse son imposant instrument de prédilection pour voyager léger avec un clavier ‘Rolland’ qui reproduit néanmoins le style qui lui est propre, apprécié de chanteurs (Charlélie Couture, Jacques Higelin…), d’improvisateurs (Steve Coleman). On note aussi une longue et fructueuse coloration avec M. Malik, et son travail régulier avec Christophe Lavergne.

Quant à Élodie Pasquier, électron libre attiré par tout ce qui se fait d’innovant, avec aussi Gilles ou Sarah, régulièrement fréquentés… quand ses nombreuses participations avec des familles très hétéroclites, et ses propres projets, lui en laisse le loisir !

Un trio bien en cohésion, de vieilles connaissances, enrichi de 2 dames amies : Belle mise en place pour une musique passionnante … qui parle de main.

Un instrument, sans main pour le faire vivre, resterait un simple objet, plus ou moins sophistiqué, de décoration. Et que serait imagination, émotions, intuition sans outils pour les exprimer ?

La main : intermédiaire entre l’intention et l’action, indispensable interface, prolongation de la pensée de l’acteur qui va toucher celle du spectateur via l’instrument. Et puis c’est beau une main ! C’est expressif, délicat, image de force et de fragilité, douce ou violente : elle est bien le reflet de celui qui l’utilise.

Voilà une dizaine de mains qui ne restent pas dans leur poche ! Ça se promène, ça court, ça s’attend, ça s’applique, ça part dans tous les sens, ça s’assagit, ça surenchérit… ça n’arrête pas de bouger. De fait, les instruments sont à la fête. Il y en a que pour eux, et tant mieux ! Des mains expertes pour des sujets rares. Pour des compositions fines, complexes et expressives, hors tout cadre, juste pour le plaisir de partager de nouvelles idées rattachées au jazz, au rock, à l’actuel, à aujourd’hui, ici et maintenant ! Et on y va de bon cœur !

Simple mot d’ordre : ne pas céder à la facilité ! Pas d’enchaînement attendu, pas de rôle dévolu. Pas de ‘leader’ ni faire-valoir, chacun choisit sa part, l’assume, la change, l’échange, pour une musique qui tourne, qui s’évade hors du cadre jamais fermé.

La guitare propose un sujet, chacun prend une place, qui sera sans cesse à redéfinir. L’essentiel est de surprendre, se surprendre aussi. Les règles sont mouvantes, provoquant simplicités évidentes et cassures sans heurts prononcés, sur des entrelacs de cordes nerveuses ou au son étiré, directives sans prérogatives trop affirmées, juste montrer des voix possibles. La trompette donne une couleur définitivement jazz sur des motifs qui partent souvent vers le rock progressif. On pense souvent à l’intellectualisme élégant de Robert Fripp, avec l’élan libertarien d’un imaginaire incisif qui firent les grandes heures de ‘King Crimson’ ! Avec ici, d’autres non-références qui s’approchent du contemporain et de la musique libre. La batterie penche souvent côté jazz, sans oublier un peu de binaire pour renforcer une trajectoire offensive, avant qu’elle n’explose dans une fusée multicolore éclaboussant l’emballement de l’ensemble qui se calme d’un coup, puis repart bientôt dans une course pleine de vie et de rires jusqu’à une arrivée supposée… mais dont on se fiche, on verra bien en route… !

Un disque singulier, bourré d’inventivité partagée, d’échanges particuliers ou généraux. Une impression de légèreté cachant un travail au cordeau de chacun tissant une dentelle ouvragée au milieu de confidences échangées entre tous.

Un tour de force délicat et efficace ! 

Chez Onze Heures Onze

Par Alain Fleche

https://gillescoronado.bandcamp.com/album/la-main-2