Silent Vociferation

On ne présente pas ce guitariste bien connu de la scène hexagonale de par ses différents projets hors-cadre, et de ses participations diverses d’où il ne passe jamais inaperçu grâce à un son (et des idées) très personnels. Il a largement développé son champ d’action (géographique) et d’écoute depuis sa collaboration remarquable avec l’Altiste Tim Berne. Il joue avec Liudas depuis 2002, dans Toxikum, groupe primé au Danemark, et aussi en duo (toujours d’actualité), style musique improvisée, dont sont captées ici (en 2009), les cessions données entre 2004 et 2006. Rappelons que Marc fait appel à lui pour l’enregistrement du monument : « Lady M. ». Cette collaboration fructueuse et réjouissante semble inépuisable… 


Les 2 artistes tombent la veste, se foutent à poil, jusqu’à montrer ce qu’il y a à l’intérieur, telle  la valise sur l’illustration du disque, passée aux rayons X. Un discours, un échange entre amis qui ne se cachent rien, capables de se traiter de tout et de s’embrasser simultanément, tous les (bons) coups sont permis, et ils s’en donnent à cor-des et à cri d’anche d’ange. Gros travail sur le son, gras, pour les premiers titres. Larsen tendu sur la guitare qui explore les notes graves, donnant un poids, une tension non résolue qui tire vers le sombre, le sax joue sur les harmonies, zig-zague entre les hurlements et raclements électriques par un contraste de notes longues, tenues, s’envole en arpèges pour dédramatiser l’ambiance et finit par vociférer comme un beau diable, rejoignant la hargne (simulée ?) de la guitare saturée, proche de l’implosion ! Tensions totalement assumées, gérées, propices aux surprises, aux attaques acérées, aux réponses suspendues ou inattendues.
Puis nous entrons dans une phase moins nerveuse, où l’inquiétude non stabilisée reste sous-jacente, mais laisse place à une discussion plus amicale, vive parfois mais sans passion froide. Le free-rock-hurlant a pris du Valium, la guitare est presque naturelle (pour autant que faire se peut sous les doigts de Marc Ducret), Liudas retrouve son lyrisme qu’on lui connaît, faisant lien entre « néo-classique » et Jazz, tout en continuant d’explorer les capacités cachées de ses tuyaux sonores. La musique se tient maintenant sur des avancées harmoniques, sur lesquelles nous nous repérons, malgré les cassures continuelles, pour suivre le fourmillement d’idées proposées, encore chargées de sens inconnu, et de mystère qui nous tiennent attentif jusqu’à une conclusion comprise dans le déroulement de cet échange passionnant.


La fin du disque mélange tout ça. Ca vitupère féroce à nouveau, ça teste, ça beugle, ça charge, cris et fureur, cordes saturées et cuivre incandescent, mais avec élégance, on se retient d’alimenter l’ascension de violence, juste une lutte, entre amis, devant un feu de bois (genre : « Love » de K. Russel, vous voyez ?) . 
Une dernière pirouette, et les instruments retournent en leur antre, loin du soleil et de l’eau bénite, non sans nous avoir chargé d’une énergie revigorante et salvatrice. reste à re-écouter le disque pour en saisir les richesses de nuances de sombre et de couleurs  imaginaires, de non-dits équivoques et lumineux, et… tout simplement retrouver la franchise de ce duo qui n’en finit pas de nous raconter de drôles d’histoires, pas faites pour s’endormir ! 

Liudas Mockunas : Sax Soprano, Ténor, Baryton / Marc Ducret : Guitares

Chez : NoBusiness Records
Par : Alain Fleche