Vendredi 24/06/2022

Marion Jo
Sarah Brault

Tarzan et Tarzan

Sarah Brault, voix, synthétiseur
Marion Jo, violon, voix, objets

Vous la voyez, Marion Jo, voix douce, queue de cheval et un délicat violon, mais non, ça ne va pas se passer comme ça… Le son est amplifié, explosé, difformé, sorti d’un énorme goulot, à flots ininterrompus, dégueulant. Parfois, revient la plainte de l’instrument que l’on découvre alors autrement, à peine agacé par l’électronique, presque sage, mais il en devient suspect. Sa plainte s’expatrie. Astucieux, l’archet sur le bois du violon devient un souffle. La voix de l’autre, Sarah Brault, s’y promène, susurrante, inaudible comme des fragments de pensée en demi-sommeil, temps insolite. Le réveil brutal entraîne des borborygmes, mélodies avortées, sons tentés puis abandonnés. Peu à peu, colères et plaintes énergiques s’emballent alternant avec des bribes de chants presque enfantins, glissés à l’oreille – regrets des premiers bercements ? –  pointent des insubordinations nina hagenniennes ponctuées par le violon devenu balle à rebond ou petit xylophone turbulent. L’apaisement vient des signaux en morse, recherches de fréquences, d’abord vite déroutées, pizzicati sonores, courbes ondulantes jusqu’à leurs rebonds. Elles brouillent toutes deux l’écoute en distillant la virtuosité des sons remaniés, éraillés. Le violon retrouve ses marques ancestrales un instant pour les replacer dans des champs magnétiques. Les deux musiciennes humanisent l’électronique par deux voix en chorale. Finale dans le goulot de départ.

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Ivan Coulon
Virginie Richardeau

Richardeau / Coulon

Ivan Coulon, ukulélé
Virginie Richardeau, batterie, percus et clavier

Musique à transe. Faut entrer dedans, y a pas le choix sinon ça ne marche pas. Batterie/percu frappées comme une danse obsédante, le ukulélé d’Ivan Coulon chante en accords répétitifs électrifiés. Si vous n’entrez pas dans un paysage mental, un voyage peut-être initiatique, c’est foutu. Le corps doit scander le rythme, quelque oiseau cogne du bec sur le bois de l’instrument, suivent les cordes frappées comme le battement féroce de  la grosse caisse. Oubliez. Balancez la tête, oubliez. C’est le temps du tempo.  Le buste suit, les jambes tapent le sol. Tape, tape, tape et joue. La répétition envoûte, c’est certain… Répéter. Oublier. Pourquoi pas.

Certains accords partiraient en Inde bretonne. Ça gêne qui. Parfois, la musique se dramatise, en attente d’un événement, d’une célébration, on peut alors faire le chemin, spirituel ? méditatif ? primitif ? pour y parvenir. Tout s’arrête soudain. Le chemin aura été le but.

Le clavier a gardé la note – cigale grave – Les cymbales sont vaillamment caressées par Virginie Richardeau. Le ukulélé d’Ivan Coulon élabore son chant, arabisant, aux arabesques chatoyantes, c’est possible aussi. Vous choisissez votre voyage. Le vent puissant du désert ensevelirait l’instrument qui se rebelle courageusement. Agonie. Sursauts de vie.


Laurent Paris, Xavier Camarasa

Piscine Olympique

Xavier Camarasa, Fender Rhodes
Laurent Paris, batterie

Ils ont démarré dans une explosion. C’est une course de Formule 1 pour moi où les virages accentuent la vitesse, saturant l’ivresse du  rythme : le clavier de Xavier Camarasa aux accords plaqués frénétiques et la batterie déchaînée de Laurent Paris. Rien ne lâche. Les deux coude-à-coude, se déroutant à peine parce que le but, c’est de foncer, d’embarquer le son dans l’excès. Passées les bornes, il n’y a plus d’épuisement. A l’arrivée, le calme revenu, quelques frôlements de caisse. Le temps est ainsi suspendu à peu de sons, à l’attente du remplissage qui ne viendra plus…, un triangle effleuré, une cymbale juste griffée, et le clavier de Xavier Camarasa ingénument veut relancer la dynamique que la batterie de Laurent Paris attrape dans ses baguettes. En piste. Un deuxième tour.   Tout est lancé, les deux bolides se frottent à nouveau l’un à l’autre, plus sourdement tout de même, pour l’instant. Tactique ? Poussée affriolante, no limit, déjà en sortie de route assumée, hors les normes, en soubresauts, spasmes musicaux. De la haute voltige !

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Aidan Baker, Leah Buckareff

Nadja

Aidan Baker, guitare, boîte à rythmes, voix
Leah Buckareff, basse

Le rock est planant avec une guitare qui structure précisément le décollage. La fumée qui sort du fond de la scène et les miroirs réfléchissants scénarisent le concert. Les notes amplifiées se gravent dans l’espace : elles prennent le temps de leurs effets, séduisantes. La bassiste, Leah Buckareff, de dos -elle en impose- envoie ses arrondis. La marche est solennelle, mais elle s’enfonce dans les strates terrestres. Le sol résonne lui aussi, comme nous, transpercé. Les archets viennent faire frissonner les  cordes, les sensations. On peut préférer la stratosphère chargée de nuages sidéraux tout de même. La guitare de Aidan Baker laisse le son s’étendre à l’infini dans la délectation de sa vibration, de son écho panoramique.

Pragmatiques s’abstenir.

Charles Dubois, Florian Tositti

Samedi 25/06/2022

Kristallroll

Charles Dubois, batterie
Florian Tositti, batterie

Pour une  question de timing – un train peut en empêcher un autre…- les deux musiciens installent leur batterie sous nos yeux. Les petits instruments posés ici et là témoignent de morceaux de la scénographie à venir, préliminaires silencieux…

Les quatre toms résonnent comme des cœurs battant la chamade, les trépidations sont maintenues longtemps pour faire signe qu’on n’en sortira pas, des peaux déposées en atténuent le souffle. Ça va dériver, un bâton cogne le métal de l’un des toms, impose aux autres baguettes de s’éloigner  du centre, la métrique est progressivement divisée. Les musiciens semblent se mettre en transe,  l’énergie s’étend ainsi libérant la pulsion, démultipliant le rythme. Le son bondit des tambours, obsédants, ivre de leur propre résonance. La rythmique se déploie alors, puissante, folle, in-humaine. C’est alors que le chaos apparaît, alternant bruits aigus de cloches, morceaux de bois maltraités, silences, (soupirs). On ne sait si la fréquence originelle ne reste pas en fond, en sourdine, pour accueillir l’insolite des objets sonores dévoyés.

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Louis Laurain

Louis Laurain

Trompette, cornet, appeaux, percussions

La trompette de Louis Laurain bouchée à la main est d’abord juste frémissante et la voilà qui part pour le déraillement. Le blocage du son prendra diverses obstructions, trompette empêchée et pourtant combattante, cliquetante, trafiquant sans cesse  le swing en train de vous éclore..Elle conciliabule.  On la dirait indépendante… Comme si c’était elle qui imposait les expressions du visage du musicien.

Il aura sa revanche : il la prolonge de petits déviateurs de sons, à la Tex Avery, pinçant l’instrument jusqu’à son caquetage. 

La trompette cliquette maintenant, chuinte, devient jouet d’enfant sonore, au tempo foutraque. Le musicien est à trois doigts de l’aspirer! mais un vol d’oiseaux criards l’en dissuade. Elle taquette : sorte de  locomotive mouillée qui claquerait sur les rails désolés. Le musicien la transforme en baguette tapotant un tambour, elle pourrait se révolter et devient sifflet gouailleur…Faut pas croire, y a du tempo.Quelques grillons gaillards en sont la preuve… Des vols d’oiseaux s’abattent sur le sol , si, regardez bien. Pause. Il prépare sa trompette. Maracas au ralenti . On entend le désert, et le vent qui soulève le sable, en fond une vieille trompette, ou un bateau en détresse qui lance des appels, le pied bat la mesure d’un vieux blues à 4 temps désargenté. ça sent le whiskey ancient age délicieusement frelaté dont le son finirait par exploser, et le musicien s’endormirait ronflant encore sa musique.  Reste une respiration difficile jusqu’au souffle extrême.

Le musicien cherche le rythme à petits doigts, en imprègne et défait un peu les touches de la trompette pour laisser le ton… le tempo bien en main, il expulse l’air du tuyau, et invente une machine à écrire du temps jadis, on attend qu’il revienne au début de la ligne ! mais il surenchérit, ajoute du son sur le son avec sa baguette métallique, on dirait bien magique !On a attrapé le cuivre du son ou le son du cuivre, on ne sait plus, mais on suit l’instrument tour à tour difformé, ou réduit à sa matière.

Il a encore préparé sa trompette. c’est un petit corps ou une clarinette fantaisiste qui ondule au tempo de retour. La trompette lancinante reprend du terrain, tambourinant en fin.

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Miha Trifa, Gaël Gittard

Géométries 

Miha Trifa, voix, bandes magnétiques
Gaël Gittard, voix, bandes magnétiques, vielle à roue, espace

Ils sont assis sur chaque côté de la scène comme deux marionnettes désarticulées qui s’animent. La gestuelle a son importance. Lui tient un magnéto à bande qui lance un son nasillard. Elle a relevé la tête et chante une sorte de chant religieux aux voyelles accentuées, ses yeux plongés désespérément dans ceux de Lui.

Gaël a pris la vielle à roue et leurs voix d’outre-tombe se rejoignent… On dirait une procession de druides maléfiques.” Hécatombe” revient dans la sombre ritournelle. Elle, son regard tantôt tragique, tantôt tendre, participe à l’atmosphère. La cérémonie enregistrée est restituée dans sa déformation, ses échos obsédants, fantomatiques.

Les sons électroniques veulent rayer voix et petit accordéon qui tournent sur eux-mêmes sans espoir, sans avenir. Les comptines sordides deviennent des mécaniques dont le ressort retourne à sa place, ponctuées de cris expiatoires ou marquant l’effroi. C’est un univers gothique. Instrument aux touches de machine à écrire, magnéto aux voix usagées, aberrantes. Elle tourne autour de lui, l’espace devient le lieu du questionnement, un interlocuteur entre eux deux, les rapprochant ou rendant impossible leur rapprochement. Ils marchent sur place, en se déhanchant voluptueusement mais pour qui ? Géométriques, parallèles… Tentative. Tentations. Deux individualités. Du désir?

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eRikm, Jean-Philippe Gross, © photo Steph Ane

Ursatz

eRikm, électronique
Jean-Philippe Gross, électronique

Déflagration, mitraillettes, chaos, dans le poumon d’une guerre, ça explose ici et là, plus loin, on est cernés, concernés ? Le fracas, c’est ça. Et puis, on croit que c’est fini, ça tape un peu, petites pointes sonores, ondes, bitume soulevé. Inquiétude latente, l’horreur est de retour. Avions vengeurs, jets de bombes, trous béants, terre explosée, lasers destructeurs. Des vrombissements lointains laisseraient espérer l’accalmie, des oiseaux porteurs de vie, un espace où respirer, renaissance étroite. Curieusement les deux musiciens dansent un peu pour faire valser leurs synthé. Y a une fréquence plus loin, un signal ?, un code, un appel. Le monde brûle-t-il…Balles ricochant vainement comme un flipper désabusé… Le souffle devient sulfureux. En être réduit à des électrons se répondant sans âme, mécaniques vides, vaines. une voix “ do what you say” enfin revendicatrice : même si elle se perd de son propre écho, dissolue. A jamais ? Quelques notes de piano feraient penser le contraire… Ils s’y accrochent, nous aussi, toucher le “la”, tenter le “sol” , un accord alors qu’en fond rôdent les tensions électriques. Reste un sonar solitaire.

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© video Steph Ane

LIKΣN  : La toute multiple

Timothée Quost, trompette, composition
Léo Margue, direction musicale
Quentin Coppalle, flûte, flûte piccolo
Ariane Bacquet, hautbois, cor anglais
Xavière Fertin, clarinette
Loïc Vergnaux, clarinette basse
Jean Wagner, cor
Fanny Meteler, tuba
Paul Alkhallaf, ingénieur du son

Se rappeler que les instruments à vent sont aussi des tuyaux où passent le souffle et la salive, que l’orage peut les stopper si le chef d’orchestre l’impose. Ce peut être une plainte si la voix les y pousse. Ce peut être grondements, éclairs, grattements et hurlements déchirants, fritures, affolements, hystéries croisées, individuelles et partagées, hommes mécaniques. Après avoir expulsé, ils aspirent.

La flûte passe au rabot, puis halète. Clarinette et hautbois sillonnent le ciel, la trompette raye le sol, ils strient l’espace. Tous frisent l’onde, repoussent leurs instruments dans leurs retranchements, s’harmonisent parfois pour composer un seul corps.

Puis, ils amadouent l’objet, le sujet, le vecteur pour en tirer son chant intime, premier souffle, premier cri, du musicien vers la musique…, poussée érective puis retrait progressif.

Ouverture/ fermeture des touches pour retrouver le temps qui s’oppose aux temps longs soufflés. La trompette s’affole, la clarinette est grattée, une autre frétille sans relâche, ils ponctuent tous par une note en réponse suintante par endroits, rissolante par d’autres…Des chevaux hennissent en arrière-plan quand frémit la terre sous les pas empesés de monstres protéiformes. Juste l’air pulsé, aspiré, rejeté, balancé, qui s’échappe dans toutes les directions : on dirait un xylophone géant aux frappes en bambou. La trompette est habilement maltraitée par son trublion. Ils ouvrent la porte au son et la claquent derechef. Ça forme œuvre, sans nul doute.

Ils envoient leurs instruments en mitraille, des voix perturbées jaillissent faiblement comme un balbutiement avorté. Ils percutionnent maintenant, petites balles anarchiques jetées contre les murs et qui reviennent usées, rouillées ; une amorce de danse rituelle se défait immédiatement, on passe au frisottement, lèvres serrées, alertes, sirènes, révoltes des instruments qui possèdent les musiciens. Les signaux sont au rouge, tirez sur l’ambulance ! ils tapent et l’on échoue dans une danse rituelle, la hache de guerre déterrée, on les verrait former une ronde primitive, sauvage dans la belle acception. La Terre peut s’entrouvrir, les cieux grimacer et le vent s’engouffrer dans le rituel, des spectres se lever, les éléments sont déchaînés. Nous aussi. C’est beau !

Anne Maurellet
Photos Alain PELLETIER, Steph Ane