Edouard Monnin – Gabriel Midon – Thomas Delor – « Live in Paris »

[COUP DE COEUR] Le « trio » est une formation incontournable dans l’histoire du jazz, en ayant toujours su créer un subtil équilibre car suffisamment habitée pour satisfaire les jazz addicts, quels que soient les instruments joués, et pénétrant aussi des zones à risques attirantes, vu l’espace libre à conquérir par les sons. Que les enregistrements soient captés en studio ou en direct, nous pouvons être surs qu’il s’agira bien souvent d’une valse d’écriture, entre pleins d’inquiétudes frondeuses et déliés de quiétudes fragiles, dans un flow de musique à trois sommets émotionnels, mouvants comme des vagues aux chorégraphies imprévisibles. Edouard Monnin (piano), Gabriel Midon (contrebasse) et Thomas Delor (batterie) nous prouvent encore cela en nous offrant ce « Live in Paris ». Des amis de longue date qui se sont bien trouvés, bourrés de talent et d’idées. Ils sont par ailleurs chacun porteurs de beaux projets et engagés dans de multiples collaborations, qui leur ont fait mouiller la chemise, notamment sur Paris, et noircir nombre de pages de partitions, ce qui a construit leur style et tracé leurs chemins, après de brillantes études. A simple titre d’exemple, citons le turbulent « King of Panda » où se croisent pianiste et contrebassiste, alors que les trois se retrouvent sur le superbe « Imaginary stories » de Gabriel Midon, ce à quoi nous ajoutons avoir aussi été conquis par « The Swaggerer » et « Silence the 13th » du trio de Thomas Delor. D’étonnants cv, mais cela dit, cherchez bien, ils ont foule d’autres participations, tout aussi saisissantes !

Au fil des concerts, les trois acolytes ont appris à se connaître, ils se sont découvert des goûts communs et ont développé une approche particulière des standards de jazz. Pas question de les aborder « à la traditionnelle », mais plutôt avec un vif besoin de les taquiner, de les réécrire en laissant la magie de l’instant opérer, grâce à des idées un tant soit peu dissidentes surgissant de partout, et adoptées sur-le-champ par l’âme collective. C’est ça le jazz ! Il y a aussi ce « rêve de gamin d’enregistrer des standards de jazz en live dans un jazz club à Paris » qu’évoque Thomas Delor. Un rêve devenu réalité lors de trois concerts à la suite, début février 2023, au célèbre 38 Riv’ Jazz Club, desquels ont été extraits les sept thèmes de ce disque !

Des photos de pochettes souriantes et colorées témoignent de bien des joies vécues lors de ces trois soirées, une complicité qui s’affirme dès les premières notes de « In your own sweet way » (Dave Brubeck), abordé avec délicatesse, subtilité et surtout beaucoup d’originalité et de souplesse dans les entrelacs harmoniques et rythmiques. La marque du trio précise un peu plus ses traits sur « Billie’s bounce » (Charlie Parker). Bird aurait surement validé cette suite limite « free style » que se permettent nos trois acolytes. Un piano en échappées virtuoses qui jongle avec ses boules de flipper, en les plaçant entre les grondements ascensionnels d’une contrebasse aux irrésistibles élans et l’incroyable batterie qui caresse et percute le silence, peignant ses couleurs partout sur le ciel bleu nuit du lieu, y laissant scintiller de petites étoiles magiques. Même impression d’écouter un nouveau morceau avec une très belle version de « Monk’s dream » (Thelonious Monk), comme réécrit, et cette touche un peu speed qui rend le thème encore plus actuel, la musique de Monk s’y prêtant à merveille !  Autre géant invité à ce festin nocturne, Sonny Rollins, duquel sont repris « Valse hot » et « Saint Thomas », deux thèmes historiques du Maestro, que le trio se réapproprie avec une fraîcheur hirsute et un allant singulier, qui trahit le plaisir qu’il a eu à les jouer, partagé par un public enthousiaste !

L’art du trio, c’est aussi le romantisme, cette douceur mélancolique si particulière, qui console et calme les bleus à l’âme. Alors à l’écoute des deux perles que sont « Ave Maria » (Franz Schubert) et surtout « Tres palabras » (Osvaldo Farrés), difficile de résister à ce feeling à fleur de peau et à l’émotion qui s’en libère, ce qui nous téléporte en de précieux espaces, quelque part entre Bill Evans et Brad Mehldau.

« Live in Paris » est attachant car novateur, sincère et délicieusement (en)joué, c’est plus que du plaisir, c’est carrément un album passion !

Par Dom Imonk

Soprane/Absilone

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Photos Gauthier Monnin et Paul Olinger ©