Tony Hymas – Catherine Delaunay – No Borders

Tony Hymas : Piano

Catherine Delaunay : Clarinette, Cor de Basse

« Sans Frontières ». Sérieux, peut-on imposer des limites géographiques à un loup ? Un ours ? Une graine de fleur ?… À part leurs propres limites choisies délibérément, par goût, convictions ou aptitudes… quelle barrière peut empêcher 2 esprits libertaires de suivre le vent qui les pousse à travers chants et marées, à traverser des murs de convenances, à déborder du cadre prévu ?

2 talentueux artistes dont on se fera grâce de retracer les parcours multi-directionnels, dans des genres, des formules et styles aussi divers que la musique peut l’offrir dans ses innombrables combinaisons, dont ils se sont bien gardés d’éviter les impasses et expériences sans suite pour être certains de n’en rien oublier !

L’histoire commence sur l’enregistrement de ‘Thollot in extenso’, en 2017, le duo se recroise ici, là, au Mans, à Tarnac, Montreuil, Trois-Palis. En 2013, à ‘La Fraternelle’ de Saint-Claude, dans le Jura (mais pas trop tard), on parle de lieux, de projets, de musiques nécessaires, les esprits se rejoignent, on va faire un truc ensemble ! Encore un effort sur la mises au point : on parlera de recherches, d’endroits, d’ailleurs, d’aventures passées ou à venir, de la rue, des amis (hommage à Tony Coe), surtout ne rien fermer, résister à toutes formes de restriction, place au voyage, à l’aventure, à la curiosité, à la nature là, partout, en chacun.

Saint-Claude, où il n’y a pas que des montres suisses, mais aussi une maison du peuple, qui abrita des ouvriers, des idées, des joies, des drames… lieu de vie, de liberté, de rencontres, d’échanges, de réunions…habité d’un grand souffle de contestations effrayant les poseurs de cloisons qui ne peuvent plus taire le cri des consciences éveillées de la défense de la terre, de l’eau, des plantes, des ours et des loups. Là où l’imagination fraternelle est du côté des souffles de tous les vents, là où il reste tant de musiques à découvrir, des chants de mondes nouveaux, beaux comme une note surgit de l’âme d’un Pierrot perdu dans ses rêves d’humanité parfaite.

Le duo piano/clarinette est rare, sorti du classique (Brahms, Berg, Debussy…) à part Solal/Portal… ? À propos : le cor de basset ne concerne pas une maladie de petit chien, non, c’est une clarinette du XVIIIème en fa (une tierce en dessous de celle, classique, en la). On se souvient du duo Solal/Liebman (au soprano, à Bordeaux-Sauternes, en 2016, voir chronique dans ces colonnes) qui préfigurait la tension poétique exacerbée omniprésente sur cet enregistrement, véritable conversation à base de signaux, regards, harmonisations, indications, où chacun signe la moitié des compositions.

Un très beau livret illustre l’album, avec des textes indispensables, et de somptueuses photos de lieux, d’hommes et femmes en lutte, d’animaux libres, avec un commentaire en forme de ‘haïku’ :

Jamais de la même manière,

la lumière n’éclaire la rivière.

Ainsi, chaque note teinte l’ensemble de l’opus qui a sa vie propre. Qui de laisse découvrir différemment selon l’heure et l’humeur, du jour et de l’ennui vite évanoui à l’écoute des secrets que se racontent les musiciens dans l’intimité farouche de moments uniques, répétés mille fois afin que tous entendent, dans de furieux état d’âmes refusant l’évidente inutilité de diktats péremptoires autant que abusifs, hurlés dans la confidence d’un discours éclairé d’esprit convaincus de l’urgence du combat pour la liberté de tout et de tous !

Oui, ce sont des chansons de revendications, qui se jouent dans la rue, à l’air libre, des ‘rues de paris en avril 2023, ‘jusqu’au dernier souffle’ (lacrymocratie, quand la terre se soulève, un dimanche à Sainte-Saline, I can’t breathe). Chants sans limite ni frontière, qui traverses les steppes inexplorées, les rues encombrées, le temps passé, perdu et retrouvé, les musiques de tous les mondes, de tout le monde, à chantonner, à clamer, à vociférer, à sentir et ressentir, pour soi, à partager, pour tous. Les chansons se suivent sans se ressembler, de l’urgence à se rassembler à la méditation face à soi-même, animées de la même chaleur élégante, éclairées chacune d’un soleil porteur d’ombres mouvantes et colorées. Des relents d’airs de l’est, des syncopes pour les swings de boxe qui jazze, des ritournelles pour petits soldats sans plomb dans le crâne, des accélérations pour éparpiller les papillons nasés par une armée de filets létaux, une extrapolation dubitative sur la justesse de l’acte : et si… , avec l’assurance du bon sens, du bon droit, avec la vérification de la beauté du geste gratuit, précieux, volontaire et vrai. Des chansons qu’aurait aimé Léo, qu’auraient pu écrire Debussy avec le Duke sous le sourire complice d’Ornette. Un chanson sous la pluie, de suie, de lacrymo, de pleurs et de rage plein les yeux et le cœur. Chants de haine de l’injustice, d’amour de l’autre.

Chants de liberté (à) retrouvée(r)

À écouter, à bien re-écouter à l’éclairage de nouveaux instants qui révèlent des formes différentes, toujours surprenantes, jamais épuisées.

Par Alain Fleche

Chez : NATO

https://natorecords.bandcamp.com/album/no-borders