Youn Sun Nah – Elles

With Jon Cowherd

Toujours différente et toujours elle-même à la fois, Youn Sun Nah propose, avec ce 12ème album, une lecture toute personnelle de titres plus ou moins populaires qu’elle revisite à sa façon.

Rompue à cet exercice délicat qui est à la fois sa signature et un must dans le jazz, elle a déjà revisité avec maestria Léo Ferré (avec le temps), Léonard Cohen (Hallelujah), Sting (message in a bottle) ou encore, Pink Floyd et Led Zeppelin…. Et la liste est encore longue.

Sans limites, elle choisit cette fois de s’emparer de morceaux issus d’un répertoire féminin très large et réinterprété avec les recettes qui ont fait son succès, la douceur, la puissance, la virtuosité, le sens de l’épure et toujours la parfaite émotion.

Pour débuter, « Feeling Good » de Nina Simone qui n’a plus grand-chose à voir avec la version originale de 1965. Exit les cuivres et les violons ; kalimba et Fender Rhodes habillent la mélodie qui retrouve toute sa pureté.

« Cocoon », titre peu connu de Björk paru en 2001 donne une autre couleur à l’approche artistique de ce projet qui repose sur la voix et les claviers de Jon Cowherd. Ce dernier n’hésite pas à user d’effets divers et variés. Ce claviériste américain, encore peu connu dans l’hexagone a collaboré avec Lizz Wright, Brian Blade, John Patitucci et Bill Frisell, notamment.

« I’ve Seen That Face Before », la version de « Libertango » livrée par Grace Jones en 1981 se passe ici de bandonéon, mais ça le fait quand même ! A la virgule, le français et l’anglais servent la phrase mélodique du génial Astor Piazzolla, comme dans les eighties, au temps de la grande diva Jones.

« My Funny Valentine », immortalisé entre autres, par l’immense Ella Fitzgerald en 1956, mais aussi Barbara Streisand, Julie London et plus récemment Viktor Lazlo (pour ne citer que de grandes voix au féminin), est un modèle du genre. Youn Sun Nah pose les notes ultra connues de ce standard sur les accords du piano Wurlitzer et il nous semble découvrir un nouveau morceau. Chapeau ! Ne pas tomber dans une énième version musique d’ascenseur avec une telle économie de moyens, c’est certainement cela le talent !

Suivent deux ballades, « White Rabbit » de Grace Slick accompagné au piano acoustique et « Sometimes I Feel Like a Motherless Child » de Bessie Griffin. Ces titres mélancoliques des sixties donnent aussi l’occasion d’apprécier le jeu retenu de Jon Cowherd sur de courts chorus.

Toujours prompte à scater à sa façon, comme elle l’a magnifiquement fait sur « Frevo » ou « Momento Magico » de son guitariste fétiche Ulf Wakenius, ou encore en arrangeant « Asturias » du compositeur espagnol Isaac Albéniz, Youn Sun Nah met une fois de plus les rythmes latins au service de sa folie créatrice et de sa virtuosité débridée, sur la composition de Paulo Flores, « Coisas da Terra ».

Sautant du coq à la pendule, la voilà emportée par « La Foule » d’Edith Piaf. Un piano bastringue (qui lui aussi doit dater de 1936) soutient le flot du chant qui s’emballe comme le texte le suggère. Etourdie, essoufflée par la valse, Youn Sun Nah réussit un nouveau tour de force en s’appropriant avec autant d’élégance ce monument de la chanson française.

« Killing Me Softly with His Song » clôture le projet. La chanteuse coréenne nous avait déjà fait le coup à plusieurs reprises, de déshabiller totalement un morceau pour mieux retenir l’essentielle beauté qui se cache dans les notes et dans les mots. Seule, accompagnée de sa boite à musique, la fée Youn Sun Nah transforme le tube planétaire de Roberta Flack, en douce berceuse… à écouter jusqu’au bout avant de s’endormir.

Capable d’effectuer des métamorphoses improbables, Youn Sun Nah fait partie de cette poignée de chanteuses de jazz qui pourraient déclamer l’annuaire au son d’un triangle (pour peu qu’il reste encore un annuaire) ; on en resterait encore ébahis ! Ce qui est plus étonnant encore, c’est sa capacité à enregistrer en studio, cette juste émotion qui est surtout palpable en live, avec elle, sur scène.

En un mot, bravo, et rendez-vous cet été à Vienne, Marciac, Saint-Sébastien, Junas, Ajaccio, puis à la Philharmonie de Paris à la rentrée, pour ceux qui n’étaient pas à Séoul le 17 avril dernier. Elle y sera accompagnée de deux claviéristes géniaux ; pour la première fois elle voyagera avec Eric Legnini, le pianiste belge d’origine italienne et Tony Paeleman, le clavier niçois, au nom franchement flamand, déjà complice du projet précédent… l’heure est la mondialisation dans le jazz aussi !

Par Vince

Warner Music

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