Aswhat, programmé par Camille Cham Lawrence, responsable du bar du Palais, un passionné.

Royan – samedi 13 avril 2024

Edouard Lhoumeau, sax soprano et duduk

Ziad Ben Youssef, oud

Franck Duhamel, contrebasse, ukubass

Simon Pourbaix, batterie

Comme un pouls qui glisserait vers de douces torsades, batterie, contrebasse, sax et oud battent une tendre chamade. Le sax d’Édouard Lhoumeau nous soulève du sol, un son inspiré inspire… il lui faut de l’âme et elle se dessine ici, celle du voyage de l’esprit. L’oud de Ziad Ben Youssef dialogue pour que la vie en jaillisse, vie spirituelle nourrie de l’air, du vent, de la joie au monde ou de ce que l’on peut y prendre. Traversons-la ainsi ; l’oud chante, et s’accouple au sax maintenant virevoltant comme un oiseau heureux d’une première rosée.

De la modernité transpire l’ancestral, c’est une des forces du quartet Aswhat qui lui donne cette pâte riche, malaxée avec ferveur et précaution traduite en même temps par l’entrelacs des instruments.

Le duduk y serpente, discrètement soutenu par la batterie délicate de Simon Pourbaix, et la tendre contrebasse de Franck Duhamel. L’oud tresse la rythmique offrant une somptueuse profondeur au morceau.

 Aswhat porte bien son nom, « Les voix », ici, la comptine norvégienne au rythme un peu soutenu, toujours légèrement avec la batterie, cherche les consonances maghrébines d’Anouar Brahem. Ainsi mixés, les fluides du Nord au Sud créent ce maelström doux et pourtant bruissant à en écouter le duduk. Richesse du détail, dentelles du son, longueurs et accélérations délicates.

 La joie en bandoulière et la liberté au creux de la tête, ils nous transportent tous quatre au cœur d’un jazz fortement teinté de musique éthiopienne cette fois-ci. Encore un mélange subtil de rythmes qui s’apprivoisent habilement… Le ciel prend des teintes inhabituelles, camaïeux puis rouge violacé, féerie des rencontres sensibles, intelligentes. On en croirait un lendemain possible, enchanteur. Alors laissons-nous rêver. Ce que peut la musique…

 Deux danses, l’une grecque, l’autre turque. La batterie de Simon Pourbaix et l’oud de Ziad Ben Youssef avancent comme s’il suffisait de petits pas pour faire le tour d’une vie.

Soudain, vous êtes au sommet d’une montagne et mille montagnes en ombre portée forment l’infini, l’insondable. Juste le duduk pour cela et la spiritualité dans le souffle d’Edouard Lhoumeau. L’immensité de l’être dans le son long. Ensuite à quatre, une avancée somptueuse. Qu’est-ce à dire, une batterie tenue, un ukubass, l’oud dans la même cadence, progression step by step. Édouard a pris son sax soprano  afin que tout s’enlace, vigoureusement afin de retrouver le chemin plus apaisé où l’on regarde autour de soi et où l’on voit enfin la nature, l’existence ? le choix d’une voix…

 Le sax trace des sillons sonores dans l’espace, sorte de chants de baleines, puis envoie des signaux lumineux, la batterie l’encourage avec ces tempos engageants, assurés aussi par la contrebasse de Franck Duhamel.  Frétillements et sons prolongés mêlés se marient aisément à l’oud consentant. Un tour en Arménie à nouveau qui autorise le mélange de petits sons vifs à des langueurs insoupçonnées sorties des instruments et davantage encore de la batterie et de l’oud. C’est une pièce liturgique à l’origine, on l’entend ici, qui s’enrichit d’une réflexion contemporaine admirative, désireuse d’en restituer l’authenticité, la spiritualité et de l’attirer vers aujourd’hui.

Désir salutaire.

 La contrebasse livre ici la gravité en fond pour l’envol spirituel du duduk d’Édouard qui fait penser à une onde Martenot, un peu plus grave mais à la vibration du son infiniment délicate. La fragilité conçue comme une force.

 Le morceau bosniaque qui suit nous entraîne dans une danse colorée mais maîtrisée, fantaisie aux multiples arabesques. Le tout dans le peu. Le plein dans le presque pas (en apparence…). Quelques pas chassés pour la surprise, de petites frénésies, des envolées, oui, nous sommes pris dans ces compositions aux racines déterrées pour les colorer d’aujourd’hui.

« Petit sandwich » pour une fin gustative. Nous nous sommes déjà tellement régalés ! Sorte de cavalcade animée par une batterie déchaînée mais magnifiquement maîtrisée par Simon Pourbaix, à la rapidité d’exécution phénoménale, fluide, douce et puissante à la fois.

Quant à revenir en rappel pour un Romano/Sclavis/Texier, no comment. On ferme les yeux et on voudrait que ça ne finisse jamais.

Par Anne Maurellet