DHAFER YOUSSEF + TARANE ET OPHÉLIA HIÉ AU ROCHER DE PALMER, MER 29 NOV 2023 | 20:30

Tarane et Ophélia Hié

Deux magiciennes des percussions traditionnelles ont ouvert cette soirée aux influences orientales et africaines, Tarane Delavari, venue d’Iran*, au darb et Ophélia Hié nourrie de sa culture ancestrale Turka, du Burkina Faso, au balafon, doum et percussions diverses.
La rencontre de ces deux artistes nous a offert, outre pour certains la découverte d’instruments, une musique rythmique et profondément spirituelle, pure et sans effets de manche.
(* action culturelle en partenariat avec l’Ambassade de France à Téhéran).

Saluons au passage l’action formidable de la Cabane du Monde du Rocher de Palmer qui travaille inlassablement à faire découvrir l’inépuisable richesse de la musique des peuples, trait d’union entre les cultures, les ethnies, l’âme des hommes et leur histoire.

Dhafer Youssef

Ce soir la salle 650 bondée est impatiente d’accueillir le fabuleux électron libre du jazz « orientoccidental », le grand DHAFER YOUSSEF, l’homme au petit chapeau tyrolien,  habillé de ses deux instruments peu conventionnels, les plus anciens de l’humanité sa VOIX d’or et son OUD.

Il est venu nous présenter les compositions de l’album « STREET OF MINARETS » enregistré en 2023 avec les plus hautes pointures mondiales dont Herbie Hancock et Nguyen Lê.

Ce soir, entouré des jeunes jazzmen qui montent, l’excellent pianiste espagnol DANIEL GARCIA, le trompettiste issu du Trio Interzone MARIO ROM, un bassiste de grande lignée familiale, SWAHELI MBAPPE et enfin un batteur subtilement inspiré par une enfance nourrie au festival Gnawa et Musiques du Monde d’Essaouira, TAO EHRLICH, fils de, aussi – son père Loy Ehrlich, multi-instrumentiste de très grand talent a longtemps accompagné Toure Kunda, Youssou N’Dour, Didier Malherbe et le Haddouk Trio et autres prestigieux artistes -.

Les présentations faites, entrons en scène avec « The Artiste ».

Un fond musical l’accueille, Dhafer Youssef cherche sa place, son orientation, là où l’énergie nourrit et c’est un chant de gorge puissant et prolongé qui nous saisit. 

Une incantation, une invitation au voyage, un puissant appel, puis entre le jazz, la trompette se fait écho de la voix qui monte en octaves jusqu’à devenir un grand oiseau qui plane sur le monde…

Le oud arrive sur le deuxième morceau, en grand rythme, passe la parole au batteur au pianiste au bassiste qui nous offre des riffs profonds, les volutes arabisantes et hypnotiques du oud épousent alors parfaitement le rythme binaire du jazz et son groove occidental. 

Quand pour un Bal d’Âme, la finesse déchirante du oud rencontre la dentelle du piano, c’est tout à coup toute la culture arabo-andalouse qui emplit l’espace et me voilà projetée dans les délicieux jardins de l’Alhambra… les autres musiciens écoutent religieusement le duo…quelle délicatesse, quels silences et quelle douceur pour ce monde de jardins suspendus, de philosophes et de paix.

Tout au long de ce magnifique concert, sur des titres comme SharQ Suite, les fulgurances de la trompette restent collées à la ligne mélodique du oud et nous régalent de phrases dignes des plus grands trompettistes , d’ailleurs le jeu finesse et velours de Mario Rom n’est-il pas considéré aujourd’hui comme émergeant, un des plus grands en Europe ?

Le synthé développe alors une impro planante et vivifiante.

Dhafer danse, Dhafer se déplace, Dhafer ne tient pas en place, donne l’impulsion à ses musiciens tel un chef d’orchestre, encourage, remercie, check les copains à la fin des morceaux.

Dhafer chante, sa voix monte et tutoie les étoiles, tisse des finesses entre leurs branches puis descend en une petite plainte timide soulignée par la trompette, remonte vers le ciel et s’efface pour redonner la parole à la trompette qui à son tour, vibre, s’éclaire et s’envoie en l’air, enfle jusqu’au cri final. 

La main de Dhafer monte et ses doigts comptent les mesures restantes avant le démarrage de la batterie, un check au bassiste, rires, complicités, à chacun son signe, et le piano survolté rebondit alors , roule et nous embarque dans un rythme porto-ricain, les continents se rejoignent et les notes sonnent. 

Moments paroxystiques de jazz funky… Quelle virtuosité !

Le oud inspiré des mélodies orientales de sa tendre Tunisie, la voix de Dhafer Youssef s’élève en une incantation au grand poète et savant perse Omar Khayyam. 

Ce concert est envoûtant et puissant.

Dhafer parle au public, beaucoup, avec humour et tendresse, un mot pour ses compatriotes arabes présents dans la salle qui ont la chance de comprendre la poésie et l’intention des textes choisis, le dit d’un grand poète tunisien, des pensées pour ceux qui tombent et contre la guerre qui tue les échanges avec les amis israéliens. 

Son chant résonne nasal et lointain et élève la musique vers des sommets vertigineux.

J’ai aimé ces compositions orientales, ces rythmes tournants et sucrés qui démarrent sur beaucoup de respirations méditatives et s’élèvent en fusion avec les rythmes électro-acoustiques du jazz plus occidental. La rencontre est riche et bouleversante. 

Ne pas oublier de parler du talent somptueux du batteur Tao Ehrlich, tout en délicatesse, sobre dans ses effets mais d’une présence charismatique. Il nous donnera vers la fin du concert un très grand solo, des sourdines qui ouvrent un espace d’intimité et une rythmique qui enfle jusqu’à la jubilation. 

Le public siffle et crie sa joie !!!! La reprise en tutti enchante nos oreilles et réchauffe nos cœurs.

Un dernier morceau en hommage à l’ami Herbie Hancock, une folie sublime de la voix de Dhafer Youssef qui tient la note à l’infini et un duo pianiste bassiste fusionnel dans la grandeur.

La salle remercie ces passionnants musiciens qui l’espace d’un concert l’ont faite voyager, respirer, réfléchir, grandir.

Merci Monsieur Dhafer Youssef, grand jazzman de culture ouverte qui dit la paix possible, là où certains s’emploient à la scission et à la censure. 

L’espace d’un concert tout est devenu si simple et si beau.

par Sylvie Delanne, photos Alain Pelletier

Un CD indispensable, Dhafer Youssef « Street of Minarets » Back Beat Edition

Pour mieux connaître ou découvrir le OUD, un podcast sur France Musique

Le oud, « un instrument vivant », par Waed Bouhassoun (radiofrance.fr)