Le Cube, Villenave d’Ornon le 18/11/2021
Resté peu de temps sur Terre, Michel Petrucianni y aura marqué le jazz par son passage. Connu du grand public plus pour son physique que pour son immense talent il aura enchanté les amateurs de musique par son jeu virevoltant, son toucher dynamique, sa virtuosité, sa joie de jouer.
Laurent Coulondre, superbe pianiste lui aussi, ne l’a jamais vu sur scène, il avait dix ans lors de sa disparition mais il s’est pris de passion pour son petit grand collègue, décidant de s’écarter de ses propres compositions pour en jouer le répertoire avec « Michel on my mind ». Il a choisi pour cela la formation de base du jazz, le trio, lui au piano et à l’orgue (pour Eddy Louiss bien sûr), Jérémy Bruyère à la contrebasse et André Ceccarelli à la batterie bien sûr, l’excellence.
« Colors » pour commencer, comme les couleurs que Michel Petrucianni mettait dans sa musique, puis très vite le mythique « Looking Up », pied de nez à sa taille qui le faisait tout le temps regarder vers le haut, « Memories of Paris ». Laurent Coulondre a le talent pour reprendre ce répertoire, lui aussi virtuose, musical, il transmet ce fond de gaîté qui paradoxalement est présent dans la musique de Michel. Ce dernier a « surmonté » son handicap avec sa musique mais aussi ses excès comme le rappelle Laurent, la drogue, l’alcool, la bouffe, les femmes !
Au premier rang des spectateurs et même des admirateurs André Ceccarelli dont le bonheur de voir jouer Laurent est visible, il en a vu d’autres pourtant lors de sa carrière extraordinaire ! Les trois sont en connexion de façon permanente, les regards sont éloquents, l’accord est plus que parfait. J’ai rarement entendu un trio aussi « en place » comme on dit. « Dédé » est tout simplement ahurissant à voir jouer, son aisance créative, ses rythmes dans les rythmes, son drumming ciselé aussi beau à entendre qu’à regarder et ce swing aux balais, irrésistible ! Quelle chance avons-nous d’assister à cela, Jérémy Bruyère n’étant pas en reste, avec une rythmique chaude, un son rond boisé souvent assisté de percussions dans le ventre de sa contrebasse, précieux.
Laurent Coulondre pour cet hommage n’a pas pu se retenir de composer, deux titres dans l’esprit de son Maître, « Laura » en solo et « Choriniño » aux accents brésiliens si prisés de Michel Petrucianni. Toucher dynamique sur le clavier et aussi sensibilité, un régal. Le duo entre le petit pianiste et le massif organiste Eddy Louiss est évoqué avec bien sûr « les Grelots » Laurent jonglant entre piano et orgue. Autre duo comme Petrucianni le pratiquait avec NHOP ou d’autres avec la contrebasse pour « Rachid », magistral. Retour au trio pour « Guadeloupe » et son tempo doucement chaloupé, lumineux. On se sépare , du moins l’annonce-t-on, avec « Michel on my mind » titre de l’album hommage et du spectacle, pour bien sûr se retrouver sur un rappel, puis un second, cette fois en solo. Sur une improvisation, on capte quelques accords annonciateurs de l’automne, les arbres se dépouillent et voilà donc « Les feuilles mortes », une version majestueuse.
Concert somptueux et plaisir de rencontrer à nouveau Laurent Coulondre pas avare de son temps pour discuter avec son public. Que c’est rassurant de voir que de tels artistes peuvent rester aussi sympathiques et naturels.
Coup de blues avec le bémol de la soirée :
La satisfaction des organisateurs quant à la qualité de la soirée n’avait d’égale que leur déception devant la faible quantité de spectateurs présents à ce concert. Dans une salle qui peut accueillir plus de 500 personnes, devant le faible nombre de réservations la configuration modulable avait été réduite à 250 et nous n’étions qu’environ 150… Pourtant j’entends encore les regrets lors des confinements sur le manque des spectacles vivants, la solidarité avec les artistes… La communication a pourtant été importante, Action Jazz a relayé régulièrement, le prix était tout à fait accessible, quant à l’affiche elle était 5 étoiles. Une formation certes moins star system qu’Avishaï Cohen récemment et Roberto Fonseca bientôt au Rocher de Palmer qui eux ont rempli ou vont remplir la salle 650. Le second affiche complet depuis deux semaines. Même l’Auditorium, toujours complet d’habitude, souffre et ne parlons pas des concerts organisés ça et là par les services culturels de petites villes avec des affiches locales ou régionales, là c’est souvent le désert. Combien de temps ces bonnes volontés tiendront-elles à ce rythme ? Combien vont se décourager ? Crainte du Covid avec toutes les trompettes radiophoniques ou télévisuelles qui nous sonnent un tocsin inquiétant, refus du passe sanitaire qui n’empêche pourtant pas les restaurants d’être bien garnis, habitudes casanières prises lors des confinements, explosion de la télévision VOD… ?
Il ne se passe plus un concert sans que les artistes ne remercient les gens de s’être déplacés, c’est vital pour eux. D’une part ce n’est pas avec les redevances de streaming qu’ils vont s’en sortir, d’autre part ils ont besoin de sentir cette présence du public pour que leur art ne reste pas « froid ». Le milieu culturel est inquiet, artistes, techniciens, organisateurs sont dans la plus grande incertitude, aidons-les, soutenons-les, allons voir du spectacle vivant sinon il finira par ne plus l’être. Mais voilà que la sitiation sanitaire se durcit ces derniers jours…
Texte et photos Philippe Desmond