Urs Leimgruber, Jacques Demierre, Juillaguet, 3 décembre 2023

Urs Leimgruber

URS LEIMGRUBER : Saxophone Soprano

JACQUES DEMIERRE : Épinette amplifiée

Deux musiciens Suisses

Urs Leimgruber : une des voix majeures des musiques improvisées depuis les années 70, il s’installe à Paris en 88 après un crochet par les USA.  On l’a entendu sur toutes les scènes internationales avec Steve Lacy, Fred Frith, Marylin Crispell, Joëlle Léandre, György Kurtag, Michel Doneda, Jean-Marc Foussat…, et plus récemment, en trio avec Jacques Demierre et Barre Phillips.

Jacques Demierre (épinette amplifiée): compositeur, pianiste, et improvisateur, musicien et théoricien, performeur dans le champ de la poésie sonore et l’intervention sonore in situ. Une même quête anime son approche de la conscience du sonore. S’il partage avec Urs Leimgruber nombre de collaborations , il a aussi joué avec : Andrea Parkins, Butch Morris, Roger Turner, Carlos Zingaro, Barry Guy, Sylvie Courvoisier, Hann Bennink, Paul Lovens, Phil Minton, etc.

Bref, des pointures, et qui se connaissent bien.

Réunis ce soir dans une charmante demeure-studio de la Charente, grâce au travail passionné de notre ami Philippe Levreaud, où une cinquantaine d’esthètes ont bravé les frimas de saison pour assister à cette performance proposée par deux immenses talents souvent associés, toujours en grande complicité.

Plutôt qu’un concert musical, quel qu’en soit les styles, thèmes ou modalités, il s’agit là d’une réelle expérience de poésie sonore, recherche de sons, interaction entre les musiciens… et surtout avec les auditeurs dont les silences, mouvements, attention sont parties prenantes de l’événement. La tension entre tous les participants est palpable et nous sommes tous bel et bien invités à une immersion totale dans un moment de création de sons d’où nous ne sortirons pas indemnes. 

Poésie intuitive qui privilégie l’imaginaire de chacun, découvrant les formes et images qu’il induit lui-même, et sont partagés par tous. Toutes les possibilités sonores des 2 instruments sont explorées ou découvertes dans l’instant. Les sons fusent de toutes les pièces qui leur sont accessibles , certains à peine audibles transpercent le silence recueilli, réceptacle de toutes configurations. L’épinette (sorte de court clavecin, ici : une reproduction fidèle d’un modèle du XVIII ème siècle, sans autre préparation qu’une amplification permettant d’entendre la moindre production sonore et certaines harmoniques générées naturellement)

C’est un laboratoire alchimique qui sent l’or et le soufre, le mercure et le sel. Des couleurs se forment, s’assemblent, des images et tableaux apparaissent, se suivent, ce n’est pas un concert mais une exposition ! 

Les suraigus du saxo naviguent sur des vagues de cordes pincées, triturées, frappées, caressées, produisant des sons de harpe, percussions, et d’autres, inconnus, laissant entendre des crissement de chaînes lourdes, des cris d’oiseaux blessés, puis soignés dans un nid feutré. S.O.S. d’un esquif en perdition, luttant pour suivre le courant de la tempête, il trouve l’équilibre en chevauchant l’écume qui couvre maintenant l’océan assagi. Une corne de brume dissipe le brouillard qui s’effiloche au travers des sous-bois, parcouru à tâtons, le chemin se devine à chaque pas, disparaît sous terre, se perd… Un appeau fait venir un vol d’étourneaux à travers les branchages d’arbres décharnés, les volutes des mouvements de la masse distendue d’oiseaux se délitent dans les nuages sombres qui frôlent le pré humide et boueux… Des pages vierges de mots effacés se déchirent, froissés, s’enflamment, crépitent, des couleurs inconnus dégoulinent en flaques sombres et lumineuses… La machine à écrire des notes s’emballe, les lettres se mélangent, texte musical codé se laissant lire sans y penser, sans seulement y prêter attention, une illusion… Encore un oiseau piégé dans le souterrain obscure, encore un signal d’alarme qui clame son urgence, une lumière rouge qui clignote sur le nez d’un clown. 

Jacques Demierre

Les images se fondent, se confondent, débordent dans le non-dit, le non-joué, le non-entendu, perdues dans le silence des bruits … de la musique ? Il va falloir redéfinir la Musique ! Suite de sons perceptibles, ou pas… Agréables à l’oreille … pourquoi ? Juste une manière d’échange, de communication, fabrication d’images, de sentiments, sensations. Façon de charmer, de provoquer, d’évoquer, de lutter… Être ensemble, se raconter des histoires, chercher le Vrai, le Bien, le Beau…

Enfin, ce trop court moment de partage se remplit de lumière douce. Des brides de ‘aïku’, gong et koto apaisent l’effort de concentration-perception commune. Tous réunis dans une prière au temps disparu, à l’abstrait qui a pris forme et est retourné au néant. Éclat de cristal chantant. Les dernières notes ne cessent de résonner dans la salle bientôt vide. 

Difficile de briser l’enchantement. On s’approche de l’épinette, Jacques nous confie ses secrets, leurs secrets, arlequin, multicolore, multi-facettes, son approche, ses intentions… des mots qui valident les sons entendus, bien entendus… bloqués entre les oreilles, imprimés sur le disque dur de notre mémoire qui les transformera encore et encore…

Le chant continue sur la route du retour. Notre écoute et la compréhension de la musique ne sera maintenant plus tout à fait la même… Une belle et grande expérience !

Par Alain Fleche, photos Alain Pelletier (concert de Sainte Foy La Grande le 1er décembre)