Gabriel Pierre – Until Now
[COUP DE COEUR] Jusqu’à maintenant, nous connaissions Gabriel Pierre pour l’avoir vu plusieurs fois en concert sur Bordeaux, sachant qu’il est aussi très actif sur Paris, et pour ses participations hautes en couleurs, notamment en fin d’année dernière, au remarquable disque « Pathways » du quartet Mind Watcher, chroniqué dans nos colonnes. Homme toujours affable lors de nos échanges et musicien fort talentueux, son jeu de contrebasse a une profondeur et une modernité racée qui séduisent, nous espérions qu’il nous offrirait un jour un disque de son cru.
C’est maintenant chose faite grâce à « Until Now », récemment paru, qui est bien plus qu’une simple carte de visite, mais plutôt un extrait de son journal privé où il livre sans détour quelques sources de son inspiration et de son envie de changer de cap, ce qu’il nous explique dans de touchantes notes de pochette. La belle photo de couverture (captée par Gérard Harten) visualise d’ailleurs au mieux le passage du pont familier qu’il évoque, de la vie d’avant à cette nouvelle aventure, et exprime peut-être l’idée que le parcours d’un musicien est une constante traversée d’univers mouvants.
Nous voici donc embarqués pour découvrir l’histoire musicale mouvementée de Gabriel Pierre, entre expériences palpitantes vécues lors de voyages, et évocations plus intimistes. Dix thèmes forment cette « autobiographie » sonore, dans une diversité de tons et d’idées savamment nourrie par une équipe de fines lames de la nouvelle génération du jazz. D’abord le quintet sacrément pointu formé par Gabriel Pierre (contrebasse, compositions et arrangements), Jean-Loup Siaut (guitare, arrangements, co-leader), Christian Altehülshorst (trompette), Tom Olivier Beuf (piano) et Arnaud Dolmen (batterie). Et pour plus de densité, on l’augmente des invité.e.s que sont Katrin Merili (chant), Emcee Agora (rap), Irving Acao (saxophone) et le quatuor à corde composé de Clémence Mériaux et Florian Perret (violons), Issey Nadaud (alto) et Alexis Derouin (violoncelle). Excusez du peu, mais quel combo !
Démarrage agile et musclé avec « No answer », sensé suggérer le doute selon l’auteur, qui ne souffre cependant d’aucune hésitation, un flow hardi nous présentant idéalement le quintet. Guitare solaire, que l’on savait déjà inventive et gambadeuse, piano gardien du temple new jazz, toutes fenêtres ouvertes, pacte exemplaire contrebasse/batterie aux ondoiements et impacts effrénés sonnant pur et neuf et traits de trompette à faire pleurer de plaisir les étoiles, et nous… ! Mood genre « New York State Of Mind » maintenant, avec « Good Vibrations » et « Love for Sale », deux pièces chantées/rappées, d’un irrésistible groove qui trahit la connaissance et l’amour que porte Gabriel Pierre à la Big Apple qu’il a jadis fréquentée ! Nous ne pouvons que le comprendre ! Refermons la parenthèse américaine en écoutant la reprise très inspirée du « Bessie’s Blues » de John Coltrane, superbement jouée, avec la clarté de l’original et la pulse décomplexée d’aujourd’hui qu’alimentent fiévreusement Irving Acao et le reste de la troupe, ce qui est une belle marque de respect à la flamme qui éclaira jadis le Trane !
New York, c’est certes génial, mais quand notre contrebassiste part à la Réunion, et qu’il y rencontre des baleines dans l’Océan Indien, c’est une découverte miraculeuse, leur chant en particulier, qui inspire le poète qu’il est. N’est-ce pas celui des sirènes ? Saisissant thème que « Le chant des baleines », un hymne écologique si fragile, pour les préserver de tous ces chasseurs sanguinaires !
Sensible et délicat, Gabriel Pierre a aussi rendu hommage aux personnes disparues qui ont compté pour lui, avec la poésie mélancolique des cordes sur « Intro Michel » et « René », l’occasion sur ce dernier d’un magnifique solo de contrebasse. Mais une humeur plus enflammée libère les traits brûlants de trompette qui transpercent le cœur de « Michel » ou introduisent « La coccinelle », ce thème étant illuminé par un incroyable solo de guitare. C’est « Jacques » qui vient nous tirer une dernière fois les larmes, dédié à un ami parti très jeune. Une plage habitée d’un émouvant feeling, traversée par un lumineux piano et portée par ses complices de grande classe.
Au final, Gabriel Pierre a atteint son but, cet album est une réussite totale, un recueil d’émotions pures, servi à la fois par cet étonnant collectif créatif, au sein duquel figure Jean-Loup Siaut pour son engagement particulier, et par le son d’orfèvre concocté par Julien Bassères (Studio de Meudon), qui en dessine l’ampleur et en catalyse la dynamique.
Vivement le plaisir de les voir en concert, et, au train où vont les choses, gageons que le futur album se nommera peut-être « From now onwards » !
Par Dom Imonk
Jazz Family/CDZ
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