Christophe Marguet Quartet – Echoes Of Time

[COUP DE CŒUR] En ces périodes de fortes turbulences, où incertitudes, peurs et souffrances mènent des valses obscures, sous la baguette d’apprentis sorciers irresponsables, nous avons le besoin vital d’échanger des messages naturels, de respect, d’amour et de beauté, avec des proches, des inconnus, en tous lieux, familiers ou inattendus. Les artistes, qu’ils soient de la plume, de l’image, de la musique, ou de toutes autres sources, en sont aussi porteurs, et leur art, courageux, convainquant et éclairant, nous sauve de la torpeur, face au cirque incessant et indigne de certains médias et réseaux sociaux !

Même si ce n’est pas le concept initial, certains disques ont cela en eux, grâce au feeling naturellement humaniste de leurs auteurs. « Echoes of Time » est probablement de ceux-là, ce nouvel album du Christophe Marguet Quartet étant peut-être par ce titre, une étape d’écoute et d’observation, au cœur d’un cheminement riche d’échos, un moment privilégié de réflexion sur un parcours musical, sur les autres, sur soi, sur le Monde, histoire de concevoir des bases créatives nouvelles, pour « essayer d’aller encore plus loin la prochaine fois ». Contrairement à ses neuf albums précédents, « Echoes of Time » ne comporte pas d’instruments à vent, Christophe Marguet (batterie, compositions) choisissant de partager cette aventure avec ses camarades de cordée que sont Régis Huby (violon, électronique), Manu Codjia (guitare électrique) et Hélène Labarrière (contrebasse) déjà présente sur d’autres projets du batteur. Rien que des cordes certes, mais faisons entièrement confiance à ces explorateurs sonores pour faire s’envoler les sonorités acoustiques vers des altitudes insoupçonnées, grâce aux ailes ensorceleuses de la fée électricité !

Cet album s’ouvre par un très beau texte de Christophe Marguet, qu’il faut absolument lire avant d’en découvrir les onze pièces. Il est d’une humilité rare, d’une honnêteté clairvoyante saisissante : «… cela vaut-il encore la peine d’enregistrer un disque… » se demande-t-il, alors que de nouvelles habitudes d’achats et d’écoutes numériques fractionnées ont pris le pas, dénaturant l’unicité des albums. Devrait-on désormais n’acheter que des pages arrachées aux livres, des paragraphes, ou de simples scènes cinématographiques ? Un disque n’est pas un puzzle, ou un paquet de chewing-gum, c’est comme un film, c’est une belle histoire qui se raconte au fil des morceaux, qui se suivent dans la logique qu’a voulu l’auteur, en bannissant les lectures aléatoires. Au fond, c’est un peu ce que défend Christophe Marguet dans la suite de son texte. Le mystère et le miracle de l’enregistrement, l’échange puis le mariage des idées, l’acte de création collective qui n’existera que pour cet album-là qui est une « étape », un moment de vie unique.

Les « échos du temps » ne souffrant pas de barrière, il leur faut de l’espace pour qu’ils résonnent et soient perçus au plus loin, ce que leur offre d’entrée le magnifique « L’immensité », un horizon infini qui se dévoile comme le plus beau des levers de soleil. Le début d’une singulière journée. La nature s’éveille aux chants joyeux d’oiseaux électroniques, qui volettent autour des branches rassurantes de la contrebasse, puis vont se cacher dans le feuillage aux frémissements cuivrés des cymbales, les strates de guitare moirée figurant les vastes cieux qui s’ouvrent peu à peu à la vue, fascinants de clarté. Un nouveau monde s’ouvre, furtif et décidé, porté par la beauté urgente des « Vibrations » qui suivent et ne sont pas sans déclencher la même émotion harmolodique que le fit en quelques-uns de ses thèmes le mythique album « Strange Meeting » du trio Power Tools auquel participa jadis Bill Frisell . Toute la bande est en émoi et libère ses idées à chaque seconde, un jaillissement émotionnel au-delà du contrôle des sens, le chorus de guitare divisant ses lumières en des milliers d’étoiles, généreusement distribuées par l’escalier céleste de la contrebasse.

En des formes, des humeurs et des sons différents, le même scénario se reproduira à l’envi au fil des autres pièces, en une poignante synergie, au centre de laquelle Christophe Marguet, omniprésent catalyseur, est ce qu’il a toujours été, un peintre attentif aux couleurs sonores à chiper au silence, un jongleur d’impacts aurifères, un artiste des émotions terriennes, minérales, qui font aimer et s’aimer, pour lequel le simple titre de « batteur » est fortement réducteur. Les artistes qui l’entourent sont comme lui, d’incroyables instrumentistes, poètes qui captent les échos de la vie !

Quelques derniers morceaux sont enfin à évoquer, sans prendre le risque de les développer maladroitement, pour vous laisser le plaisir intact de la découverte. Soyez surs que nous voulons de la trépidante « Thérapie » proposée par cet époustouflant quartet qui semble tout comprendre de nous ! Il nous mène à danser sur ce saisissant « Tango », dont l’âme chargée d’histoire nous tatoue à vie de la beauté un peu triste de cet art, où gaité et mélancolie sépia s’allient à nous pousser en ondulations, fardés de la honte du timide, jusqu’à se retrouver « En équilibre », totalement enivrés par l’irrésistible flow,« Entre les jours » heureux méditatifs , et fouler ragaillardis le dance floor électrifié de la « Magic Box », un autre hymne de joie et de plaisir de ce disque qui nous enivre, c’est trop bon ! À toute fête l’issue, fatale ? La « Rupture » ! Oh non ! Rupture, peut-être pour quelque chose d’encore mieux alors, comme ici !

Tant pis si ce n’est pas ça, mais osons imaginer que le poignant et poly rythmé « Mr Steve » est dédié à l’immense Steve Swallow qui participa à la direction musicale des deux premiers albums de Christophe Marguet sur le Label Bleu (« Résistances poétiques » – 1996 et « Les correspondances » – 1999), et joua de sa basse magique sur « Constellation » (2012). Magique ce morceau ? Mais oui, quel interplay ! Et puis la basse électrique du Maestro, qui sonne comme une contrebasse, ça l’est aussi !

Cet album ne nous laissera décidemment pas indemnes avec deux autres magnifiques pièces. D’abord « Song for drums » qui révèle, s’il en était besoin, tout l’art de Christophe Marguet et de ses camarades, pour vénérer l’instrument « batterie », et aussi la musique qu’ils créent, et permettre de les élever à une altitude philosophique telle que l’esprit libre la reconnait, sans le détour trompeur du doigt qui la désigne.

Ensuite et enfin, « L’immensité (épilogue) » qui conclut cette journée, avec la même ardeur qu’il l’ouvrit, d’un crépuscule rêveur étoilé, mais ne pourra en rien la clore ! En effet, qui saurait refermer les portes de l’immensité ? Personne ! Un album essentiel, témoin de son temps, qui s’ouvre à vous, sans limite à sa sagesse !

Par Dom Imonk

Mélodie en Sous-Sol/L’Autre Distribution

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