Frank Carlberg solo – Studio Juillaguet – 22 Juin 2024

Encore un joli cadeau que nous fait l’ami Philippe (Levreaud) que d’inviter ce trop méconnu pianiste de ce coté-ci de l’Atlantique, et remercions aussi le si convivial studio ‘Kent Carter’ que de l’accueillir et nous faire profiter de cette présence dans d’aussi sympathiques conditions (cadre et accueil) !
Ce n’est effectivement pas si fréquent que de voir cet original artiste sous nos latitudes, et qui plus est en solo ! D’origine finlandaise, installé à New-York, ses qualités de compositeur, arrangeur et chef-d’orchestre nous l’on fait connaître plutôt en grande formation. Nous allons profiter (avec une trentaine de personnes présentes) donc de cette occasion rare de le voir seul, en compagnie de son instrument.
Frank Carlberg est à rapprocher de Paul Bley, de l’école Lennie Tristano, qu’il cite facilement, héritier du Bop, du stride mais bien ancré dans le temps présent et des multiples possibilités d’en rendre compte… dans un registre qui lui est propre. Il citera aussi Carla Bley et Roswell Rudd. Il nous parlera encore de Steve Lacy, et donc de Thelonious Monk !
À tout seigneur…, le concert débute par un medley du Duke. Un ‘Black and Tan’ bien enlevé pour se chauffer les doigts, une plongée dans le ‘jungle’ avec ‘I got it bad’, puis le rythme se ralentit, une intro mystérieuse, en délicatesse pour annoncer l’art évanescent de Billy Strayhorn…
Des accords furieux, le tempo s’accélère, Les basses bien installées (souvent juste une note plaquée vigoureusement), la main droite virevolte d’un bout à l’autre du clavier, voici du Herb Nichols, du moins quelques apparitions de thèmes, dans un style coloriste, des notes comme des taches pointillistes ou des trace de couteau sur une toile…
Silence, introspection, lent et douloureux, tout en nuances, concentration pour un tableau abstrait d’où apparaît Madame Bley et son esprit imprévisible et frondeur.
Retour sur origines : les rois du stride sont convoqués : Jerry Roll Morton et Scott Joplin, du rag des plus purs, mais… découpé à la hache, force et harmonie, et surprise, le rag est toujours vivant !
Et voila et voici, c’est le tour du maître : Monk ! ‘’round Midnight’ étiré, distendu, comme la fumée d’une cigarette qui monte jusqu’aux étoiles, version très personnelle qui garde la poésie et l’intention sur-réaliste du compositeur, hommage allongé d’extraits de thèmes moins joués et l’hombre du grand homme de planer … on s’attendrait presque à voir l’interprète se lever et faire le tour de son siège…
Tout ça intercalé de compositions perso qui n’ont rien à envier aux titres ‘classiques’ entendus ce soir, plein d’allant, ou rêveurs, qui accèdent au plus profond de l’âme par un plaisir renouvelé à chaque note joyeuse ou introspective qui jaillit ou suinte du piano, des mains et doigts directement liés à l’esprit du magicien qui nous laissera pantois et satisfait à l’issue d’une heure et demi d’illustration de son art sûr et affirmé !
Un bonheur ! Vous ne le connaissez pas encore ? Il est grand temps de réparer cette lacune !
Par Alain Fleche