François Carrier Ensemble – Openness

François Carrier : Saxophones Alto et Soprano / Mat Maneri : Violon Alto / Tomasz Stanko : Trompette / Gary Peacock : Contrebasse / Michel Lambert : Batterie.

En mai 2006, François Carrier lance « Cinq Soirée Happening » à Montréal. Les 3 premières soirées réunissent des musiciens, danseurs et autres artistes pour improviser avec lui et Michel. Les 2 suivantes sont réservées à cet Ensemble.

Les ‘lignes’ de l ‘album, écritent par l’altiste, sont truffées d’informations, d’anecdotes et impressions personnelles très précieuses sur ce moment rare. Très fier,à juste titre, d’avoir réuni un tel plateau, il parle surtout de « Attention, Intuition et Ouverture » qui sont au centre de la rencontre. L’Attention apportés par les 5 sens communs, le 6ème appelé Intuition, et un 7ème serait l’Ouverture qui ne nécessite nulle directive, la musique se créant d’elle-même, l’attention à ce qui existe déjà, ou pré-existe, remplace l’intention. « On peut percevoir dans l’imperceptible, on sait que la musique se trouve là. En fait, tout est musique. Le musicien, l’artiste devient un instrument de cette musique. »

François et Michel (qui collaborent et enregistrent ensemble depuis longtemps, au point d’associer communément leur noms, même si…) ont enregistré avec Gary (souvent entendu au côté de Tomasz) en 2004, ils ont souvent invité Mat, mais quand François découvre le disque ‘Matka Joanna’ de Tomasz en 1995 chez ECM, il est fasciné par la sonorité froide et sombre mais raffinée et douce et rêve de partager, d’élaborer, un projet prochain… et voilà. Résultat : un triple cd absolument incroyable !

Le trompettiste arrive la veille du premier concert, les 2 autres le jour même, le reste s’appelle : ‘magie’, écoutez… Oui, la musique se suffit à elle-même, tout commentaire est superfétatoire, du remplissage, juste pour donner envie (s’il en fallait) d’ouvrir les oreilles et se plonger douillettement dans ce moment extraordinaire !

Plus de 3 heures d’improvisations… Ça risque pas d’être un peu long ? Question que se posaient les fans de F. Zappa lorsque paru sont triple album de solos : « Shut up and play your guitar ». Réponse : non ! Il n’y rien de trop, pas de longueur, pas de redite, pas un instant d’ennui… pour un peu on en redemanderait ! À l’instar de son alter ego rock : totale réussite, un joyau pur !

Avant de pousser le bouton de lecture, oubliez tout ce que vous savez de chaque protagoniste, surtout qu’il nous en souvient souvent que des traits ‘habituels’, que l’on retrouve au coin d’une phrase, d’un enchaînement… Ici, on est ailleurs, plus de repères, pas de challenge si ce n’est que d’être dedans ! Et avec . Plus d’ego, juste faire apparaître la musique qui est déjà là, en suspension, dans l’air, et qui ne passe pas par l’intellect, ni aucun autre désir que de n’être qu’un officiant d’une cérémonie dédiée à l’Art absolu.

Les instruments s’approchent doucement de la contrebasse qui ouvre le rideau, ponctuée d’éclats de batterie soyeuse. Les ‘cats’ se mettent en place, à pas feutrés, ont abandonné toute velléité comme chien pose son os pour observer ce qui va se passer d’essentiel. Chacun apporte sa couleur pour faire naître la transparence d’un présent éphémère qui va perdurer jusqu’à la dernière note. Bien sur, le son de chacun est là, et bien là, le velouté acide de la trompette qui chevauche les arpèges irréguliers, saute par-dessus les écarts de note acrobatiques, le sax s’est habillé de tendresse et de volupté, a rangé ses diatribes de paroxysmes éclatant au profit d’un vol de papillon effleurant de nouvelles idées ouvrant sue des voies où il s’engage sans hésitation, avec délice, et y entraîner qui veut le suivre pour vite le précéder sur une autre bifurcation. Une contrebasse plus libre que jamais, se glisse dans le lit d’une rivière sinueuse, s’ébroue sur la rive ensoleillée, parle aux oiseaux et plonge dans les étoiles inaccessibles. Le violon choisit les éléments de ses interventions dans des gammes secrètes, brode des espèces de raga improbables qui enrobent les sons qui le défient, quand il ne va les chercher pour les teinter de soie et de brocarts. Et la batterie, impériale, qui absout le temps en créant des repères indéchiffrables, ponctuant le silence de rayons lumineux qui viennent du fond de la terre et se perdent dans l’azur de cieux tachés de grains colorés. Allez et retour.

Solo, duo, trio et plus. Pas de règles, ni suite, ni ordre, de l’espace, pour tous, comme ça vient.

Improvisation permanente, d’où apparaissent des relents de blues à cloche-pied, des évocations de jazz swinguant sur des torrents de tempo au ralenti soudain pour suivre une autre étoile déjà obscurcie d’un nouveau nuage ondoyant vers un océan de possibilités potentielles encore tues.

Michel plante le décor du début de la 2ème galette, les bronzes scintillent, les peaux claquent. François propose un rythme harmonique, Tomasz le rejoint et orne le tissu musical que précisent les cordes graves et les plus légères tissant une trame différente par-dessus, le tapis s’épaissit, flotte, en apesanteur, comme la musique, et les musiciens qui ne touchent plus terre, qui ont disparu dans l’air qui s’est chargé de notes, de vibrations, d’impression de plein aéré, de silence habité. Cette face est teinté surtout d’un espèce de bleu, de sombre à presque blanc, axe transcendantal des actes humains quotidiens, tout est symbole, tout est politique… tout est musique ! Retour du leitmotiv d’ouverture de François d’où toute la suite est issue, puis s’en est allé… Encore du bleu pour Tomasz qui poursuit le chemin décidément Blues de cette face. Notes étirées, proches de la rupture, partagées par les vents qui les écartèlent, protégées par les cordes les cernant au plus près. La trompette hausse le ton, tire vers le haut, brille comme un soleil pourtant lointain. Au sax de décorer la dentelle, de pleins, de déliés… La batterie jaillit, balise la route estompée de brume qui masque le cadre inutile du tableau figurant l’universalité de la vie incréée car sans cesse renouvelée, sans origine ni but. Un Blues riche des palettes mises en commun recréant inlassablement l’univers. Une discussion intime et infinie sur le Juste, le Vrai, le Beau qui se conclura avec le dernier souffle de l’Homme… Échange spirituel d’âmes en accord parfait sans autre limite que d’être entendues, reprises, augmentées, dans la plus grande liberté possible.

Chouette, c’est pas fini, encore un disque ! Le violon s’y colle, mystérieux, apaisé, nuances, redoublements, confortés par la contrebasse, marqués par la batterie qui a vêtu des balais de franche douceur et tendres rebonds. Trompette rêveuse, sax en harmonie. Bribes de mélodies inachevées, de rythmes décalés, presque réguliers. Extraits de ‘Bop’, le ‘cha-ba-da’ n’est pas loin. Cette face sera jazz ! Le groove se creuse, le ‘walking’ s’approche, on croit reconnaître des citations d’airs qui n’ont jamais été joués. Poésie ‘à la’ Christian Bobin, de celle qui rende les lecteurs et auditeurs poètes à leur tour, à leur faire sentir toute la beauté sereine du monde qui les entoure, qui les emplit, qui n’arrivent plus à faire des phrases, ni pensées, qu’avec des fleurs modestes mais présentes dans tous les coins du cadre cosmique qui contient plus que le grand Tout.

Avez vous déjà entendu telle musique où chacun va au bout de tout, sans jamais en faire trop, ni rompre le fil pourtant si ténu d’une vibration commune permanente, cependant, en jouant avec conviction, panache, force attentive et attention soutenue ! En restant toujours présent sans jamais se mettre en avant plus que nécessaire… Sans chercher l’exploit ni le challenge… Juste en harmonie constante, dans l’intuition du parfait.

Oui, triple bonheur de ce qui s’apparente à la perfection du Beau.

Un Chef-d’œuvre !

ps : ce visuel ? ne rappelle-t-il pas « l’origine du monde »…

Chez : FSR

Par : Alain Fleche

https://sluchaj.bandcamp.com/album/openness