Phare

Enregistré à Montréal en 2019 après une tournée dans le pays, c’est une musique et des interprètes bien rodés pour un disque de jazz « doux », presque classique, si ce n’était certains accords décalés, quelques accents de rage contenue, une batterie alerte, une contrebasse à l’affût, et deux soufflants qui font rien qu’à s’amuser … à nous surprendre. En fait, des musiciens de haut vol, parmi la crème de ce qui se trouve dans cette région dont on n’a pas fini de découvrir de joyeux joyaux ! Yannick Rieu ne nous est pas inconnu en France, nous avons eu la chance de l’entendre dernièrement au « Festival de Caudéran », et sommes pas près d’oublier sa magnifique prestation, pleine de joie, de tendre folie, de vie ! Un très beau son, des idées plein les doigts et l’esprit, un généreux original qui s’adapte naturellement aux partitions pointues du leader de ce disque. Jacques Kuba Seguin n’a rien à envier à son voisin de pupitre, joli son tout en nuances, virtuosité sans esbroufe et splendides chorus très personnels, douceur et énergie simultanées, de belles couleurs et des envolées sauvages. La section rythmique est à la hauteur : batterie omniprésente, en permanent devenir, sans redite ni cliché, toujours un truc à dire, un élément à rajouter, impossible aux autres de flâner. La contrebasse est plus modérée, toujours au bon endroit, même ses silences sont chargés de sens, ajoutant de la poésie aux compos de Yves Léveillé, s’il en fallait.
La musique : une balade, une promenade entre ciel et terre et eau. Manque le feu ? Il est tout intérieur ! On peut marcher dans tous les sens sans se perdre, le Phare  est là ! Centre dans le cercle de ces rêveries proposées, des spirales de pensées qui s’enchaînent, s’entrecoupent, rebondissent sur des plans différents, reviennent pour explorer de nouvelles directions. Le feu, c’est le phare. S’en approcher pour enlever une braise qui ira illuminer le reste du monde (d’auditeurs attentifs), ce qui provoque un va-et-vient continuel du cœur de la composition à son expression/extension qui peut s’en éloigner sans jamais perdre le nord.
Un disque sage avec plein de bonnes surprises, un agréable moment de flânerie au milieu d’éléments rugueux que polissent ces excellents musiciens qui nous communiquent leur joie d’être ensemble, avec de l’humour au coin d’un accord inattendu, au détour d’une suite de notes qui n’en verra pas la fin, et du swing à fleur de doigts à fleur de peaux, et de métal, à fleur d’âme. Un disque plus qu’agréable, une très bonne ambiance comme on les aime !

Yves Léveillé : Piano, compos / Yannick Rieu : Sax Soprano / Jacques Kuba Séguin : Trompette / Guy Boisvert : Contrebasse / Kevin Warren : Batterie


Par : Alain Flèche

Chez : Effendi