Exalta Calma

ALAIN BEDARD : Contrebasse, 6 compos, arrangements
FELIX STÜSSI : Piano, 2 compos
MARIO ALLARD : Sax alto et soprano
MICHEL LAMBERT : Batterie

Car Alain Bédard, producteur de disques et de concert est aussi, et surtout, un (bon) musicien ! 6e disque pour cette formation qui existe depuis 23 ans, projet parmi bien d’autres qui ne lui laissent pourtant guère de temps à consacrer à son écriture ambitieuse et à trouver les interprètes (différents sur chaque opus) qui puissent (et veulent) se frotter à ses arrangements pointus. Pour celui-ci, il s’est entouré de vieux comparses de route : un pianiste habitué de la maison “Effendi”, un batteur électron (oh combien) libre que nous avons souvent croisé avec l’altiste François Carrier, et un sax que l’on pourrait rapprocher du grand Wayne Shorter pour la rigueur et l’inventivité de son jeu. Accompagnateurs idéaux pour ce disque qui se veut contrasté (Exaltation/Calme), puisant l’inspiration de ses morceaux aux 4 coins du monde. Pourtant, sans être linéaire, l’enchaînement des titres est très cohérent et l’ambiance de l’ensemble reste plutôt paisible sans être (du tout) ennuyeux.
La musique d’Alain, appuyée par celle de Félix en totale adéquation, est : Moderne, comme il se disait dans les “60. Avec bien d’autres influences contemporaine, on perçoit, derrière l’apparence tranquille d’un son (devenu) classique, sur des tempi globalement médium, la complexité des compositions et des arrangements ciselés dans un matériau noble mais accessible, chatoyant mais pas tape à l’œil. Musique intellectuelle, car pensée, travaillée, burinée, avec des thèmes agréables sans être envahissants, se développant en spirales, se coupant et recoupant pour évoluer sur des rythmes changeants au gré des temps. Superpositions et oppositions entre la section rythmique et les mélodistes, les tempi ont un air d’incertitude, non en empilant des barres de mesure inégales, mais avec la complicité de contre-chants, contrepoints et des triolets qui allongent ou raccourcissent les battements attendus, créant ainsi une zone d’inconfort rapidement résolue par la reprise du thème si ce n’est l’un des 4 qui en profite pour envoyer un chorus, positionnant les autres sur une écoute différente, et ça suit !
Musique très complexe donc, paraissant évidente grâce au professionnalisme des participants qui relèvent avec bonheur le challenge technique. On sent de la tension, de l’attention soutenue dans l’effort commun de mise en place, un vrai casse-gueule ces partoches ! Mais on ressent surtout l’aisance de ces vrais artistes que rien n’effraie, et surtout pas de se dépasser, ce qui donne fluidité et finesse à l’ensemble, qui réclame des oreilles grandes ouvertes pour découvrir toutes les richesses de l’œuvre… sur plusieurs écoutes nécessaires. Ecoutez donc Félix qui n’oublie pas les notes bleues entre quelques acrobaties périlleuses, Mario, tout en décontraction feinte, soudé à son biniou et ne lui laissant aucun répit, Michel qui transforme sa folie coutumière pour suivre pas à pas les idées d’Alain, véritable labyrinthe musical qui n’admet aucune hésitation, et ce bon vieil Alain, tout le(s) temps sur le qui-vive, bien que totalement confiant en ses co-équipiers, qui mène le navire en maître, dirigeant, ponctuant, et nous offrant quelques chorus qui nous remémorent toute l’histoire de la contrebasse.
Le contraste est là : complexité et limpidité, exaltation intérieure qui participe au calme apparent, difficulté d’interprétation et facilité de communication, pour une musique intellectuelle pleine de sentiment et d’émotion. Car c’est bien dans la motivation que se trouve la résolution de l’épreuve, dans l’amour de la musique bien faite, bien entendu(e), dans et par l’amour de et pour l’autre, de tous les autres, que les difficultés, les contradictions et les tensions s’annulent, pour se transformer en Beauté dont nous avons tant besoin.

Ce disque, comme et parce que les 4 le sont, est beau !

Chez Effendi
Par Alain Flèche