Yes! Trio – Spring Sings

Pépite 5 étoiles

Ali Jackson : Batterie

Aaron Goldberg : Piano

Omer Avital : Contrebasse

« Spring Sings » est le troisième album en 30 ans de ces 3 musiciens d’exception. En 2019, le précédent disque « Groove du jour » a été désigné meilleur album de l’année par l’Académie du jazz, nous sommes donc réellement dans la cour des grands !

Qu’est-ce qui caractérise ce trio ? : L’amalgame unique de leurs différences, cette façon de penser le trio non pas comme deux musiciens qui servent de faire-valoir à un troisième mais comme trois cœurs et trois cerveaux battant et vibrant à l’unisson, faisant vivre le jazz avec toute son histoire en coconstruisant à six mains pour l’élever dans la modernité avec envie, intelligence et brio.

Les trois sont pourtant à priori tellement différents que la genèse de leur amitié questionne :

  • Le batteur Ali Jackson junior est un fils de jazzman (qui enregistra avec John Coltrane !). Il est issu d’une famille afro-américaine de Detroit ancrée au cœur du jazz. Il a été repéré à 12 ans par Wynton Marsalis, formé par son oncle Oliver Jackson alias Bop’s Jr. Puis par Max Roach et Elvin Jones (excusez du peu !). Il fut pendant dix ans un pilier du Jazz at Lincoln Center Orchestra (fief de Wynton Marsalis).
  • Le contrebassiste Omer Avital est israélien d’ascendances yéménite et marocaine, idéaliste et hippie. Il partit à New-York en 1992 pour le be-bop en revenant régulièrement sur les rives méditerranéennes et proche-orientales pour rester en contact avec les traditions musicales de sa terre natale et de celles de ses ancêtres. Il a appris à jouer du oud et cofondé le groupe Yémen Blues.
  • Le pianiste Aaron Goldberg est né dans une famille juive intellectuelle de Boston, il est diplômé de Harvard et démocrate affiché (a joué notamment pour Barrack Obama).

Il a performé entre autres avec Joshua Redman, Wynton Marsalis, Betty Carter ou encore Madeleine Peyroux.

Les trois musiciens se sont rencontrés dans les années 90 dans le club de jazz new-yorkais « Smalls », lieu créatif par excellence dont Omer Avital était un pilier. Ils sont devenus amis en jouant aussi bien les grands standards avec les « anciens » que la nouvelle vague musicale avec les plus jeunes pousses et en mélangeant le tout. Les boeufs jusqu’au bout de la nuit soudant ce jazz vivant aux racines respectées mais réactualisé et les soudant tous les trois par la même occasion !

Ali Jackson, le batteur, a composé la plupart des morceaux sauf 1 titre d’Omer Avital et 2 standards remodelés. Notons également la grande qualité de l’enregistrement réalisé en France (Studio Sextan).

Mes morceaux préférés :

« Spring Sings » (Ali Jackson) : Les cordes sont très présentes dès l’entame (cordes pincées pour la contrebasse) puis la batterie enchaine et répète le motif, Omer Avital saisit alors l’archet façon violoncelle, le piano coule des phrasés mélodieux, des espaces sont créés ou chacun se faufile harmonieusement puis Omer reprend en cordes pincées suggérant légèrement l’orient comme avec un oud. Puis le ton est de plus en plus groovy, la batterie cadencée, le piano reprend ses respirations plus douces. Ces « Chansons de printemps » nous promènent d’une ambiance syncopée à une ambiance plus lyrique où les cordes rivalisent de poésie sur l’archet et sur les touches. Quelle créativité !

« 2K Blues » (Ali Jackson) : Pulsation du swing, la contrebasse prend élégamment l’espace pour un solo limpide, puis le piano décolle, la batterie jongle avec hardiesse, puis les 3 jouent de plus en plus vite, c’est supersonique !

« Bass intro to Sheik Ali » (Omer Avital) Solo très orientalisant à la contrebasse où transparait le son du oud

« Sheikh Ali » (Omer Avital) : Magistraux coups de baguettes d’Ali Jackson qui génère un groove chaloupé incroyable sur lequel surfe Aaron Goldberg avec aisance et fantaisie, quelle liberté de jeu !

« The best is yet to come » : standard de 1959 de Cy Coleman pour la musique et Carolyn Leigh pour les paroles joué par Count Basie, par Bob Dylan, chanté par Sinatra (1964) et là nos 3 orfèvres l’embarquent avec une agilité swingante en twistant les tempos, la batterie menant le bal avec un drive irrésistible.

« Sancion » (Ali Jackson) : Pause plus calme pour cette mélodie, les balais se font douceur, le piano lyrique avec un leit motiv poétique, la contrebasse tendre, le tempo se fait latino tendance « saudade ». Les trois comparses sont vraiment à l’unisson. 

« Omeration » (Ali Jackson) : Le tempo est haché et enjoué, la contrebasse exubérante au feeling swing, le piano sautillant, la batterie vive aux baguettes puis aux tambours, quel plaisir que ces solos qui s’enchainent avec une énergie festive en jouant et en se jouant des tempos.

« How Deep is the Ocean » : Standard d’Irving Berlin de 1932 joué par Miles Davis, et aussi chanté par Billie Holiday. Le swing sautillant est bien là, la batterie nous offre d’abord un effet itératif des baguettes sur bord métallique des tambours puis sur les tambours eux-mêmes, le piano est vif, allègre, la contrebasse très présente.

« Shufflonzo » (Ali Jackson) : Schuffle de la « BluesMarch » des Messengers, la batterie est bien sûr aux tambours pour cette marche scandée, la contrebasse envoie des riffs bluesy et le piano virevolte.

« Fivin’ » (Ali Jackson) : En voilà encore du blues, en voilà ! Ali use et abuse du tambourin, Aaron plaque une note répétée puis deux ou trois puis s’envole, Omer gratte sa basse avec éloquence. Quelle énergie !

Bref c’est tellement réjouissant, élégant et plein de vie que je n’ai zappé aucun morceau, ce sont tous mes préférés !

Espérons pouvoir écouter ces trois-là sur scène !

Chronique de Martine Omiécinski le 05 Mars 2024

Label Jazz and People sortie le 01 Mars 2024

https://jazzandpeople.bandcamp.com/album/yes-trio-spring-sings