Almost Blue

Bernard Gallone doublebass
Lexie Hendrick vocals
Sebastien Lovato piano keyborads
Ichira Onoe Drums

  1. Almost Blue (E Costello 1982) 2. Bobooshka (Kate Bush 1980) 3. Guess Who I Saw in Paris (Buffy Sainte-Marie 1969) 4. Black Crow (Joni Mitchell 1976) 5. Hi-Lili, Hi-Lo (B Kaper / helen Deutsch 1952) 6. Free Man in Paris (Joni Mitchell 1976) 7. What Is There To Say? (Lexie Hendrick 2012) 8. Let’s Get Lost (J.MC HUGH / F.LOESSER 1943) 9. Bittersweet (David Crosby 1975) 10. Consider Me Gone (Gordon Sumner 1984)

Comme un battement d’ailes rouges à la recherche de la note bleue.

Voici un album qui sent bon le « juste pour le plaisir d’être entre amis » ! Ceci étant dit, nombreuses sont nos questions quant aux intentions purement artistiques d’un tel album. Certes de bonne tenue, il y plane un côté cabaret légèrement suranné, une ambiance vintage d’hôtel anglo-saxon plus que club de jazz. Et pourquoi vouloir faire un album Jazz quand le tout sonne plus authentiquement Pop ? Un album étape ? Une coda nostalgique ? Un going back to your roots ?

Dans son exergue, le dossier de presse reçu nous parle

de « chansons » au lieu de titre, morceau, tune… mais il il est vrai, oui s’en furent à leurs origines,
de « point communs » à tous musiciens : « se prêter à une interprétation personnelle, … nous en donnons ici notre version ». Certes, mais il faut s’entendre sur le mot même d’interprétation, nous y reviendrons,

d’amours déçus, de vies fatiguées, … alors que cet album se nomme Almost Blue, il n’est nullement fait mention de cette âme si bellement éperdue d’abîmes qu’était Chet Baker ?

Chet ne fut-il peu ou prou le créateur-passeur Jazz de cette sublime composition d’Elvis Costello ? Ah voyez cette vidéo où Chet demande au public, quelque peu survolté, de se plonger in a so quiet tune, le silence s’installe et le maître sensuel nous distille un parfum d’une rare intensité émotionnelle. Au coeur de sa fragilité expressive tout y est porté, à l’envol des notes de têtes, de corps et de queues, tout y est absolutly Blue ! Il est certain que nous aurions rêvé à la rencontre de Diana Krall (elle aussi interprète de Almost Blue) et de Chet Baker, imaginons-nous un instant ce torrent d’expressivité ! Woah !!

Cet album Almost Blue de KLGO est d’ailleurs construit sur le même instrumentarium archétypal que celui de Chet : piano, contrebasse, batterie. Ici, la voix et le jeu sensuels de Chet sont transportés par Lexie Hendrick. Même formule même effets : beaucoup d’élégance et de raffinement.

Revenons sur le terme d’interprétation. Les oeuvres du répertoire classique s’interprètent sensiblement de la même manière au regard de leurs contraintes compositionnelles obligées, seules d’infimes et subtiles variations de timbres, de gestes, de sons, se feront entendre sans grandes surprises, du moins en superficie (ne nous trompons pas).
Dans le jazz, les thèmes sont détournés dès leurs origines, aucune limite dans leurs mues. La contrainte du thème de jazz est l’encouragement immédiat à d’incessantes transmutations qui le fera vivre et revivre en interne (mélodie, rythme, arrangement innovant, …) et externe (comment le public reçoit perceptuellement telle ou telle nouvelle version).

Mais de quelles interprétations personnelles parlent ces musiciens-ci ? Plus intentionnellement que musicalement nous semble-t-il, ils s’inscrivent : 1- dans une sorte de A tribune to Chet // 2- dans le choix assumé de chansons d’artistes majeur-e-s étatsunien-ne-s assurément méconnu-e-s en France // 3- jazzifier – to jazz up dirait-on en anglais – des chansons de la sphère Pop à l’horizon du XXème siècle.

L’idée d’un tel projet est excellente mais le trio (d’accompagnement) ne décolle pas, trop sage et convenu, faute d’arrangements personnalisés et originaux. L’ensemble de l’album manque de punch, de dynamique, de créativité. Même dans une ballade, il peut y avoir de l’énergie ! Tout semble ici retenu et quelque fois au bord des possibilités techniques instrumentales et expressives.

L’ensemble des morceaux est construit sur la même architecture : thème, solo de piano, retour au thème, avec un côté old fashion dans l’accompagnement (mêmes couleurs et types d’accords) et dans les soli (recelant néanmoins de-ci de-là de très belles phrases). La contrebasse et la batterie gardant le même type de jeu, peu inventif, ils restent à l’arrière. Globalement, l’ensemble use d’un spectre d’accompagnement rétréci.

D’un point de vue technique, il me semble que la compression (si il y en a une d’ailleurs) écrase les reliefs et contrastes d’amplitudes.

La voix de Lexie Hendrick est une voix toute américaine, un beau métier you do the job Lexie ! Mais pourquoi n’improvisez-vous pas Lexie ? Vous avez un systématisme, sans doute une signature stylistique : vos phrases se terminent avec un vibrato quelque peu abondamment lyrique. Est-ce bien nécessaire en jazz ?

Petit portfolio des titres de l’album : 1- sublime ballade – solo de piano aux couleurs Evans // 2- très intéressant ostinato rythmique – une voix qui me rappelle Judy Numack – solo de piano pertinent // 3- belle ballade – solo de piano aux échappées jarrettiennes, quelques accords triadiques qui éclaircirent le propos // 4- belle ballade au tempo médium, ça décolle enfin // 5- belle valse lente, enfin un solo de contrebasse – mais pourquoi ne pas laisser la contrebasse s’exprimer sans piano ? // 6- la formation est plus authentique dans ce morceau. Un rire ! Un souvenir Pop 68, le piano électrique s’emballe, des couleurs orgue et « choeur » // 7- intro latino-binaire, mais quel rapport avec le swing médium d’après? placé seulement à la fin ça suffisait // 8- ballade binaire au tempo médium, couleurs modales // 9- la formation est plus authentique dans cette ballade d’un pas lourd très bien senti – orgue, cymbale crash en folie, double voix, donnent au tout un petit côté anglais sixties – solo de contrebasse, une batterie qui sonne vintage // 10- latino.

J’ai écouté d’abord, lu ensuite, mes intuitions se sont révélées : et si l’axe créatif de ces ballades revisitées était simplement de porter le plaisir d’une affectueuse, oserai-je dire d’une onctueuse, écoute ?

Un album à apprécier au coin du feu entre amis. Un album paisible et tendre dans lequel nombre de compositrices nous rappellent à elles, merci Lexie.

Longue vie au Quartet KLGO !

Patrick-Astrid Defossez