Vers la flamme

2ème disque pour ce duo, sorti en 2020, enregistré en Lithuanie, terre de Petras qui est connu comme pianiste classique (on voit ici que : pas que !) et c’est un professeur recherché. En face à face  avec notre multi-vents lettonien, toujours à la croisée du « classique », « contemporain » et « improvisation ».
B.Bartok est le 1er à passer à la moulinette sonore, qui eut cru que l’on pouvait le faire swinguer autant ?! Ça vire et chavire, les phrases originales sont déconstruites, puis remontées selon l’inspiration du moment, comme un meuble Ikéa sans la notice … sauf que là : ça marche ! c’est beau, car évident ! Le disque se terminera par Scriabine avec son titre éponyme : « Vers la flamme « . Tout au long, on croise Liudas avec son morceau ‘fétiche’ : « Social », puis M.K.Ciurlionis, B.Kutavicius, cela donne envie de découvrir une partie de la musique européenne pas toujours abordée par ici.
« Vers la flamme », outre Scriabine, se réfère au feu (sacré) qui animait Mc Coy Tyner et Trane. Nos duettistes s’en réclament, et on peut légitimement leur accorder cette filiation, par un jeu fort différent, certes, mais la démarche, l’intensité, le sens, l’élan (et le talent ?) s’en apparentent, peu importe le répertoire et le traitement choisi puisque selon R.Barthes :  » la paternité d’un texte n’appartient pas à celui qui l’a écrit, car chaque individu crée du sens à partir de son capital symbolique, et le texte n’est vivant que lorsqu’il est interprété. » Et Liudas d’ajouter : « Pour moi, la connexion et le processus des musiciens sont très importants dans la musique, et le concept qui a été pensé, ou le texte qui est écrit, je l’oublie souvent. La musique que nous avons choisie est comme une histoire qui ne change pas, mais nous la racontons de notre point de vue personnel. » Pour Petras : « Les principes de l’improvisation peuvent être un attachement à un sujet ou un mépris total pour celui-ci. Dans le processus créatif, vous construisez toujours une sorte de pont vers l’inconnu. Vous pouvez aussi jouer ce que vous savez, les résultats seront bons aussi, mais probablement pas pour nous ». Le répertoire est exigeant, surtout avec une orchestration minimaliste, les risques existent : « La vie et l’adrénaline qu’elle donne sont très appréciées par le musicien, et des erreurs sont parfois même attendues car elles ajoutent du plaisir au jeu. » confie Petras, et , justement, ça tombe bien, on adore les prises de risque qui obligent à se dépasser, à transformer les ‘erreurs’ en indications pour un autre parcours dans l’œuvre en cours, et puis aussi : cela permet aux auditeurs de réaliser la dimension humaine de ce que l’on tient pour des Héros (qu’ils sont et restent)!
Le feu fou furieux des grands inonde ce disque, le feu qui brûle les codes établis et l’esprit des faibles. Le feu illumine l’esprit collectif des 2 alchimistes du son présents ici, un feu entretenu, alimenté et contenu, autant que libre et précieux, un feu qui nourrit les étoiles, feu de transe qui élève les esprits forts et réchauffe les autres. Un disque idéal pour ce début d’automne !

PETRAS GENUISAS : Piano / LIUDAS MOCKUNAS : Clarinette contrebasse, saxophones soprano, sopranino, baryton, basse et ténor
Invités : SIMONAS KAUPINIS : Tuba  / META PELEGRIMAITE : Flûte

Chez : ImproDimensija Records
Par : Alain Fleche