Mathis Klaine – Odyssey

[DÉCOUVERTE] Terre fertile en matière de musique, et de jazz en particulier, le Grand – Est foisonne de concerts, de festivals, et surtout de talents très inspirés, parmi lesquels la jeune génération a sa place, se faufilant parmi les aînés, afin de proposer d’intéressants projets. C’est le cas de Mathis Klaine, jeune pianiste originaire de Metz, qui n’en est pas à son coup d’essai, pour avoir déjà pratiqué plusieurs formats de groupes. Ainsi c’est à bord d’un sextet que nous embarquons pour « Odyssey », Mathis Klaine (Piano, Fender Rhodes, Compositions) ayant réuni autour de lui ses complices Marc Stehlin (Trompette), Quentin Thomas (Saxophones), Vincent Wilquin (Guitare), Emmanuel Abdul (Basse) et Jules Emering (Batterie). Il retrouve par ailleurs son trompettiste au sein du quintet Sesam, du duo Enola et du Cactus Quartet, ce dernier groupe voyant aussi la participation de son batteur ! Un emploi du temps décidemment très chargé pour ces vaillants messins !

L’album s’ouvre par les riches entrelacs du bref morceau titre, qui traduit déjà en sons la mystérieuse beauté de la vague qui orne la pochette, que nous devons à Fabien Darley. Nous voici alors entraînés dans les turbulents remous du fleuve canadien « Yukon », la crête de ses flots irisée de notes d’or, dont ce sextet de chercheurs a trouvé le filon, et en dévoile avec ferveur le secret, l’occasion de découvrir la force interactive de ce groupe, son inspiration, et de se régaler de superbes chorus, de Fender Rhodes d’abord, puis de guitare. Après ce réjouissant tumulte, la douceur du piano solo nous invite dans le délicat « Interlude », une pièce intime dont la beauté pure et intacte nous téléporte en quelques souvenirs méditatifs à l’esprit « ECM », que la photo de couverture évoque aussi.

Beaucoup d’électricité dans le redoutable « Volta » qui nous saisit, mu par une puissance rock qui pousse le morceau vers l’avant. Rythmique, piano et soufflants s’en donnent à cœur joie, les solos se succédant à l’envi. Surviennent même par endroits des électrochocs en forme de breaks, rappelant un peu le célèbre riff de « Smoke on The water » hymne du groupe Deep Purple, notamment juste avant que le comédien Didier Benini ne lise de saisissante façon – il a un peu la voix de Léo Ferré – un extrait d’ « Affluence », très beau texte de poésie écologique engagée signé Marc Stehlin, qui figure dans les notes.

Suit l’émouvant « Ienisseï », l’une des pièces maîtresses du disque, un chant d’amour pour l’imposant fleuve russe malade de la pollution, un thème d’espoir habité de riches interventions de basse interrogative et de trompette lyrique, ainsi que de la voix du cœur de Camille Cartier. La lecture du texte est reprise dans « Affluence » (le morceau) qui lui succède, prolongement d’une ambiance onirique nu-jazz nordique, poignante, vaste, propice à une vraie prise de conscience, c’est ce qu’il faut !  

Encore une marée d’émotions avec les deux compositions qui referment le livre de bord de ce trépidant voyage ! D’abord « Tidal » qui tourbillonne d’une eau inquiète, dont les ronds sont déformés par l’angoisse. Entrelacs de scintillements cristallins de cymbales, de basse grondante comme l’orage, de guitare saturée qui lâche quelques envolées acides, rejointe par les traits incandescents comme fondus de trompette et saxophone, le tout sur fond de nappes de Fender Rhodes évadées d’une bo seventies, un solo de batterie aussi imparable que l’éclair ayant finalement raison de ce bouillonnement ! Pour clôturer cette singulière odyssée, voici un hommage très touchant au « Drâa », fleuve marocain devenu presqu’exsangue de son eau dont on le dépouille. Au début, la musique est d’une grande douceur mélancolique, quelques instants méditatifs, qui se transforment peu à peu en une marche inexorable à l’unisson. Elle ne tardera pas à laisser le rythme reprendre sa place, en un remarquable envol de tous, un feu d’artifice où se libère par des chorus qui fusent de toutes parts, une révolte sonore des plus inattendue, qui sur la fin trouvera répit, dans les bras d’une sérénité réfléchie.

Servi par un superbe son, cet album nous a conquis par la qualité de son écriture, et celle de sa musique, porteuse d’un message humaniste vital, transmis d’une âme collective par tous ces épatants musiciens.       

Par Dom Imonk

@Mathis Klaine – 2023

Sound design : Yacine Belmahi

Enregistré, mixé et masterisé par Mathieu Pelletier au Downtown Studios.

Produit par Mathis Klaine & Yacine Belmahi.

https://mathisklaine.bandcamp.com/album/odyssey

https://www.facebook.com/undeuxtrois.quatrecincsix