Reborn

[EVENEMENT] Tel un explorateur inlassable, Aldo Romano a accompli plusieurs tours du monde, sans jamais oublier ses racines, et a navigué sur bien des courants jazz, de tourbillons free, téméraires et enivrants en eaux plus pacifiques et méditatives. Le Triton, label, mais aussi club de jazz devenu pour lui un vrai port d’attache, il y enregistra précédemment « Liberi Sumus » (2014) et « Mélodies en noir & blanc » (2017), l’accueillait une nouvelle fois pour quatre concerts en mai 2019. Reborn en restitue les grands moments. La photo de couverture, due à Julien Vivante, l’un des hôtes du lieu, a de manière saisissante capté l’expression du regard énigmatique du maestro : Un sourire à peine esquissé, qui peut à la fois signifier « vous allez voir ce que vous allez voir !», ou au contraire trahir l’interrogation inquiète et songeuse des grands musiciens, sur le mystère de l’improvisation, et de la créativité mélodique instantanée, le hasard de la danse d’altitude du funambule sur son fil. Comme le note Aldo Romano : « Les musiques naissent et meurent si on ne les joue pas. Et puis, elles renaissent quand de merveilleux musiciens les ressuscitent, leur redonnent vie ».  C’est ce qu’offre cet album, en dix thèmes, pour plus de la moitié de son cru, qui revivent une nouvelle aventure, grâce aux prestigieuses figures, conviées à ce festin. Il y a les compagnons de route, Henri Texier, dont le grondement généreux de contrebasse, tel le pouls d’une horloge imperturbable, et son verbe sobre et touchant, ouvrent l’album sur le magnifique Annobón tiré de Carnet de Routes ; les frères de racines, Enrico Rava et Mauro Negri, la trompette de l’un et la clarinette de l’autre peignant chacune des couleurs italiennes sensuelles, dont la douce mélancolie émeut. Ancien passager du Palatino, Glenn Ferris est également de la fête, partageant son guilleret « Sud-Ouest jump », rejoint par Michel Benita, qui fut aussi du voyage palatin, et par Yoann Loustalot qui, d’un souffle limpide et feutré, occupe le siège de Paolo Fresu, nos compères ainsi réunis, ne se privant d’ailleurs pas de fumer allègrement quelques-uns des « Twenty small cigars » de Frank Zappa, avec lequel le tromboniste collabora un temps. Sur l’envoutant « Il Piacere », notre leader retrouve Jasper Van’t Hof dont le jeu électronique l’avait alors ébloui, lors d’une tournée aux côtés de Jean-Luc Ponty. Aldo Romano s’est toujours intéressé à la génération « suivante », comme par exemple à Michel Petrucciani, avec lequel il enregistra quelques albums importants, et dont on célébrait les vingt ans de la disparition en 2019. Et puisqu’il est question de pianiste, sachez que Baptiste Trotignon, admiré du batteur, est présent sur six titres. Il nous touche par un jeu d’une finesse et d’une tendresse qui tirent les larmes, en particulier sur « Dreams and Waters » et « Positano », alors que le voici plus hardi sur deux standards, « Dear old Stockholm » d’Anders Fryxell, et « Darn that Dream » de Jimmy Van Heusen, qui clôt l’album. La magie de ces thèmes repose aussi sur la rythmique sans faille d’un Darryll Hall au zénith de son art, morceaux que transpercent par endroits les brûlants éclairs d’Enrico Rava, maitre ès émotion. Enfin Aldo Romano a aussi invité sur trois titres, celle qu’il nomme « l’étoile », une Géraldine Laurent magnifique d’à-propos et de sensibilité, en unissons passionnels avec la clarinette de Mauro Negri, un irrésistible feeling jaillissant de toute part. Au cœur de cette exaltante célébration, le jeu d’Aldo Romano catalyse l’ensemble, intemporel et unique, capable de tout, ouvert grand angle à l’expérimentation sensorielle, comme le fut Paul Motian. Écoutez son solo sur « Spring Tide », une merveille d’orfèvrerie. Des espaces de liberté lumineuse s’ouvrent en l’instant, propices à des frémissements intuitifs de cymbales aurifères, à peine heurtées, entrecroisant caresses des peaux, et impacts presque imperceptibles, qui créent un « chant » rythmique très personnel. Mention spéciale enfin, au son épatant de Jacques Vivante.  

À chaque fois, on pourrait s’imaginer Aldo Romano assis sur le sable encore chaud, face aux flots argentés de l’océan, en train de scruter l’horizon, pour observer un « rayon vert », semblable à celui de Jules Vernes, moment furtif, où la légende dit que l’on peut alors déceler dans les cœurs, l’amour, ce dont ce très beau Reborn regorge !

Aldo Romano (Batterie, compositions)

Jasper Van’t Hof (Piano, claviers)

Baptiste Trotignon (Piano)

Henri Texier, Michel Benita et Daryll Hall (Contrebasse)

Mauro Negri (Clarinette)

Glenn Ferris (Trombone)

Géraldine Laurent (Saxophone alto)

Enrico Rava  et Yoann Loustalot (Trompette)

Prise de son, mixage : Jacques Vivante

Mastering : Philippe Teissier Du Cros

Photo, cover art : Julien Vivante

PAO : AGC

Enregistré live au Triton les 4, 11 17 et 25 mai 2019.

Par Dom Imonk

 Le Triton/L’Autre distribution

www.letriton.com