OuLiPo Quartet – Songs for Louisa

Laurent Bonnot : Basse, Compositions
Christophe Monniot : Sax Alto
Ricardo Izquierdo : Sax Ténor
Eric Echampard : Batterie

Il y a peu, il était rare de trouver des (contre)bassistes relevant le défi de leader, et d’enregistrer. Le fait devient commun aujourd’hui, ce qui n’est que légitime depuis que la basse eut quitté le rôle de gardien du tempo par l’emploi fréquent du « walking basse ». La base rythmique Et harmonique s’est émancipée des vieux codes, grâce à de fiers innovateurs, pour devenir un instrument avec sa propre indépendance, hors notion d »utilité’. En l’occurrence, Laurent Bonnot assure ici la partie harmonique, (en)chantante. Challenge atypique, largement développé surtout dans le milieu rock où la basse électrique prévaut. Le patern du projet emprunte sa directive au mouvement littéraire l’Ou(vroir de)Li(ttérature)Po(tentielle), mouvement créé par un mathématicien et R.Queneau, qui est une tentative d’exploration méthodique des potentialités de la langue, donc de la communication… dont de la musique ! Dont acte : les liberté de composition et d’improvisation sont encore élargies, les métriques différentes se multiplient (ici : sur chaque mesure), ce qui empêche de s’endormir sur des repères figés, sans pour autant se perdre dans la confusion, grâce aux mélodies indépendantes de ce nouveau découpage. Et, aux instrumentistes de s’adapter !
La partie stricto-rythmique est dévolue à Eric Echampard, formé à l’école contemporaine (percussions chez Xenakis, Aperghis..), avant de plonger dans le jazz contemporain avec B.Struber, puis J.Di Donato, F.Corneloup, M.Ducret, A.Emler… Chaque mesure est l’occasion de balancer une nouvelle idée, un autre beat qui vont influer sur le jeu des sax’s…
… qui ne manquent aucune balle ! plaisir de retrouver le lunaire et débonnaire Christophe Monniot, rompu à toute forme d’innovation, aussi à l’aise dans l’espace des balades que dans le swing le plus ébouriffé. Ici, contrepoint, tutti, comparse, miroir et attaquant du grand Ricardo Izquierdo, dont nous avons largement parlé lors de la sortie de son excellent dernier disque dans ces colonnes : ‘Kikun pelu mi wa’.
L’album démarre sur un thème mélodique très rock qui n’est pas sans rappeler l’impact de la basse électrique de G.Lake chez King Crimson, où les chansons sont restées gravées dans la mémoire des jeunes de ces temps-là. Tout est en place, gros son de basse appuyée de la batterie qui sait aussi se faire discete,pendant que les sax’s s’accordent … à ne rien lâcher de leur propre individualité, seuls, ensemble, visions du vieux et du nouveau monde, même si leur principale occupation est de vivre au/le présent, et que les racines ethniques du cubain ne se découvrent qu’en filigrane
Une jolie balade illustre l’hommage du 2ème titre, encore une dédicace familiale où se mélangent les tonalités majeur/mineur, faisant naître l’ambiguïté d’alternance Joie/mélancolie.
Puis, on entre dans le cœur du propos. La rythmique marque l’intention de faire danser les notes, ça tourne, ça transe ! les sax’s se lancent en discussion, ça s’énerve, ça se marche dessus, ça vocifère, c’est pour de rire, on les sent se marrer des blagues qu’ils se font.
Le ‘chase’ se poursuit, sous l’attention soutenue du bassiste, bien secondé de la réactivité du batteur. Le son autant que le jeu personnels de chaque sax aide à suivre leurs discussions débridées, concertées, concentrées, animées, joyeuses et toujours passionnantes. On suit attentivement les tentatives réussies de mélanges de métriques, d’ambiances jamais stabilisées, des pas de danse esquissés, la musique est libre d’esprit, de sens. Elle respire, ses inspirations nous emmènent dans des contrées secrètes, des couleurs, des formes inconnues, les expirations nous balancent sur le sable fin de nos doutes envers nos certitudes qui s’effritent.
Au cœur du disque, un solo de basse, en équilibre, entre avant et après. Plus loin, les fantômes du rock américain sont convoqués, riffs rageurs sur sax’s virtuoses, effets pédales ’70, vibrato…
Voici encore une balade, acidulée, trip d’acide, le silence entre chaque note est vibratoire, espace dilaté, respiration naturelle de la basse pour s’y accrocher pendant que l’alto s’échappe dans le cosmos, devisant avec son pote le ténor.
Pour finir, finaliser ce trop court évènement, retour à la lumière du jour, place au soleil latin.Une tourne toute ronde avec des temps réguliers, sereins, chacun y allant de son tour de ronde, pour un peu : en se tenant par la main. Juste pour nous féliciter d’avoir tout suivi sans (se) poser de question, sans se laisser prendre au sérieux dans les méandres de labyrinthes fabriqués pour se perdre, et accepter de perdre, un instant la raison, en lâchant prise, se laisser porter, emporter ailleurs, et voyager
Inouï ! inoubliable le voyage ! Merci les 4 artistes !

Chez : Juste une TRACE
Par : Alain Fleche