Peace of mine

Par Vince

En 2018, lorsqu’elle reprenait le titre « Everybody’s Got To Learn Sometimes » du groupe The Korgis (1992) Laura Prince m’avait laissé un excellent souvenir. Quelques confinements plus tard… elle fait son apparition avec un album jazz juste sublime, d’une grande élégance et d’une maturité incroyables.

L’univers de Laura Prince, auteur et interprète, semble être nourri de multiples influences qui font d’elle une véritable chanteuse et musicienne. Ses covers sur Youtube vous la feront découvrir dans des registres pop et jazz, interprétant au piano, Michael Jackson, Nora Jones ou le mythique « Bagdad cafe » de Jevetta Steele. Or, cet album ne sonne ni pop ni rock, mais résolument jazz, celui que l’on aime, métissé, un brin secret, un peu farouche, singulier, innovant, parfois déroutant, mais toujours gracieux.

Cette grâce, la jeune Laura Prince l’incarne titre après titre, dans un registre vocal riche qui ne cherche pas à imiter, à surjouer, à faire démonstration d’une quelconque technique, mais qui chemine sobrement sur ses mélodies judicieusement arrangées par Grégory Privat.

Pour vous donner envie de découvrir ce nouveau bijou à pendre à vos oreilles, je pourrais oser quelques similitudes avec des chanteuses déjà installées dans la cour des grandes : le titre « Save Me » m’évoque la décennie Brazilian Heart de Dianne Reeves, nourrie de percussions caribéennes, « In your eyes » pourrait être interprété par la voix chaude et mezzo de la délicieuse Robin McKelle, « Scared of Dark » me rappelle le phrasé léger et syncopé de Gretchen Parlato, notamment… volontairement ou pas, « Peace of Mine » est un kaléidoscope du jazz vocal contemporain qui ne demande qu’à atteindre la notoriété des grandes dames ce cet art délicat.

Les thèmes écrits par Laura Prince sont riches et directs, certainement puisés au plus profond de son âme et de ses fêlures. Pour ce premier album, Laura s’est entourée de Grégory Privat, le jeune pianiste martiniquais devenu incontournable sur la scène jazz internationale (Lars Danielsson, David Lynx) qui lui offre le seul titre qu’elle ne compose pas dans ce CD, « Amazonia ». Dans la veine du projet « Soley », le pianiste-arrangeur a décidé d’utiliser sa voix et son Fender saturé sur ce titre qui contraste avec l’ensemble du récit, sans choquer pour autant.

Dans son sillage, Grégory aura associé au casting, son compère antillais Tilo Bertholo à la batterie ; le tempo n’est pas son seul atout, c’est un véritable metteur en rythmes, que chaque titre permet d’apprécier. La carrière de ce dernier pourrait faire des jaloux : Mario Canonge, Michel Alibo, Kellylee Evans, notamment ! Quant au bassiste, Zacharie Abraham, il commence sa carrière de contrebassiste de jazz en 2004 dans le groupe Thomas Enhco & co puis accompagne régulièrement Didier Lockwood. Son jeu sobre et précis sert à merveille les phrases mélodiques du trio voix, batterie, piano. Enfin, Inor Sotolongo, le percussionniste cubain dont la liste de références fait pâlir (Omar Sosa, Roberto Fonseca, Herbie Hancock, Michel Camilo, Dee Dee Bridgewater, Daniel Mille…) saupoudre sur l’ensemble, un je ne sais quoi de tribal, d’ethno jazz, de caraïbe, d’Afrique, çà et là, juste comme il faut où il faut.

Cerise sur la galette, le quatuor à cordes vient aux bons moments souligner le vibrato de la voix sur les morceaux lents et profonds (Scared of Dark, Peace of Mine).

Enfin, comme une Laura Prince ne serait rien sans son chevalier et son Château… prenez le temps de visionner la vidéo de « In your eyes » ; vous y découvrirez le beau chevalier Privat chevauchant son piano au milieu des vignes du Château La Peyruche à Langoiran ! à déguster lui aussi sans Maud et Ration (toujours les deux mêmes).

Avec Laura Prince, la France a certainement trouvé sa Kandace Springs « bleu blanc jazz », celle qui manifestement lui manquait.

Label Jazz Family/CDZ