Pierre Perchaud

Pierre Perchaud

18/09/2022 – Eglise de Trois Palis – 11h
Pierre Perchaud, guitares

On peut fermer les yeux dès la première note : Pierre Perchaud nous invite à la pénombre, et les branches jouant avec la lumière, dans cette église… sûrement qu’un cours d’eau serpente doucement, peut-être sont-ce ses méandres qui distillent la mélancolie. Un chant susurré s’élève, prolongement du musicien, corde sensible…

La guitare chinoise que prend Pierre évoque une scène entre représentation codifiée et nature saisie au vol ; le Temps devient gestuelle suspendue ou saccadée ou encore ralentie. Un autre temps, un autre espace.

La guitare classique reprise est un roseau pensant, penché au gré de la brise et de nos états d’âme. Nous refermons les yeux, pénétrons doucement dans le silence méditatif de la musique, vous savez quand les accords si délicatement composés laissent la pensée cheminer, se perdre.

Pierre Perchaud passe à la guitare électrique.  Pas de liens avec les deux autres ? Et pourtant…le grondement épileptique reste introspectif : la musique actuelle autour de l’inquiétude l’installe, le questionne. Rock désabusé, morcelé en émerge, bluesé. La guitare semble entrer dans son thorax pour que résonne encore plus fort que l’amplification l’extrême tension, expression vive de son inventivité, en hommage à Paul McCartney, Maybe I’m Amazed

Les notes, une à une, sont autant de perles offertes à l’écoute. Il en fait ici un collier infini tressé autour de nos cous. Une douce mélodie après avoir été submergée par une irritation électrique, laisse entrevoir un blues aux contours variés.

Pierre amplifie ensuite l’écho d’un bol tibétain et y fait correspondre les notes de sa guitare juste déformées par son toucher délicat, ondes se multipliant jusqu’à n’en plus voir que les courbes, poétiques, mystiques. L’effet sonore maintient de fines ridules puisque une traversée est à faire – prenons une barque et laissons glisser la main abandonnée à la musique aquatique ou céleste, question d’horizon. Et si des larmes coulent, ça ne se verra pas. Au bout, la joie et ses reflets changeants, quelques notes, quelques notes dans l’éther ?

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François Corneloup

François Corneloup

Foyer communal de Trois Palis – 17h
François Corneloup, saxophone

François Corneloup commence comme un héron démarrerait son vol : précaution et ampleur mêlées pour l’étalement des ailes, majesté, équilibre mesuré dans la montée, placement subtil dans les courants ascendants et descendants. Et puis, là-haut, l’envergure et l’agilité forment traces entre deux cieux.

Revenons à la musique puisqu’il s’agit bien de cela, de ce morceau patiemment sculpté apparaît un swing au tempo alerte puis, conjuguant deux voix, l’une mélodique, débordant tant que possible l’autre, rythmique. Les deux superposées dans une flamboyante discussion qui s’évapore peu à peu, juste balancement du jazz à sa racine, presque le souffle dans un bambou.

 François Corneloup danse comme son sax baryton autour de toutes les circonvolutions qu’il provoque, montée en puissance de l’instrument comme une voix insurgée, consciemment hystérisée. Colère peut-être, désir des extrêmes ; pousser les limites, attaquer les frontières. Et par-dessus, l’expression plus à nue des sensations, de la liberté de la composition des sons, de leur fantaisie habilement construite : dépassant les codes en les exténuant, les terrassant, le tempo rôde toujours, réexploité sans cesse, enrichi, inépuisable… comme François Corneloup !

Misterioso juste un peu décomposé pour en entendre toute la saveur, et dans le sillage ainsi redessiné, planter  à nouveau les graines nourricières de l’improvisation, les faire germer et grandir sous nos yeux.

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La Litanie des cimes

Foyer communal de Trois Palis – 18h30
Bruno Ducret, violoncelle
Clément Janinet, violon
Elodie Pasquier, clarinettes

Après un chant country à la voix granuleuse – que les existences sont lourdes – accompagné par un violon compatissant, le violoncelle prend une voix éraillée, et l’on passe dans la traduction musicale de vies broyées, violon, violoncelle rayés par l’usure, les injustices, choeur souterrain ; de la clarinette s’élève une lamentation délicate et pourtant acharnée.

Le violon prend la main comme derrière un voile, sa complainte semble atténuée, mais n’en trouve  que plus de force s’inscrivant dans la mémoire à la dérobée. C’est une musique des anciens temps d’aujourd’hui, inclassable. Quelle bonne nouvelle. Les instruments se transforment en cliquetis. Les musiques traditionnelles sont projetées dans les obsessions répétitives actuelles, le mariage a lieu, c’est indéniable. On ne sait pas dans quel espace on se trouve, ailleurs certainement, voyage aux sources dans le temps immédiat.

Solo du violoncelle dont le jeu a la beauté de l’étrange, mi-guitare, rattrapé par le violon, il bat la mesure du temps, la clarinette les suit. Tous trois représentent une immense horloge dont les secondes sonores défileraient, plus ou moins régulières.

Pour finir, atterrissage direct en terre malienne -glissements de violon et violoncelle, comment font-ils allez savoir- pour un hommage qui redécolle vers d’autres contrées, enrichi du souvenir.  Ils s’amusent ici de leurs inventions, sifflet, cuillère en bois et autres détournements, et ça fait du bien.

En rappel, légère tempête du côté des cordes pendant que la brise souffle par la clarinette, s’intensifiant par secousses, ayant hâte de les rejoindre quand ce sera pour une accalmie commune. On peut y voir aussi une ronde folle, un tourbillon, le murmure gourmand des esprits dans les roches, sur les cimes, c’est vous dire…

Le festival Jazz (s) à Trois Palis, Bruno Tocanne et son équipe,  avec ses musiciens finement choisis nous maintiennent plus que jamais en espérance…merci !

Par Anne Maurellet, photos Jean-Michel Meyre