Festival Sons d’été Rocher de Palmer – Jeudi 15 juillet 2021
Liberté, Égalité, Fraternité, Musicalité
Chronique du concert et interview exclusive d’Eric Legnini pour Action Jazz

24 heures après les traditionnels feux d’artifices et défilés, le Rocher de Palmer est le théâtre d’un cortège de pianistes qui va mettre le feu aux poudres et à la désormais célèbre « salle 650 ».

Liberté, l’essence même du jazz et l’anticonformisme du format à 2 pianos et 2 Fender Rhodes.

Égalité sur la forme et le fonds : une composition de chaque musicien qui passe à tour de rôle du piano acoustique à l’électrique.

Fraternité évidente transpirant de la joyeuse complicité de ces mousquetaires du clavier.

Quant à la musicalité, nous y voici.

Sur l’affiche, 4 grands noms du piano, réunis cela fait forcément rêver. Le risque c’est l’overdose ! Trop de notes, trop de chorus, de richesse, de densité, de démonstration peut-être ?

Dès le premier morceau (« La lenteur » de Pierre de Bethmann), le ton est donné ; éloquence d’un propos clair et direct, connivence totale, écoute mutuelle et précision dans une ambiance toute joyeuse. Au son acoustique des 2 pianos, les 2 Fender Rhodes apportent chaleur et profondeur, percussion et timbre cristallin… tout un orchestre de touches se meut sous les 40 doigts de ce millepatte musical à 4 têtes.

Suit « Boda Boda », un tube très enlevé d’Éric Legnini. Plus aucun doute ! Chacun est tour à tour leader puis accompagnateur ; une conversation à huit mains et aux possibilités infinies se déroule sous nos yeux, dans un langage d’une absolue limpidité. Rien n’est surdosé, surjoué, excessif, sans être non plus banal… tout est d’une absolue justesse. Éric applaudit ses comparses, Bojan lui sourit, le plaisir de jouer éclabousse la scène.

Le quartet poursuit avec « Moods », un titre de Baptiste Trotignon, citant au passage Herbie Hancock et son fameux Butterfly. Après un blues de Charlie Parker et un nouveau mouvement de chaises musicales, Bojan au piano côté cour, Baptiste côté jardin, Éric et Pierre aux Fenders, commence le thème « Ritratto in bianco e nero » de Carlos Jobim, le maitre de la bossa.

La composition « Seeds » de Bojan Z précède le célébrissime « Caravan » de Duke Ellington sur lequel chacun peut s’en donner à cœur joie. « Chorinho », une bossa rapide du regretté Lyle Mays (fidèle compère de Pat Metheny et prolifique compositeur), nos 4 fantastiques, super héros du clavier, se paient tous les luxes ; unissons, digressions, chorus, accompagnements, percussions… sans jamais se gêner, donnant à l’ensemble les caractéristiques d’une œuvre à la fois magistrale et accessible.

Pour le rappel, oh surprise… « We are the champions » de Queen… terminé en chantant dans un éclat de rire général qui décolla les spectateurs de leurs sièges.

Ebouriffant, autant qu’abordable, le programme combinant compositions originales et standards, montre que ces 4 antistars du piano savent sublimer l’art de l’improvisation et allier les sonorités, qui sont au fond l’essence même du jazz.

Pour second rappel le quartet interprète « an angel » d’Egberto Gismonti… un ange passe (mais pas sanitaire).

Encore sous le charme de cette divine ballade, j’invite Éric Legnini à me rejoindre pour nous en dire plus sur ce formidable projet « Pianoforte ».

Vince : D’où est partie l’idée ?

Éric Legnini : Reno Di Matteo (Anteprima productions) qui est notre agent avec Baptiste (Trotignon) depuis toujours avait cette idée en tête et il a décidé de faire une création à Tourcoing au festival de jazz (à l’automne 2019) avec ce groupe et le line up est venu très très vite. En fait, on se connaît tous très bien du Paris au milieu des années 90. Moi je suis arrivé un petit peu avant avec Bojan, Pierre (de Bethmann) était déjà là avec Prysm et les collectifs de nuit blanche. On a tous un historique un passif ensemble c’est évident finalement qu’on se retrouve dans ce groupe. Même si on a des personnalités différentes ça joue naturellement, c’est vraiment facile et agréable de jouer.

A la base tu vois, que du piano j’ai toujours refusé. Faire des duos de piano ce n’était absolument pas mon truc, j’aime pas ça, ça fait trop de piano et là je trouvais qu’on avait une bonne raison parce qu’on est vraiment tous très proches pour tenter l’histoire. Cela a été un tel plaisir de jouer ensemble et qu’on a décidé de reporter l’expérience et puis les festivals ont trouvé ça intéressant et on a commencé à se produire. Avec le concert de reprise de la Philharmonie à Paris, il y a eu des supers images sur Arte et donc il y avait un support qui a lancé la tournée.

Vince : Quel est l’état d’esprit qui règne quand vous êtes ensemble ?

Éric Legnini : Comme je te le disais, ça joue naturellement, il n’y a pas de problème d’ego là-dedans. L’état d’esprit c’est l’écoute l’humeur, la concentration, l’humour, l’amour parce que cette écoute vient aussi de là. C’est le respect, l’amour d’être ensemble et de jouer, c’est un peu tous ces sentiments ou cette approche de l’instrument. Ce soir je crois que c’était vraiment un bon concert parce qu’il y a eu des moments où il avait vraiment peu de musique, peu de piano en même temps, avec plus d’écoute, plus de silences. Je trouve que c’est un concert qui était assez construit peut être plus construit que d’habitude. Tu vois on est souvent un petit peu au taquet et il y a une énergie qui est très haute dès le début et là je trouve qu’il a eu un petit un bild up quoi, une progression intéressante, du coup de l’espace s’est libéré et j’ai vrai que ça mettait en mood intéressant.

Vince : comment s’est fait le choix des titres ?

Éric Legnini : C’était très simple, on avait tous envie, du type même de la formation et des personnalités de chacun, d’au moins jouer un morceau de chacun de nous. On a proposé des morceaux et puis en fonction des morceaux proposés on a choisi collégialement. Et puis on a fait le choix de quand même intégrer le répertoire du jazz tu vois, comme Duke Ellington, le blues de Charlie Parker qui sont des morceaux assez ouverts auxquels tu peux donner la couleur qui s’adapte à ce type de formation. Le morceau de Lyle Mays, c’est Baptiste qui l’a proposé. C’est un pianiste qu’on connait tous très bien et qu’on aime beaucoup. Sur ce morceau il peut y avoir des unissons, des accompagnements et la structure du morceau, l’architecture fait que tu peux vraiment jouer, c’est très riche harmoniquement, c’est très agréable.

Vince : Qu’est ce qui est plus difficile pour vous dans ce genre exercice

Éric Legnini : Ce qui est le plus difficile c’est d’arriver à ne pas jouer, c’est l’écoute de l’autre, c’est ça qui est difficile. C’est une formule ou tu es toujours un petit peu excité, il y a de l’adrénaline, mais non quoi. Il y a aussi le son et ce n’est pas toujours évident parce qu’on est acoustique sur scène et le rapport entre le piano et le Fender qui est amplifié n’est pas toujours équitable. Du coup, l’écoute a toute son importance et aussi malheureusement souvent les acoustiques des salles. Ce soir on a mis un tout petit peu de temps pour vraiment trouver le bon compromis. Sur le Fender si tu as un volume à 6 ou 5 ça fait vraiment la différence tu vois, tu checkes pour arriver à trouver le bon le bon rapport. Oui, donc la difficulté c’est de d’en mettre un peu moins, de ne pas trop jouer c’est vraiment une difficulté. Le fait d’être à l’écoute implique aussi de savoir ne pas nécessairement jouer et répondre à ce que ce qui est proposé et ça dans tous les cas de figure, c’est difficile mais là particulièrement parce qu’il y a cette adrénaline en début de concert. Il faut être attentif.

Vince : Comment vous avez construit les échanges ?

Éric Legnini : Les échanges sont toujours improvisés. Le gros du programme est convenu, on sait plus ou moins ce qui se passe mais il y a vraiment à chaque morceau des surprises parce que quelqu’un prend plus la parole et dirige un petit peu le débat. Cela influe sur le sur le cours du morceau et c’est tout ce qui est passionnant dans le jazz. La vibe peut être différente, l’inspiration peut être différente. Ce soir avec le public il y avait vraiment une magnifique énergie qu’on a ressentie, qui fait qu’on était bien. Il y avait une écoute, un super feeling donc ça te donne une belle énergie pour jouer, ça te pousse à jouer et ça transforme un peu ta concentration et c’est important aussi ; on ne joue pas seuls.

J’ai eu la chance de faire plusieurs concerts ici et il y a souvent un bon retour du public, il y a une écoute, il y a une énergie, et même si le mot n’est pas adapté, ils sont en communion. Enfin tu vois ça a un côté religieux que je n’aime pas mais c’est une forme de communion qui est intéressante, une résonnance avec ce que l’on joue.

Vince : Qui est le plus facétieux de vous 4 ?

Éric Legnini : Bojan ! Bojan a son caractère mais c’est aussi sa personnalité et ce qui fait son charme quoi. C’est le plus extraverti mais on l’aime beaucoup.

Vince : Qui choisit le vin quand vous êtes au resto ?

Éric Legnini : C’est moi qui leur impose mes goûts douteux pour le vin.

Vince : Non, je ne crois pas qu’ils soient douteux

Éric Legnini : Je ne suis pas sûr non moi non plus et ça commence à se savoir.

Pour information Éric est aussi un amateur avisé de grands vins, qu’on se le dise ! Un grand merci à lui pour le temps qu’il m’a accordé pour cette interview conviviale et sincère, toute à son image.

https://www.arte.tv/en/videos/104935-002-A/pianoforte/

Concert donné le 22 juillet 2021 au Marseille Jazz des 5 continents (Paul Lay remplace Pierre de Bethmann)

Signé : Vince