Unrulers

Stina Hellberg Agback : Harpe / Simon Svärd : Guitare Lap Steel / Karl Jansson : Batterie
Örjan Hultén : Saxophone / Tove Brandt : Basse / Daniel Olsson : Batterie

En direct du bastion de la scène actuelle suédoise (Uppsala, où se sont arrêtés maint jazzmen étrangers lassés des conventions imposées), premier disque d’un double trio en forme de sextet, tendance free mais pas que. Il y a aussi des bouts de vraies mélodies là-d’dans ! Mais comme ils ont décidé d’être désobéissants, les cartes (et partitions) sont constamment brouillées, ce qui empêche une écoute confortable, mais maintient l’auditeur en alerte permanente. Chouette, pas besoin d’apprécier les bastions légendaires du jazz ‘made in’ Grand Nord pour s’embarquer dans ce voyage à travers l’univers du Présent. Un son sauvage, limite cacophonique qui se transforme en balade paisible, en groove funky, transe spirituelle, voyage floydien ou expérience psychédélique. L’ordre se dégage de la gangue du chaos… et y retourne. Certes, le concept est un peu décousu, le fil rouge reste dans l’orchestration, constamment mouvante, avec des instruments qui changent de place, mais il y a un son. Un son hurleur ou cajoleur qui fait rien qu’à casser les règles sans les remplacer.
Deux trio donc, qui se font face ou côte à côte, indépendants ou/et réunis. La distribution des rôles est aléatoire, chaque instrument peut être mélodique, percussif, fou ou sage, et toujours tempéré par son correspondant de l' »autre trio » qui le pousse ou le retient dans son élan. Formation originale qui ne renie pas ses influences. La steel-guitare paisible rappelle Bill Frisell, on pense aussi à « Aura », album de Miles Davis (Avec John McLaughlin) enregistré au Danemark, est-ce la représentation d’immensité blanche et les interrogations qu’évoquent la page immaculée qu’il faut (dé)construire, les pics glacés qui accrochent les notes sauvages, le soleil pâle irisant les cristaux de neige, la bise qui tourbillonne, piquant les yeux et les oreilles, opprimant la respiration ? Mais le vaisseau continue d’avancer et pas question de se faire distancer, alors on se laisse embarquer pour un ailleurs en abandonnant les douillettes certitudes éclatées et les repères perdus depuis assez longtemps pour ne plus les attendre. Comme chez Daniel Erdmann, sax au lyrisme tendu, qui se demande à quel moment il va éclater, la rage à porté de notes. Mélodie guimauve avec des grains de sable mélangés. Suite libertaire éclatée enrobée d’un tissage angora qui ronronne encore… Rien n’est figé, tout se transforme.
Six musiciens réputés, très actifs, ont eu la bonne idée de se rejoindre, apportant chacun une couleur, un ton, une magie, une force et l’envie de faire, ensemble. Premier jet, un peu brouillon (bouillon/brouet) , mais n’est-ce pas ce qui le rend attachant, qui donne envie de rentrer dans cette histoire qui n’en finira jamais de se demander : « mais on va où là ? », en se rappelant de ne jamais essayer d’y répondre !
Peut-être une nouvelle direction se dégage, le soleil brise la glace et un paysage inconnu va commencer à se dessiner. On ne perdra pas une miette de cette transformation, pas une note du cheminement menant à la Joie et à la Liberté ! 

Chez : Kokoro no ko
Par : Alain Fleche