LIVE AT THE DETROIT JAZZ FESTIVAL


WAYNE SHORTER : Sax Ténor et Soprano
TERRI LYNE CARRINGTON : Batterie
LEO GENOVESE : Claviers
ESPERANZA SPALDING  : Contrebasse, Voix


Probablement le dernier enregistrement de l’un des derniers concerts (3 sept. 2017) du légendaire , mythique musicien de jazz encore en vie, mais retiré de la scène musicale aujourd’hui ! C’est un témoignage, une leçon, un legs ! Wayne joue à nouveau en quartet, mais loin de sa dernière expérience bien rodée (avec D.Perez, J.Patitucci, B.Blade). Cette nouvelle formation était destinée à être éphémère, malgré les liens étroits qui unissent les musiciens présents avec leurs multiples recroisement et rencontres. Bien que les titres de ce disque soient des compositions écrites, la spontanéité est privilégiée, comme en ‘musique improvisée’. « Nous avons répété certains thèmes plus tôt dans la journée, mais la préparation était vraiment issue de nos vies et de nos expériences profondes les unes avec les autres. », se souvient Terri Lyne. C’est donc la synthèse de 4 parcours musicaux réunis, où règles et codes disparaissent. plus de frontière entre thème et impro, ensemble et solo. Juste une entité créatrice, épatant les auditeurs … et les musiciens eux-mêmes. Toujours en recherche, à l’affût de la nouveauté, en embuscade pour ‘piéger’ et participer à la Beauté… une fois de plus. Wayne : « Parfois, on fait des trucs qui sonnent et dépassent nos 4 voix, avec une approche nettement orchestrale ». 
On pourrait souligner la parité hommes/femmes de cette formation, sauf que le pianiste a dû remplacer au pied levé Geri Allen, décédée peu de temps avant , à laquelle ce concert est dédié. Wayne, Terri, Leo, Esperanza, c’est une histoire de famille, de vieilles connaissances. 
On se souvient du travail de Wayne avec Joni Mitchell, magnifique travail de complémentarité exacerbée ; avec Esperanza, parlons plutôt de fusionnalité interactive, de formidable création simultanée à 2 voix… En plus de sa recherche sur la contrebasse, ce qui permet à ce quartet de sonner parfois comme un quintet. 
« Je joue avec Wayne Shorter depuis l’âge de 21 ans (1987)  il est mon mentor musical et spirituel. J’ai aussi beaucoup joué au cours de la dernière décennie avec ma sœur, esperanza spalding,  ainsi qu’avec Leo Genovese », confie Mme Carrington, ravie du résultat de cet enregistrement. Pour Miss Spalding, avec beaucoup de trac et d’humilité : « Nous construisions l’avion pendant que nous volions, j’ai littéralement décollé ce soir-là, et j’ai appris d’autres définitions de Voler, de Construire en volant et du Nous . »
Quant à Leo, 1er enregistrement en 2003, nombreux projets divers avec différents acteurs, depuis 2005 avec Esperanza, il y est encore, à continuer d’explorer toutes les combinaisons que leurs talents en connivence permettent.
Outre la magie d’un son inimitable, de compos somptueuses et inoubliables, Wayne Shorter, le Maître, nous livre quelques perles de philo : « S’il y a des choses qui se passent dans l’enregistrement, cela peut changer certaines pensées des gens qui écoutent, sur la vie et la culture… Ils peuvent s’apercevoir que nous sommes tous différents – et identiques. » Enfin, la leçon, le lègue le plus clairvoyant et le plus énigmatique en même temps : « Nous essayons de percer le plafond… Toute la musique a quelque chose à voir avec le fait de devenir plus humain, et non de devenir un bon musicien.  »  (Hum…Quelqu’un a-t-il quelque chose à rajouter ? héhéhé) 
Parler de la musique de ce disque ? Parler de la musique de Wayne Shorter ? Mon Dieu, qu’en dire de plus que ce que racontent toutes ces notes ? Bon, alors, voila, c’est encore un très beau disque de Wayne Shorter, les derniers mots, pardon : notes, du Maître, entouré d’amis fidèles,  nous montrant, encore et encore, qu’il se souvient des enseignements de l’un de ses employeurs qui lui fut proche : « Cela ne sert à rien de jouer plein de notes, joue juste les plus belles !  » (M.D.). Et, de fait, il n’y a Que de belles notes qui vont bien ensemble sur ce disque, jouées par des gens différents qui regardent dans le même sens, avec la même force, avec les mêmes lucidité et innocence … pour un son commun, unique. En attendant d’en juger par vous-même, vous pourrez lire le détail (passionnant) de chaque chanson, où tout se tient en harmonie, en cohérence, en amour… dans d’autres chroniques plus fidèles, musicales et/ou littéraires ( Nous concernant, trop difficile d’en rajouter après un tel déferlement de perfections, et ce son !…, Wayne joue de son quartet comme de son sax : peu importe ce qu’il choisit pour s’exprimer (instrument et participants, à l’instar des plus grands : c’est, ça reste, ce sera toujours du Wayne Shorter, et ici, cest du bon, du très bon ! ) La progression quasi dramatique de force, de tension, d’efforts, d’urgence tout le long de ce mémorable concert où la cohésion et la joie de 4 identités fondues ensemble est tangible. Les quelques notes diffuses du sax au début du disque, enflent, s’enchaînent, s’organisent grâce aux ingrédients que chacun propose, et font des phrases, des discours, plein de charme, de sagesse, de fond et de forme… Les pauses et silences ponctuants sont aussi remplis d’intension et de vie. La musique tourne et nous embarque dans son manège… Youpi ! 
Merci Wayne ! 

Chez : CANDID
Par : Alain Fleche