Maître ès sax machine
Sous des allures de gentleman calme et réservé, Guillaume Schmidt cache en réalité un tempérament d’explorateur sonore à la curiosité en éveil vif, comme en témoigne sa route, riche en rencontres, aux quatre coins de France, faite de sentiers volontiers escarpés et d’autres chemins de traverse, bordés de notes bleues plutôt hirsutes. Il ne cache pas son admiration pour Wayne Shorter, l’un de ses héros. Ses saxophones sont ses complices et prolongent sa voix humaine, adoptant un subtil accent acoustique, pigmenté par moment d’intonations électro dont il est friand. On note chez lui une prédilection pour des ensembles plutôt étoffés, genre big bands et fanfares, mais aussi pour des formations plus réduites, comme ce mystérieux “Clax Quartet”, formé avec Fred Pouget, Gilles Chabenat et Anne Colas, groupe dont il nous dira tout, ainsi que du disque “Les Poussières” qui vient de sortir sur le label du Maxiphone Collectif.
ACTION JAZZ : Comment le jazz est-il un jour entré dans ta vie ? Qu’est-ce qui a fait qu’il n’en n’est jamais ressorti ?
Guillaume Schmidt : Mon Dieu ! J’y pense souvent. Je faisais du saxophone dans une harmonie municipale. J’y étais un peu forcé. J’avais alors une quinzaine d’années. Au lycée, un de mes camarades de classe m’a passé une “cassette” du live de David Sanborn. Straight to the heart. J’adore l’énergie de ce concert. Il y a une belle distribution sur cet album. Marcus Miller, Kenwood Denard, les Brecker Bros… Ça m’a tout simplement mis en orbite. Je me suis de suite passionné pour le jazz. C’est devenu une obsession. J’enregistrais les concerts à la radio. Les émissions télé. Je dépensais tout mon argent de poche dans les disques. Très vite j’ai découvert Parker, Coltrane, Wayne Shorter et surtout Miles Davis pour qui j’ai voué un culte sans borne. J’ai aimé toutes ses périodes avec une large préférence pour le second quintet.
AJ : Quelles sont les rencontres et expériences marquantes de ton parcours ? Y a-t-il eu des musiciens qui, plus que d’autres, t’ont particulièrement montré la voie ?
GS : J’en ai vécue deux à Paris à l’âge de 20 ans. Je faisais mes gammes dans le sous-sol de la boutique “Quintette Musique” de mon grand cousin Richard Scotto.
Il vendait des saxophones. J’ai rencontré dans son magasin tellement de saxophonistes que j’admirais que j’ai failli m’en décrocher la mâchoire. C’est comme ça que je suis devenu ami avec Eric Seva. Un jour Michael Brecker a passé la journée au magasin. Ils étaient amis avec Richard. Autant dire que c’était une bonne journée. MB était un monsieur gentil, doux, simple et si modeste. J’ai tellement appris ce jour-là en l’écoutant pratiquer et en discutant avec lui. La dernière fois que je l’ai vu, il m’a fait un “hug” et m’a dit “courage”. A tout juste 20 ans on ne comprend pas le sens de cette remarque. Je saisi aujourd’hui ce qu’il a voulu dire.
C’est un métier qui demande de l’engagement à bien des égards.
Travailler avec Jean Marc Padovani, Claude Barthélémy, Fred Pouget, Gilles Chabenat… a été très enrichissant et marquant pour moi. Ils entrainent la musique avec eux.
AJ : Quelles sont les formations auxquelles tu as appartenu ?
Y-en-a-t-il une (ou plus) que tu retiendrais pour l’expérience vécue ?
GS : Je suis passé dans beaucoup de formations. Tout d’abord il y eu le Big Band Gironde qui était un orchestre école. C’est pour moi très important de le citer, car nous sommes très nombreux finalement à y avoir découvert notre vocation. Je pourrais citer une vingtaine de musiciens qui y ont fait leurs classes. Max Berton, Lucas Saint Cricq, Pierre François Dufour, Thomas Bercy, Doc Tomachot, Richard Ducroc, Fidel Fourneyron….
L’Occidentale de Fanfare créé par Francis Mounier m’a permis de rencontrer des musiciens merveilleux venant de tous horizons. Nous avons beaucoup voyagé en France et dans le monde avec cette formation.
Sur scène il se passait sans cesse des choses. Nous étions connectés pour faire de la bonne musique.
Avec Francis (Mounier) nous avions fondé en 2002 la FFB (Fédération Française de Baryton). Sextet de saxophone baryton. C’était une fois de plus un programme musical inattendu. J’en garde un fabuleux souvenir.
Il y a des groupes de passage également qui marquent l’esprit, car ce sont des moments forts de musique et de bonnes rencontres. Erik Longsworth, Remi Charmasson, François Verly, Sylvin Marc, Roger Biwandu.
AJ : Parle-nous de tes saxophones. Quel est celui qui a plutôt tes faveurs ? Comment en es-tu un jour venu à l’électronique ? Comment gères-tu l’alliance entre “acoustique” et “électronique” ? Quelle est la part des deux dans ton processus créatif ?
GS : J’adore le saxophone. J’adore surtout les saxophonistes. L’alto est mon premier amour. Le ténor m’a toujours fait rêver. Le baryton me procure des sensations proches de l’extase. Le soprano est celui qui m’émeut. Je ne peux me résigner à en préférer un. Je travaille surtout le ténor. C’est, de mon point de vue, celui qui demande le plus de discipline.
J’adore les synthés, les pédales d’effets. J’ai toujours eu de l’admiration pour les producteurs de génie qui ont une stature de sorcier du son. Trevor Horn, Bill Laswell… Ils sont une inspiration. De fait c’est stimulant. Ça m’encourage à dépasser les simples attributs du saxophone en le filtrant, le bouclant….
Je gère très bien l’alliance acoustique et électronique, car j’ai décidé de ne pas faire de choix. J’aime les deux. Et je refuse d’être emprisonné par des aprioris. C’est extrêmement rageant de s’interdire les choses. J’ai juste envie de m’éclater.
La clef de voute de mon processus créatif est extrêmement simple. En premier lieu, viennent les accords et ensuite la mélodie. Le reste peut s’apparenter à du design. J’adore ça.
AJ : Sur Bordeaux, nous nous souvenons tous du projet “E-BOP”. Peux-tu nous en parler et nous dire s’il y aura un jour une suite ?
GS : Je suis presque sûr de ne pas me tromper en disant que Didier Ottaviani, Christophe Maroye et Benoit Lugué ont pris beaucoup de plaisir à jouer dans ce projet. Ils s’y sont énormément investis. Je voulais monter en 2013 un groupe sous mon nom, mais très rapidement tout le monde a apporté des compositions originales et s’est investi dans le projet. Les musiciens d’eBop m’ont montré la voie d’une manière ou d’une autre. Benoit, Didier et Christophe débordent de connaissances. Je les aime. Nous avons passé des moments géniaux. Il y aura surement une seconde saison.
AJ : Parlons maintenant du nouvel album. Sorti fin mai, “Les Poussières” porte un titre qui mérite explication. Y a-t-il un message ? Comment s’est construit l’album et sur quelle période ?
GS : Les Poussières. C’est le titre d’une des compositions de Fred Pouget. Il avait écrit ce titre pour une création avec François Thuillier, et Jean Marc Padovani. Lui seul a l’explication du sens de ce titre. Le groupe Clax existe depuis 2013 sous une forme trio. Gilles Chabenat (vielle électroacoustique), Fred Pouget (clarinettes) et moi-même. Nous avons tout d’abord développé un travail autour des sonorités de nos instruments pour trouver un langage commun, une pulsation commune… Nous venons tous d’univers différents, mais c’est sans grande difficulté que nous nous sommes accordés autour de nos compositions. D’autant plus que nous nous entendons merveilleusement bien. Je serais tenté de dire du bien dans le dos de mes compagnons. Au fil des concerts, le retour public nous a clairement encouragés à enregistrer un CD. L’année qui a précédé l’enregistrement, nous avons entamé une “refonte” du répertoire à grand coups de semaines de répétitions. Pour tout un tas de bonnes raisons, nous avons décidé de faire appel à Anne Colas (Flutes) 2 mois avant l’enregistrement. Anne est la flutiste de L’Occidentale avec Claude Barthélémy. Bien sûr nous nous connaissons depuis des années et ça a de suite collé.
Nous voulions un disque très intimiste avec beaucoup de proximité sur les parties acoustiques et à la fois être libre de pouvoir mettre en avant l’utilisation que nous faisons des machines. Pierre Henry Fleygnac a parfaitement compris notre cahier des charges lors de la session d’enregistrement.
AJ : Sur “Les Poussières”, tu es aux saxophones, aux “machines” et à la composition. Que sont ces mystérieuses “machines” ?
GS : J’ai commencé à me passionner pour les effets en 2009. Ceux-la mêmes qu’utilisent les guitaristes. Une fois le doigt mis dedans, il fut impossible de faire machine arrière. C’est un univers passionnant qui ouvre des voies vers la création. Dans les années 70-80 pas mal de saxophonistes avaient intégré dans leur musique des effets. Eddie Harris, Michael Brecker… Mais c’est avec la nouvelle génération sur les albums des Bloomdaddies et des Rudders avec Seamus Blake, Chris Cheek… que j’ai eu envie de faire pareil. C’est tout simplement éclatant.
AJ : Les autres musiciens du disque sont Fred Pouget (clarinettes, compositions), Gilles Chabenat (vielle électroacoustique, compositions) et Anne Colas (flûtes). Peux-tu nous en parler et nous dire comment vous vous êtes connus, puis comment s’est répartie l’écriture entre vous quatre ?
GS : J’ai croisé Gilles Chabenat pour la première fois sur un festival de jazz. Il jouait en duo avec Jean Marc Padovani. Je ne savais pas que l’on pouvait jouer de la vielle de cette façon. Vielle électroacoustique, dois-je, préciser. Cet instrument est extraordinaire sur les ambiances comme sur les parties rythmiques ou mélodiques. Quand à Anne et Fred, je les ai rencontrés pour la première fois il y a 15 ans sur les bancs de l’Occidentale de Fanfare avec Francis Mounier. Depuis nous n’avons jamais cessé de travailler ensemble.
Fred a créé le collectif du Maxiphone et nous a très souvent sollicités sur des créations originales. En plus de jouer des clarinettes, il compose et arrange à la vitesse de l’éclair. Il ne dort pas.
Anne est allée loin dans les études classiques. C’est une flutiste hors pair. Bizarrement c’est la plus punk de nous tous. Peut-être parce qu’elle est marié à un batteur de Rock (Dennis Barthe).
Le fait de bien se connaitre depuis si longtemps ne pose pas de problème sur tout un tas de sujet. Nous avons Gilles, Fred et moi-même amené des compositions. Nous avons décidé de concert de garder les bons morceaux pour la setlist. Les choses nous ont paru évidentes. C’est un vrai bonheur de travailler tous les quatre.
AJ : Le disque parait sur le Maxiphone Collectif ? Quel est ce label ? Peux-tu nous en décrire les rouages et nous parler de son activité discographique ?
GS : Le Maxiphone a été créé par Fred Pouget et Claude Barrault en Corrèze. C’était au départ un grand ensemble avec Géraldine Laurent, Alain Bruel, Didier Freboeuf… j’en oublie. Au fil des années et avec le dynamisme de Fred et Claude, le “grand ensemble” est devenu un collectif d’artistes développant et enregistrant foule de projets originaux. L’Occidentale de Fanfare est venue se rajouter au catalogue par la suite en 2008. C’est après le disque avec Claude Barthelemy à la fondation Labory en 2015 qu’il a semblé évident que le Label Maxiphone soit créé. Aujourd’hui le label Le Maxiphone a sorti 6 albums avec des artistes fabuleux en moins de deux ans. Piano Sound, Mental Medication, Zazda, Clax, Roxinelle, Claude Barthelemy et L’Occidentale.
AJ : Es-tu actuellement engagé dans d’autres projets musicaux ? Aurais-tu des souhaits particuliers à évoquer ?
GS : En ce moment je participe à ZeBigNoze. Quartet de saxophones barytons créée par Ronan Le Gourrierec. La musique écrite par Ronan est inspirée des danses bretonnes. Ce groupe absolument explosif est un véritable ovni musical. Il y a un projet de disque.
Il y a également SaxTape quintet de saxophones et section rythmique (basse — batterie-clavier). Des reprises de morceaux de “choix” arrangés par Pierre Bertrand, le grand faiseur du Paris Jazz Big Band. Le saxophoniste Cyril Dumeau est l’initiateur de ce projet.
Je suis régulièrement invité par Thomas Bercy.
J’ai pris beaucoup de plaisir à jouer avec Erik Truffaz sur son invitation l’année dernière.
Des souhaits et des envies, j’en ai quelques-uns. J’écris et réfléchis à un nouveau projet. Je me suis rendu compte en faisant un point sur mes disques de chevet ces dernières années que j’aime beaucoup les artistes scandinave qu’ils soient issus du jazz, de la pop ou bien de l’éléctro. Ils ont une culture du son qui me parle beaucoup.
AJ : Enfin, rien de mieux que le live pour baptiser un disque, alors, quelles sont les dates à venir de concerts et festivals pour “Clax Quartet” ?
GS : Nous avons fait une sortie de disque au studio de l’ermitage à Paris au mois de septembre.
Puis une série de dates. En Dordogne avec L’Agora, en Charente au Théâtre de Barbezieux, puis nous jouerons au Théâtre des sept Collines à Tulle en février. Nous serons à Jazz 360 cette année. Il y aura une dizaine de concerts en tout.
Avoir été dans le Top 10 des meilleurs disques de Jazz de la rentrée dans les Inrocks nous a permis de faire un coup de projecteur sur notre travail.
AJ : Et voici le traditionnel petit questionnaire détente :
Si tu étais : Une chanson ? “
Shine on your crazy diamond”. Pink Floyd. 25 minutes de bonheur.
Un poème ?
Un texte de William Burroughs. “Words of Advice for young people.” (écoutez Hallucination Engine de Bill Laswell)
Une rivière ? “
La Garonne”. C’est une rivière, à ceci près qu’elle se jette dans l’Océan…
Un animal ?
Le Lion. Mon ascendant.
Une peinture ?
Une peinture de ma femme. Krydart. “Portrait”
Un film ?
The Party. Blake Edwards.
Merci Guillaume !
Propos recueillis par Dom Imonk, photos Thierry Dubuc