Au printemps 2018 Didier Ottaviani nous avais reçu chez lui et nous n’avons donc pas de mal à l’imaginer bidouillant ses vidéos de confinement dans son home studio super équipé et dans son cagibi matelassé, frappant ses peaux et ses cymbales. Retour sur sa carrière hyper active.

Quand on entre chez Didier Ottaviani on sait de suite qu’on n’est pas chez un peintre ou un plombier. Sous la voûte de la grande pièce, un piano, une batterie, une collection de caisses claires, une console d’enregistrement, des ordinateurs, des partitions, pas de doute c’est une maison de musicien(s).
Sur le côté une pièce-caisson quasi aveugle et insonorisée avec encore une batterie et de merveilleuses cymbales “Murat Diril” marque qui vient de l’endorser ; c’est là que Didier peaufine sa technique, ses techniques, on va le voir. En toute simplicité c’est autour d’un café dans la cuisine que va se dérouler notre riche entretien.

AJ : Alors Didier comment tout cela a-t-il commencé ? Une famille de musiciens ?
DO : Pas du tout même si mon père jouait un peu de guitare, il y en avait plusieurs à la maison. Mais mes parents écoutaient toujours de la musique. On avait un gros magnéto à bande avec des heures de musique, de tout, les Pink Floyd, les Shadows, Ella, Armstong, les Beatles, Brel, de la musique brésilienne… On écoutait la radio, FIP déjà avec ses quelques titres de musique classique.
AJ : Mais quand as tu commencé vraiment à faire de la musique ?
DO : En 6ème à Cenon, j’ai eu le déclic grâce à un copain d’école qui jouait de la guitare électrique, chantait tout le temps, un passionné.
Il connaissait par cœur des riffs de guitare, des solos de batterie. C’était David El Malek (!) avant qu’il ne parte à Paris et ne joue du sax. Cette rencontre s’est avérée décisive pour moi.
AJ : Tu as fait directement de la batterie ?
DO : Non, je suis entré à l’école de musique d’Artigues où nous avions déménagé et j’ai suivi les cours de solfège et de percussion classique avec Eric Parra : caisse claire, timbales, xylophone. Pas très sexy mais il m’a bien accroché. Parallèlement à ça, on avait monté un groupe de rock avec les copains où j’alternais batterie et guitare.
AJ : Tu continuais les études ?
DO : Oui, j’allais au lycée puis le soir jusqu’à 20h30 au Conservatoire, où j’étais rentré entre temps, avec ma mob. Je faisais mes devoirs en revenant. Je ne sais pas par quel miracle j’ai eu mon bac !
AJ : Tu as continué tes études et le Conservatoire ?
DO : Je suis rentré à l’IUT Mesures Physiques mais c’était impossible de suivre le Conservatoire et les percussions classiques j’en avais assez. J’ai alors pris des cours particuliers de batterie avec Mickey Fourcade excellent batteur et déjà pro (Shaolin Temple Defenders), au CIAM c’était trop cher ! C’est la première fois que je côtoyais quelqu’un qui vivait de la musique. Je voyais comment il faisait et ça m’a donné envie.
AJ : Tu jouais et écoutais quoi alors ?
DO : Du funk, du jazz fusion, des trucs un peu flashy.
AJ : Et tu jouais ?
DO : Oui j’avais des groupes et un petit réseau de musiciens et j’ai surtout commencé à sortir, à voir le milieu bordelais riche à l’époque. Du jazz, du rock, des reprises, des musiciens incroyables. Dans tous les bars de la Victoire il y avait des groupes ! J’ai été exposé à des bons batteurs, Roger Biwandu notamment, on a le même âge (ils sont nés en 1972) ; je n’en cite pas d’autres car je vais en oublier !
AJ : Tu travaillais seul ta batterie ?
DO : Oui, je bossais beaucoup et mon background classique m’aidait pour lire la musique, comprendre, vite m’adapter.
AJ : Tu as quand même obtenu ton DUT ?
DO : Oui ! A l’IUT en plus on avait une cave où on faisait des bœufs entre midi et deux.
AJ : Et alors tu as arrêté ton cursus universitaire ?
DO : Non, j’ai été admis directement en licence ! Avec le recul je ne sais pas comment j’ai fait et tout ça sans prendre de drogue ! Mais cette même année je suis devenu musicien professionnel.
AJ : Carrément !
DO : J’étais dans un groupe de funk nommé “Funkaléon”, on était dix, on jouait tout le temps, dans les bars, l’été sur la côte de Montalivet à Hossegor. Il m’arrivait d’aller directement à la fac avec la batterie dans ma R5 rouge. A la même époque on a monté un 4tet de jazz fusion avec Fred Couderc appelé “Stolen”. Fred est parti et c’est Hans Van Even qui l’a remplacé. C’est là que j’ai commencé à jouer dans les clubs de jazz.
AJ : Tu ne jouais pas de jazz acoustique encore ?
DO : Non, je n’étais pas sensible au son des années 60, je ne comprenais pas ce que j’écoutais, j’avais besoin d’un son pop. L’activité jazz à Bordeaux était intense et j’ai commencé à beaucoup y jouer. Et là je suis entré sur audition dans Post Image qui cherchait un batteur. Ça été le baptême du feu. On partait en camion, un jour à Nancy, le lendemain à Nice !
AJ : C’était quand ?
DO : en 93-94. En parallèle je jouais avec un groupe de rock progessif “Minimum Vital” avec qui on a tourné dans le monde entier. Ma première date avec eux c’était à Rio de Janeiro ! Puis au Mexique, en Pologne, en Hollande… Un des trucs les plus éloignés du jazz que j’ai fait. Ca existe toujours. A cette époque là j’acceptais tout si j’étais libre.
AJ : ça veut dire que tu savais tout faire !
DO : J’ai appris beaucoup, du rock, du reggae, de la biguine, accompagner une chanteuse aux balais, tout. Mais jamais de bal, pas d’excitation musicale et une vie trop contraignante. J’ai même fait du rap avec “Djangu Ghandal” au Printemps de Bourges, à Taratata… Mais dans ma tête j’étais déjà parti ailleurs car j’avais eu un déclic, au moment de Post Image, grâce à une deuxième rencontre décisive avec David El Malek. On s’était perdu de vue depuis le collège car il était parti à Paris avec sa famille. C’est un type que j’adore, un passionné de musique. Il m’a dit : “c’est pas normal, t’es batteur et tu n’as pas un disque d’Art Blakey”. Ca m’a presque vexé de la part de ce gars qui transpire la musique. Et j’ai découvert vraiment le jazz avec “Night in Tunisia”. Je me suis mis à écouter du jazz, à me concentrer dessus, à changer de réseau de musiciens, de matériel, de façon de jouer, de répertoire, de lieux.
AJ : Tu avais quel âge ?
DO : 22 ou 23 ans. Et j’ai arrêté de dire oui à tout le monde. Je voulais devenir batteur de jazz !
AJ : Curieux ce revirement ?
DO : Oui j’aimais ce que je faisais, j’étais content mais dans la vie tout le monde a besoin de déclics et là il m’avait vraiment touché dans sa manière de me le dire : “tu te prends pour qui, t’es vraiment un c…” Je me suis rapproché du contrebassiste Manuel Marchès, j’ai ouvert les oreilles, les radars pour absorber cette musique. J’ai commencé à jouer du jazz avec Fred Couderc, Manuel Marchès, Didier Ballan, Patrick Villanueva, Jérôme Etcheberry, Alex Golino, Vincent Bourgeyx, Olivier Gatto… j’ai énormément appris en regardant Guillermo Roatta !
D’Art Balkey je suis parti dans les deux sens, vers l’avant, Wayne Shorter… et en arrière vers le passé. Je jouais de temps en temps avec David. C’était l’époque d’une vraie programmation jazz à Bordeaux avec une grande effervescence. Je m’y suis immergé. En même temps j’ai fini mes études.
AJ : Parce que ce n’était pas fini ?!!!
DO : Non, maîtrise puis un DEA d’électronique et traitement du signal. Je donnais déjà des cours, puis je suis devenu intermittent.
AJ : Et tu arrivais à mener tout cela de front ?
DO : Oui. Très peu de gens le savent, tu peux en parler si tu veux.
AJ : Mais oui c’est intéressant, combien ne prennent pas les musiciens au sérieux ça peut leur montrer que vous êtes vous aussi et bien souvent des personnes de grande valeur.
DO : Plus tard ça m’a servi à travailler avec méthode, à organiser mon temps de façon rationnelle et maîtrisée. Ca m’a permis de me réouvrir ensuite aux musiques que j’avais lâchées pour le jazz. A une époque s’il n’y avait pas de contrebassse je n’y allais pas ! Cette hyperactivité autour de 25 ans m’a appris beaucoup pour la suite de ma vie.
AJ : Oui on te connait encore très éclectique.
DO : A ce propos je tiens à parler de deux projets très importants pour moi au début des années 2000. Le trio “Zazen” avec Lionel Fortin et Christophe Jodet. Le second c’est le disque avec Monique Thomas. On a monté un groupe de Gospel moderne avec des compos, avec Nicolas Veysseyre : “Voices of Praise” Pour les deux un investissement total, composition, arrangements, production, régie…
AJ : Vous avez tourné avec ces deux projets ?
DO : Oui pendant 5 ans, surtout avec le Voices of Praise. Et je n’étais pas simple sideman comme souvent les batteurs. La pédagogie, les livres de méthodes, l’application que j’ai créée ça m’aide aussi à être autre chose dans la vie.
AJ : Tout cela est très riche ! Et en plus tu fais de la production avec ton home studio. Je viens d’écouter deux CD enregistrés ici récemment avec Guillaume Nouaux c’est du beau travail.
DO : Merci ! j’ai le matériel suffisant, pas très gros mais disons que je sais m’en servir. Et j’ai les oreilles affutées pour enregistrer le jazz comme les musiciens le veulent. Dans les gros studios les ingénieurs du son n’ont pas toujours cette experience. Je viens aussi de faire le mixage du Hot Swing Sextet. Je dis oui aux copains mais ce n’est pas une activité que je veux développer, en plus c’est chez moi (dans la pièce studio il y a aussi les bureaux où ses deux filles font leurs devoirs). Par contre je peux faire des maquettes promotionnelles de qualité comme avec Saxtape. La prod qui arrive avec 5000 € d’avance ça n’existe plus. Il faut se débrouiller seul, faire des démos, des sites internet etc. Les sous on ne peux pas les inventer, par contre les compétences on peut se les créer. J’ai appris à faire un site web à faire des affiches, à mixer, à créér une application pour mobile…
AJ : tu ne serais pas un peu hyperactif ? Tu enseignes au CIAM en plus !
DO : Oui mais un seul jour par semaine. Mais je suis à l’affût et je sais m’organiser. Faire des choses ça m’éclate !
AJ : Question bateau, quels sont tes projets ?
DO : Tous les gens avec qui je joue et m’investis. Affinités musicales, humaines, projets éclairs passionnants, différents. Avec Saxtape, Serge Moulinier, Christophe Maroye, Meriem Lacour, Monique Thomas, Alex Golino, Alain Coyral, Yann Pénichou, Iep… Je travaille depuis peu avec dbClifford un chanteur anglais pop. Plus une autre application et par dessus tout ça écrire et enregistrer MON disque. Je traîne ça depuis
4 ans, mais j’ai tellement de choses dans la tête…
Philippe Desmond, photos , Philippe Marzat