Geri Allen – Kurt Rosenwinkel – A Lovesome Thing

Live à la Philharmonie de Paris

Geri Allen : Piano

Kurt Rosenwinkel : Guitare

Madame Allen, décédée en 2017 à l’age de 60 ans, nous a laissé un beau monument/temple musical, encore et toujours futuriste, avec le concours de légendes telles que Ornette Coleman, Betty Carter, Ron Carter, Tony Williams, Charlie Haden et Paul Motian (dont on n’oubliera pas le magnifique ‘In the Year of the Dragon »), et tant d’autres qui continuent à regretter son départ trop rapide… Son engagement dans la cause féministe, à l’instar de son amie Terri Lyne Carrington, laisse une empreinte profonde dans le monde du jazz, ainsi que dans le domaine universitaire et autres institutions culturelles où elle défendit la sensibilisation communautaire et la réduction des inégalités avec la même force et total investissement qu’elle offrait à son instrument. Ce qui ne l’empêcha pas d’épouser le trompettiste Wallace Roney…

Kurt Rosewinkel est une voix (guitare, compositeur, producteur) remarquable de la musique moderne et d’avant-garde depuis plus de 30 ans de par son talent sans faille et son jeu très personnel ( facilement reconnaissable) qu’il développa sur une quinzaine d’albums comme leader, et par sa participation à quelques 150 autres, au coté de géants comme : Paul Motian, Joe Henderson, Mark Turner, Joshua Redman ou Seamus Blake… jusqu’à Eric Clapton qui lui permit de dépasser le cadre du jazz pour se frotter au rock et au blues où il ne fait pas figure d’amateur. Son jeu dense d’explorateur acharné résume et dépasse en quelques mesures le travail que la plupart des musiciens n’arrivent à achever dans leur vie.

Les deux maîtres consommés et reconnus de leur art, sollicités par la crème du genre, se croisent à l’occasion d’un concert du groupe de Kurt en juillet 2022. Geri, emballée par la fluidité et la liberté de la musique jouée, demande une autre date, en suivant. Ce sera le 5 septembre de la même année, au festival de la Villette, pour un public nombreux dans une salle à l’acoustique prodigieuse.

Ils arrivent le soir même. Pas de répétition. La magie de la télépathie musicale improvisée opère. Les notes sont les éléments d’une mosaïque posées avec élégance, par un jeu qui fait sens, construisant au fil des phrases, des chansons, un tableau en mouvement permanent, modifié par la conscience de l’auditeur à chaque écoute.

Geri réclame à enregistrer le duo en studio… Malheureusement, sa maladie l’en empêchera. C’est bien une grâce que d’accéder à ce témoignage de fusion entre 2 artistes tellement impliqués, absorbés, dans cette rencontre, que les couleurs distinctes des 2 instruments se fondent pour inventer un son unique, venu d’une planète lointaine, oubliée. Un moment fugace, éphémère, qui transcende les égo pour toucher au sublime, inoubliable !

Ils s’accaparent Strayhorn, Gershwin, Monk, et proposent chacun une composition personnelle, introduite par l’autre, pour ne faire qu’un.

Ce qui est bluffant, c’est la magie qui opère dès les premières notes. La mise en place et en œuvre est immédiate. Aide d’une force cosmique extérieure ? Conscience commune d’appartenance à cette énergie universelle ? Beaucoup de concentration… et de lâcher-prise ?! Du grand Art !

Voyage parmi les étoiles, geste d’amour, promenade intérieure, don de soi, effort d’inventivité, aperçu de la musique qui nous entoure, toujours, qui est là, en potentiel infini et permanent ?!

Des idées musicales qui germent, font des graines qui germent à leur tour, bouquet multicolore mouvant et émouvant.

Nous sommes conviés à une conversation intime entre Maestros, qui parlent le même langage, leur accent différent nous invitent à rentrer en eux et à rencontrer l’essence de toutes idées, volontés et réalisations de tout acte. La transcendance se résous en immanence, pour tous, comme les ‘petits pains’, il y en aura pour tout les présents ! Ils réinventent la musique en la faisant leur, canaux généreux de ce qui les dépasse. Les thèmes choisis sont les supports, signifiants, de l’ambiance voulue d’une discution qui ne devrait avoir de fin, mais se poursuivre à chaque instant que nous vivons, seuls ou à plusieurs, emplit de la conscience de faire corps avec l’univers, avec chacun et tous, avec le vivant et le stable, le mobile et ce qui semble fixé, mais qui nous dit que les pierres et les étoiles ne sont pleines de vie aussi ? Simplement un autre rythme !

Juste un moment sublime, de paix et de lucidité, animé de la tension amoureuse palpable précédant un premier baiser. Oui, un acte d’amour universel ! Agapé.

Majestueux.

Par Alain Flèche

Chez Motéma Music

https://motema.com