Gazette Bleue Week-End # 14
Bonjour ! Voici le numéro 14 de notre série, avec six nouvelles chroniques :
cactus4tet « lea » – Cadijo « Prière Païenne » – Charlotte Planchou « Le Carillon » – Grazzia Giu « Bright Darkness » –
The Amazing Keystone Big Band « Fascinating Rhythm[s] The Music of George Gershwin » – À Contrario « D’Elles ».
Des disques à déguster tranquillement, au coin d’un bon feu de cheminée. Nous vous souhaitons un excellent week-end musical. Bonnes lectures !
La rédaction.
Cactus 4tet – Lea
Au début de l’année, nous avions fait une superbe découverte avec « Odyssey », premier album de Mathis Klaine, un jeune pianiste originaire de Metz, qui participe par ailleurs à d’autres projets, la preuve en est avec le groupe Cactus 4tet dont voici le nouvel EP « Lea ».
Il retrouve quelques camarades messins déjà présents dans le sextet d’ « Odyssey », à savoir Marc Stehlin (trompette, voix) et Jules Emering (batterie), auxquels se joint Patricia Alves Peito (contrebasse), lui étant au piano et à la co-composition.
Des nuages diaphanes caressant le bleu profond du ciel ornent une pochette qui présage bien de la musique qui nous est proposée, en trois thèmes plutôt développés.
C’est « Ahmad » qui ouvre les festivités, un vibrant hommage au grand Ahmad Jamal disparu au printemps 2023. Une force collective s’empare de ce beau thème, que l’on sent animée d’une irrésistible envie d’improviser, comme en live, dans quelque club de jazz. Cela est bien sûr prétexte à des envols inspirés, la trompette comme sur un fil, vive et à fleur de peau, les grondements agiles, arrondis et maitrisés de contrebasse, que soutient une batterie aux impacts infaillibles, et enfin un piano dont le son de cristal bleuté complète ce bel hommage, à la fois sensible et élégant.
Mathis Klaine, qui co-compose avec Jules Emering le thème « Massimo » qui suit, nous confie que cette pièce leur fut inspirée par un castor croisé dans les Vosges. Touchante pièce, un soupçon naturaliste, dont le flow enjoué et changeant peut figurer l’approche de l’animal intrigué, ou sa fuite effrayé, et le tumulte tranquille de l’altitude. De belles interventions complices nourrissent ce thème, en particulier l’étonnant chant habité de Marc Stehlin.
Le morceau titre, dédié à la petite sœur du pianiste, clôt dans une intime quiétude cet attachant EP qui nous pousse à espérer une suite.
Enfin, une chose est sure, le « cactus » de cet excellent quartet ne pique pas, bien au contraire, il apaise et réconforte !
Par Dom Imonk
© Cactus 4tet – 2024
Enregistré et mixé par Mathieu Pelletier au Downtown Studios.
Masterisé par Sam Berdah au The Wall Studio
Design graphique et photo – Fabien Darley.
https://www.facebook.com/Cactus4tet
https://cactus4tet.bandcamp.com/album/lea
Cadijo – Prière Païenne
Revoilà Cadijo qui régulièrement nous propose sa poésie et sa musique. Poésie, certes, mais réaliste, engagée. Prière païenne donc, avec cet adjectif qui la rend peut-être plus sincère, plus humaine, loin des dogmes, proche du réel. Cadijo ne chante jamais pour rien, il y a toujours un message à passer, le « Diable de Crédit », le mépris de certains puissants avec « Un 28 septembre », une « Dégustation » amère sur fond d’injustices…
Cadijo sait jouer avec notre belle langue, ses textes sont lumineux même quand le troubadour se fait troubadur plus que troubadoux. Pour faire passer ces messages qui lui sont chers, qu’il avait écrits pour certains il y a déjà longtemps et qui restent malheureusement d’actualité, il les a habillés de musiques diverses, du blues, du folk, des parfums de jazz et même de gospel.
Cadijo c’est aussi, surtout diront certains, un excellent harmoniciste. Le ruine babine n’a aucun secret pour lui. Au trio de base qu’il forme avec Baptiste Castets (guitares, claviers, percussions, arrangements) et Laurent Vanhée (contrebasse) il associe pour certains titres Monique Thomas (chant), Jérôme Martin (planche à laver), Julien Bouyssou (piano, orgue) et Baptiste Dupeyron (ukulélé baryton) ajoutant ainsi différentes couleurs à ses compositions.
Un album dans la lignée de cet artiste en résistance devant le rouleau compresseur de nos sociétés modernes et trop souvent inhumaines.
Par Philippe Desmond
https://cadijo.wixsite.com/monsite
Charlotte Planchou – Le Carillon …………………… Grazzia Giu – Bright Darkness
Il y a parfois des albums étonnants qui vous embarquent à la première écoute, en révélant entre eux par divers détails, une gémellité inattendue, dont le hasard vous fascine et vous pousse à l’écoute immédiate, comme on admirerait un alignement simultané de deux étoiles filantes jumelles. Ainsi sont « Le Carillon » de Charlotte Planchou et « Bright Darkness » de Grazzia Giu , les nouveaux disques de chanteuses aux univers poignants dans leur diversité, mais ayant cependant des points communs. Tout d’abord chacune est en duo avec de remarquables pianistes, Mark Priore pour la première et Nico Morelli pour la seconde. Ensuite la direction artistique est confiée pour les deux albums à Daniel Yvinec, orfèvre du son et des arrangements, qui enrichit en plus le second d’ajouts instrumentaux délicats (contrebasse, batterie, claviers etc…). Enfin, une impression de mouvement vers une certaine pureté ressort de ces deux musiques, un flux naturel. Tout y est poli, comme des pierres précieuses ou des ailes d’avion, ce qui nous pousse à citer Antoine de Saint-Exupéry : » Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher. » (« Terre des Hommes » – 1939).
Charlotte Planchou – Le Carillon ………………………………………………. Grazzia Giu – Bright Darkness
Charlotte Planchou – Le Carillon
Voici de retour Charlotte Planchou, chanteuse et compositrice de grand talent découverte avec « Petite » (2021), un album en quintet vivement salué par la critique, qui révélait une voix étonnante, précise, fraîche et osant tout. Il offrait ses belles compositions, mais aussi des reprises perchées parmi lesquelles Léo Ferré, Francis Poulenc, Maurice Ravel, Serge Gainsbourg et Michel Legrand, large éventail !
Pour « Le Carillon », c’est le duo qu’elle a choisi, principalement avec Mark Priore au piano et au piano préparé, Daniel Yvinec étant très présent en éminence grise, ainsi que le carillon de son enfance et ses singuliers sons mutants.
La voix de la petite, tendre vocable courant par chez nous, ne cesse de nous charmer, en évoluant en des directions inattendues et touchantes. Les délicieuses miniatures « Carillon I, II et III » rythment les morceaux, qui valsent en diverses langues joliment maitrisées et les reprises sont toujours d’altitude.
En effet, il n’y a que des pépites au menu avec cette fois-ci Benjamin Britten (« Greensleeves » et « Cuckoo ») et Henry Purcell (« How Happy the lover ») pour les anglais, Léo Ferré et les poètes Charles Baudelaire (« L’Albatros ») et Louis Aragon (« Est-ce ainsi que les hommes vivent »), ainsi qu’une surprenante version de « Mack the knife » (Bertolt Brecht, Kurt Weill) chantée en allemand. Également à la carte l’Occitanie grâce à l’irrésistible « A Sant Jan » (Jan Mari Carlotti) et le Brésil avec l’ensoleillé « Tin Tin Por Tin Tin » (Haroldo Barbosa, Bruno Brighetti).
Pour clore la revue de cet attachant album, écrit à la plume d’âme pure, évoquons trois trésors émotionnels qui définissent peut-être le mieux Charlotte Planchou : « Mon amant de Saint-Jean » (Émile Carrara, Léon Agel), « You’ve got a friend » (Carole King) et « C’est la vie », seule composition de la chanteuse, dont le cœur mis à nu est transpercé par le piano.
Par Dom Imonk
Quai Son Records/Pias
https://www.facebook.com/charlotteplanchou
Grazzia Giu – Bright Darkness
L’univers envoutant de Gazzia Giu s’ouvre de nouveau avec « Bright Darkness », titre qui livre déjà une partie de son message. Il en est de même de la superbe peinture de pochette, signée Hanah Sidorowicz, ses formes épurées, presque irréelles, sont aussi de subtils indices.
D’origine italo-flamande, l’enfance de Grazzia Giu fut rude et non écoutée, mais la venue chaque année de sa grand-mère basée à New York lui apporta amour, lumière et musique, en particulier celle des crooners, souvent teintée de jazz. Elle sera bientôt adoptée par la France dont elle fera sienne sa langue, et en aimera les chansons. Plus tard elle se passionnera pour le rock, Lou Reed, Tom Waits et David Bowie dont elle reprendra même la musique. Ce passé compliqué, puis s’éclairant peu à peu, se retrouve dans ses disques, et en particulier dans cet ambitieux « Bright Darkness ».
Grazzia Giu, qui chante, compose et écrit presque tous les thèmes, s’est entourée de l’excellent Nico Morelli au piano, et du magicien Daniel Yvinec, déjà présent sur l’album précédent « Fragments », à la direction artistique et aux arrangements, ajoutant selon le cas claviers, basse, contrebasse, percussions et batterie autour du duo acoustique préalablement capté.
Dès « The genesis » que signe Grazzia Giu, nous sommes captivés par cette voix mystérieuse de secrète diva, presque minimaliste, qui n’est pas sans rappeler celles de Patricia Barber ou de Meredith d’Ambrosio. Ambiance nocturne, un jazz au feeling à fleur de peau, qui s’appuie sur un discret mais très beau tapis moiré de strates électroniques, qui font s’envoler le morceau vers les étoiles, comme plus tard les touchants « Genius child – Basquiat » (Texte de Langston Hughes) et « Rayon de Soleil » (Texte de Joëlle Jayet-Griffon et Grazzia Giu). Même impression pour « Dolphins » et « Des souvenirs » (Texte de Baptiste Bordet). On aime aussi le mélancolique « Respiro », chanté en italien et en français, et son finish « Avec le temps… » de qui vous savez…
Simplement accompagnée de la contrebasse, Grazzia Giu reprend également « La chanson des vieux amants » (Jacques Brel), quelle grâce, quelle sincérité ! Coup de cœur enfin pour « Le temps est magique » (Texte de Delphine Burnod), et pour les trois merveilles de sensibilité que sont « Tell Me », « Song of Freedom » et « I run to you », de la plume de la chanteuse. « Bright Darkness » illumine le crépuscule des nuits bleutées et prépare à l’aube de jours nouveaux, où l’amour sera le langage universel.
Par Dom Imonk
Jazz-Quart/InouÏe Distribution
https://www.facebook.com/grazzia.giu
The Amazing Keystone Big Band – Fascinating Rhythm[s]
The Music of George Gershwin
The Amazing Keystone Big Band a été fondé en 2010, il est né de la rencontre de quatre musiciens au Conservatoire. On y retrouve le pianiste Fred Nardin, le saxophoniste Jon Boutellier, le tromboniste Bastien Ballaz et le trompettiste David Enhco.
Ils assurent la direction artistique et les arrangements de cet orchestre fort de 17 musiciens talentueux qui a remporté la Victoire du jazz du meilleur groupe de l’année en 2018.
Les pères fondateurs ont initié une démarche ludique et pédagogique qui les a amenées à adapter Pierre et le loup de Prokofiev et Le carnaval des animaux de Camille Saint -Saëns, offrant ainsi aux enfants un point d’entrée dans l’univers du jazz.
Le Big Band a également à son actif un répertoire « jazz et cinéma », un hommage à Quincy Jones, une « Christmas Célébration » …et des collaborations avec des artistes prestigieux tels Rhoda Scott, Cecile McLorin Salvant, Ibrahim Maalouf ou encore Didier Lockwood.
Dans son dernier projet, l’orchestre rend hommage aux frères Gershwin, George le compositeur et Ira le parolier. Leur créativité a marqué à jamais le New York des années 20. En mélangeant musiques populaires et « savante », George a écrit quelques-unes des plus belles pièces de la musique nord-américaine du début du XXIème siècle.
Bastien Ballaz et Jon Boutellier se sont emparés avec brio de la riche palette rythmique qu’offre son répertoire. Ils sont restés fidèles au scénario des compositions mais ont fait émerger des paysages sonores qui donnent une couleur nouvelle aux tubes les plus connus : Summertime ou The man I love prennent des allures festives et métissées tandis que Neima Naouri transcende de sa grâce vocale l’arrangement somptueux de Someone to Watch Over Me. Les contours des 12 morceaux sont restructurés et parfois épurés tel le célébrissime I got Rhythm sur lequel se referme l’album.
Fascinating Rhytm[s] n’est donc pas juste une reprise de plus.
Nous sommes conquis par une signature artistique qui emprunte au swing, au blues, à des sonorités plus avant-gardistes et qui, surtout, offre un écrin magnifique aux différentes tessitures de voix des interprètes et aux chorus remarquables des instrumentistes.
Par Christine Moreau
Label: Moose/L’ Autre distribution
Sortie de l’album prévue le 08 Novembre 2024.
Concerts : Le 19 décembre 2024 à La Coursive de La Rochelle
Le 06 février 2025 au Grand Théâtre de Provence à Aix en Provence
Le 09 février au Théâtre du Chatelet à Paris.
https://www.facebook.com/keystonebigband
A Contrario – D’Elles
Sandrine Deschamps : voix / Marie-Christine d’Acqui : contrebasse
Invités : Jean-Charles Richard : saxophones / Keyran Chemirani : percussions
Ce deuxième opus du duo A Contrario est une ode vibrante à la femme, à la liberté d’agir et de bâtir son propre destin. On y croise des femmes célèbres ou inconnues qui ont inspiré et nourri cet album : la baronne Pannonica de Koenigswarter la protectrice des jazzmen américains comme Monk, Charlie Parker, Rosetta Tharpe la Godmother of Rock ‘n’ Roll, Mary Lou Williams la première dame du clavier jazz, la grande Joni Mitchell…
Aux manettes de l’album, pas n’importe qui, le très actif Daniel Yvinec.
Sandrine Deschamps est chanteuse de jazz quant à Marie-Christine d’Acqui c’est une contrebassiste de musique classique d’où cet oxymore que constitue le duo A Contrario, l’opposition (de moins en moins vive) entre deux mondes. Dans les faits c’est une fusion entre ces mondes qui nous est proposée.
Evoquons quelques titres :
« Both Sides Now » nous fait revivre cette belle chanson de Joni Mitchell dans une version raffinée, contrebasse frottée, percussions légères, sax soprano lumineux et voix claire et précise.
« Owha » prouve l’entente parfaite avec un unisson voix contrebasse frottée du plus bel effet. « Sister Rosetta goes before » est encore plus minimaliste que la version enregistrée par Robert Plant et Alison Krauss, il en ressort une réelle grâce avec cette voix pure portée par les cordes profondes de la contrebasse.
« Pannonica » ; la baronne a eu l’honneur de faire l’objet de pas mal de titres, ici c’est celui composé par Thelonious Monk son ami durant trente ans qui est repris par le duo. Plus douce que la soie, Pannonica mon papillon…
Un album intimiste élégant et raffiné.
par Philippe Desmond
Paru chez https://trebim-music.com/