Gazette Bleue Week-End # 13

Bonjour ! Voici le treizième numéro de notre série, avec cinq nouvelles chroniques :

Huit Edmi – Naïram « Free Fall » – André Ceccarelli, Diego Imbert, Pierre-Alain Goualch invitent David Linx « Le Jazz et la Java »Éric Séva & Daniel Zimmermann « 2 Souffleurs sur un Fil » – Looking Up Quartet «  Steps ».

Des disques qui devraient rendre votre rentrée la plus douce possible ! Nous vous souhaitons un excellent week-end musical ! Bonnes lectures !

La rédaction.


Huit Edmi

Les vacances d’été sont derrière nous, mais soyons rassurés car il y a des moyens de se maintenir le moral au beau fixe, des invitations à de nouveaux voyages, notamment musicaux, pour capter de belles lumières, celles de l’été indien par exemple. C’est semble-t-il le dessein de l’étonnant « Huit Edmi » qui vient de sortir son premier album et nous invite à pénétrer dans son univers grisant de couleurs multiples et de fête.

Créé par Raphaël Faigenbaum (compositions, claviers), tout jeune et brillant musicien formé au CNSMD de PARIS, et lauréat FoRTE 2021, cette formation est un véritable collectif, formé de personnalités fortes de la nouvelle génération, issues de mouvances diverses, mais avec une perception actuelle du jazz pour dénominateur commun de leur passion. Ainsi, aux côtés de Raphaël Faigenbaum nous retrouvons, ou découvrons, avec surprise et curiosité, Milàn Tabak (batterie), Dimitri Shlelein (saxophone alto), Thomas Gaucher (guitare électrique), Emilian Ducret (percussions), Pierre Carbonneaux (saxophones soprano, ténor, baryton), Guillaume Ruelland (basse électrique). Invité : Gaël Petrina (basse électrique).

Album ambitieux et aventureux, il dévoile des ramifications, et pratique des greffes fertiles, entre la part classique des souches du jazz et des pousses plus actuelles d’une musique tatouée d’électronique, de groove et d’ingrédients catalyseurs de joie à se laisser entraîner dans des danses inattendues.

Autre sujet d’étonnement c’est l’hommage rendu au peintre Josef Albers et en particulier à sa série « Homage to the Square » des fifties, que l’on retrouve dès le trépidant « The Square » qui ouvre le disque, avec sa voix disant quelques phrases majeures de sa plume, que vous découvrirez dans les notes de pochette, ainsi que la préface à la poésie éclairée de Jean-Jacques Birgé. Une vitalité désarmante et dépaysante que nous retrouverons au fil d’autres morceaux, « Duna », « Heart Beat », « Screens » et aussi en plus soft dans « La Marche Verte », message écologique probable sur fond d’afro-beat stylé. Un mood binaire enfonce à chaque fois le clou d’un new groove subtilement irrésistible mais restant agile et jamais outrancièrement lourd, c’est sa marque. La rythmique s’en donne à cœur joie donc, quelle précision, quel élan ! Et les parties de soufflants d’altitude enflamment les sens, presque de toutes parts.

Réfléchissant au titre « Huit Edmi », et apprenant que Raphaël Faigenbaum a grandi dans « l’univers du jazz et du cinéma », nous sommes tentés de faire le rapprochement avec « Huit et Demi », le film culte de Federico Fellini sorti en 1963. Il y avait en tête d’affiche l’admirable Marcello Mastroianni et la sublime Anouk Aimée, disparue il y a peu, jouant le rôle de l’épouse de Marcello, avec « Luisa » comme prénom. De là à supposer que le très beau titre « Luisa » de l’album lui est dédié, il n’y a qu’un pas qu’on se plait à franchir, tant l’actrice mérite une telle marque d’amour, soulignée par les traits d’une guitare en état de grâce. Nous retrouvons d’ailleurs un peu plus loin la même poésie amoureuse dans l’attachant « Eva », porté par un groupe sous le charme.

Laissons-nous enfin emporter par les impressionnants « Sphere » et « Second Floor », des hymnes fous à la liberté, sur fond de transe beat pour l’un et de groove plus vintage pour l’autre, il y a un goût « augmenté » là-dedans c’est sûr, nous ne voulons pas savoir par quoi, c’est fou et transpercé de claviers vintages au sons acides absolument incroyables ! Allez Joe Zawinul, sort de ce corps !

La fête se clôt avec le phénoménal « Zout Ma », un groove dense et irrésistible, traversé d’éclairs de guitare, une marche cosmique saisissante qui nous arrache à la Terre, ne résistons pas, suivons-les !

Par Dom Imonk

Chez Jazz Family

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Naïram – Free Fall 

En janvier 2024, nous avions découvert Jasmine Lee au sein du groupe HORMÊ, un quartet primé lors du Tremplin Action Jazz, à la totale parité. Elle est aussi membre d’autres formations comme Marsavril (Lauréat Jazz Migration) et Acirema 4tet (Lauréat Tréma 2023). Notons également qu’elle participe à Women in Jazz (WIZZ 2023), collectif mené par Anne Paceo et Airelle Besson. Un sacré cv, et un emploi du temps chargé pour cette jeune contrebassiste, également compositrice et arrangeuse.

Grâce à ses racines anglo-guyanaise, Jasmine Lee a baigné très tôt dans divers courants musicaux, où se sont croisées turbulences folk/rock et échappées sonores aux couleurs parfumées des tropiques, l’engagement militant prenant peu à peu sa place dans une écriture vraiment inspirée. Après de brillantes études, notamment en France et au Québec, Jasmine Lee pratique son instrument, depuis une dizaine d’années maintenant, et fourmille d’idées, toutes ses expériences et rencontres, ainsi que son esprit imaginatif y aidant.
Preuve en est la création de Naïram et la sortie de son nouvel EP « Free Fall », où la rejoignent Alexandre Aguilera (flûte traversière), Nicolas Audouin (clarinette), Marion Delmont (guitare), Mateo Roussel (batterie) et Rachael Lee (texte -1).

Un groupe de haut vol, à l’originalité surprenante, où rythmique dense et foisonnante et guitare colorée et parfois acidulée, se partagent l’espace avec flûte et clarinette, qui s’envolent dans des élans d’une poésie lumineuse, presque sans limite, ce qui nous conduit à des rêves seventies, parfois West Coast, grâce à une écriture évolutive, aux arrangements raffinés et aux belles harmonies.
Le disque propose cinq compositions dont l’âme sensible et habitée se dévoile dès l’ouverture du mystérieux et fascinant « Baharally Singh », chanté par Jasmine Lee, sur des paroles de Rachael Lee, hommage saisissant à ses arrière-grands-parents Edith Baharally et Joseph Singh. Un chorus époustouflant de flûte porte ces touchantes pensées. L’intensité émotionnelle ne baisse pas d’un cran avec le morceau titre qui suit. Il met en avant dès le départ le très beau jeu de contrebasse de la leader, qui trouve un instant assise sur un matelas à la sonorité qu’on devine électronique, puis une sorte de marche de liberté s’engage sur un groove répétitif. Soulignons au passage la grande cohésion de l’équipe, une force unie et harmonieuse, qui s’offre à une « chute libre » que l’on pressent ascensionnelle.

Le temps de déguster « Koko » et un « Snowy Spring » énergisant, traversé d’un remarquable chorus de guitare tatoué rock, que nous voici déjà rendus au majestueux « Ascending, Decending », qui clôt cette captivante excursion au pays d’une sérénité possible, où les rêves humanistes sont permis.

Nous apprenons enfin que le premier album officiel de Naïram devrait sortir en 2025. Nous surveillerons cela de très près !

Par Dom Imonk

Chez Naïram/CDZ

https://www.facebook.com/nairam.music

https://nairam.bandcamp.com/album/free-fall


André Ceccarelli, Diego Imbert, Pierre-Alain Goualch invitent David Linx – Le Jazz et la Java 

Monument du jazz, Claude Nougaro est encore très présent dans les esprits de celles et ceux qui aiment passionnément cette musique, particulièrement quand elle est chantée. Il lui a offert le meilleur de lui-même, par sa voix si particulière, chaleureuse et colorée, par son engagement créatif, quel qu’en soit le ton, et ce en ondulant avec classe au travers de lueurs nocturnes, ces sons d’espérance et de magie illuminant tant de salles et de caves intimes, grâce à son filtre vocal unique.

Pour célébrer les vingt ans de la disparition du Maestro, ses amis André Ceccarelli (batterie), Diego Imbert (contrebasse), Pierre-Alain Goualch (claviers) et David Linx (chant) se sont une nouvelle fois réunis afin de lui rendre un magnifique hommage avec « Le Jazz et la Java », comme ils l’avaient fait sur « Le Coq et la Pendule » (2009) et « àNOUsGARO » (2013). Troisième volet d’un manifeste musical qui va bien au-delà d’un simple témoignage de fidèles compagnons de route, et se révèle une nouvelle déclaration d’amour, qui fera elle aussi fi du temps et demeurera pour toujours blottie au fond des cœurs.

Claude Nougaro a toujours chanté à sa façon, reprenant librement les thèmes de grandes figures du jazz. Il possédait ce don inimitable de s’approprier instinctivement le feeling de leurs morceaux, par ses mots, dits en français, en les prononçant par pulsions, ou en les prolongeant un peu, des pleins et des déliés vocaux, ou une sorte de scat mutant peut-être ? Il rythmait subtilement son verbe, faisant de sa voix puissante à l’accent ensoleillé un instrument de musique complexe et immédiat, répondant à la moindre incitation de son imagination. Ce sont les autres qui disaient que c’était un chanteur de jazz, lui faisait du Nougaro.

Les quatre musiciens, au sommet de leur art, nous proposent onze reprises, qui ne sauraient en rien être la visite d’un quelconque musée Grévin sonore, mais plutôt une relecture inventive, filiale voire fraternelle de l’œuvre de leur ami. Rien que du neuf et du créatif, onze nouveaux morceaux qui se déroulent dans une sérénité des plus touchante. Ils respectent le vif esprit des chansons de Claude Nougaro, le protégeant dans l’écrin feutré d’une vraie complicité musicale, ce qui le fait renaître sous un nouveau visage.

Du morceau titre superbement chanté qui ouvre le bal, au mélancolique « Prisonnier des nuages » que balais caressants, touches subtiles de contrebasse et piano enjoué referment, nous avons pensé à Toulouse et aimé nous promener sur les rives de « C’est une Garonne », menés en douceur par l’ondoyant clavier électrique, que l’on a retrouvé plus speedé pour monter en haut de « Lady Liberty », chantée en français avec élégance et une énergie savamment maitrisée. Une voix subtile et attachante qui nous parlera anglais sur le très beau « Step into your life ». Elle nous tirera même les larmes sur le bouleversant « Les enfants qui pleurent », l’un des grands moments de ce disque, tout comme l’est aussi « Quatre boules de cuir ». D’autres perles vous attendent, avec selon le cas à la plume Michel Legrand, Philippe Saisse, Richard Galliano, Aldo Romano, Ray Lema et Maurice Vander, la liste est encore longue !

Cerise sur le gâteau, alors que vous écouterez ces merveilles, vous pourrez lire les passionnantes notes de pochette signées Pascal Anquetil.  

Au final, « Le Jazz et la Java » est un disque indispensable, servi par des musiciens d’exception, des amis de longue date qui savent rendre inoubliable l’œuvre de Claude Nougaro !

Par Dom Imonk

Chez Trebim Music/L’Autre Distribution

https://www.facebook.com/andre.ceccarelli.1

https://trebim-music.com/le-jazz-et-la-java/


Éric Séva & Daniel Zimmermann – 2 Souffleurs sur un Fil

Éric Séva et Daniel Zimmermann sont des musiciens en perpétuel mouvement, dont la curiosité ne semble pas avoir de limites. Ils mènent des carrières très animées, que l’on ne s’ennuie jamais à suivre ! Parmi les récents projets du premier, on notera l’ambitieux « Adeo » (2022) et surtout le généreux « Frères de songs » (2023), où nos duettistes se sont déjà croisés, alors que le second nous a proposé un étonnant « L’homme à la tête de choux in Uruguay » (2022), nous ne nous en sommes pas encore remis !  Une variété de climats pour l’un et l’autre, favorable à l’éclosion de belles fleurs jazz. Leurs enivrants parfums ne sont pas interdits, alors humons-les sans retenue !
Friands de nouvelles expériences et n’ayant pas peur du risque, les voici engagés sur le fil de leur rêve du moment : Un duo formé d’un saxophoniste baryton (Éric) et d’un tromboniste (Daniel), ce n’est pas banal ! L’univers de tous les possibles est ouvert, mais son fil est bien tendu, car la traversée sera sans filet !

La question du candide se pose alors : Qui sera soliste et qui assurera la rythmique ? Les deux mon général, alternativement, ou ensemble ! Et quid du répertoire ? Là nos deux compères se sont fait plaisir à composer de nouvelles pièces pour l’occasion, et à reprendre quelques thèmes de grands auteurs leur tenant particulièrement à cœur. Tous ces titres s’entremêlent à ravir, dans une logique qui nous captive, d’autant que les instruments leur donnent de nouvelles couleurs, par le son assez grave, mais jamais lourd, et pouvant cependant monter assez haut, les intonations variées de chacun, et la manière dont elles s’épousent, étant rendues plus accrocheuses et perceptibles, grâce aux silences qui les invitent à investir l’espace libre de tout autre instrument.

Dès lors, il est inutile pour le néophyte de tenter de savoir qui fait les aiguës, les médiums ou les graves, les oreilles savantes le sauront peut-être, mais le tout est de se laisser porter par la musique telle que magnifiquement jouée par ces deux funambules magiciens. Une farandole de sonorités qui s’observent, s’attirent puis s’enlacent au grès des pistes, au point que l’on se demande par moment s’ils ne sont bien que deux, trois peut-être, quatre ? Ce sont en fait de géniaux illusionnistes qui savent remplacer les autres instruments dans nos inconscients ébahis.

Au travers de leur filtre magique, nous ne résisterons pas au plaisir de plonger dans le monde d’Astor Piazzolla vu par eux, grâce à la version légère comme l’air de « Libertango » et à celle chargée d’émotion de « Oblivion », à revivre le film culte et un soupçon insolent « Les Valseuses », porté par la musique inoubliable de Stéphane Grappelli, alors que la reprise moderne et libérée de l’hymne « Caravan » de Juan Tizol et Duke Ellington, nous pousse à la promenade, sans destination précise, cheveux au vent et sourire aux lèvres.

Mais nos deux compères ont prouvé depuis longtemps la qualité de leur plume et l’attachement qu’ils ont pour certains souvenirs, même les plus lointains. Comme les notes l’indiquent, « A pied dans Paris » plonge Éric Séva dans « le rythme à trois temps de la valse » et les bals populaires où jouait jadis son père, ce dont il nous avait déjà parlé ici-même, lors d’une passionnante interview. Autre évocation intime avec « Luz d’Eus », clin d’œil à ce « nid » des Pyrénées Orientales qu’il aime tant. Enfin, nous serons tout autant émus par la spiritualité gnawa à laquelle a pensé Daniel Zimmermann en écrivant « Méditation profane », où en écoutant le tendre « Mademoiselle », dédié à sa petite Angèle. Sachez qu’ils ont écrits de petits textes éclairants, à découvrir à l’intérieur de la pochette, de même que les superbes mots de Laurent de Wilde.

L’harmonie qui lie ces deux hommes est belle, sincère et porteuse d’un espoir pacifique. Leur musique coule comme une rivière dont les flots scintillent au soleil, ou mieux, comme un rayon lumineux alignant les deux étoiles qu’ils sont, et tendant entre eux le fil vital qui a permis à ce beau disque d’exister. Merci messieurs !

Par Dom Imonk

Chez Les Z’Arts de Garonne/L’Autre Distribution

https://www.facebook.com/eric.seva.1


Looking Up Quartet –  Steps 

Benoit Arveiler (saxophones alto et soprano), Antoine Tabarin (claviers), Philippe Kudra (basse électrique) et Yaël Mothes (batterie)

Looking Up quartet est un groupe bordelais de jazz fusion qui s’approprie et réinterprète l des titres de Billy Cobham, Miles Davis, Herbie Hancock, David Sanborn, Yelow Jackets, Larry Carlton…

L’album EP « Steps » est sorti récemment, lien au bas de l’article. 

Looking Up propose en effet actuellement un répertoire « Tribute to Steps Ahead » groupe mythique fondé par le vibraphoniste Mike Mainieri à la fin des années 70.

Le groupe est intéressant car le jazz fusion de qualité se fait rare dans notre région depuis le demi sommeil de Post Image par exemple. Sur une rythmique assez musclée liée à ce type de jazz, saxophone, clavier et vibraphone tissent des mélodies éclairantes. On perçoit les influences par quelques citations clins d’œil bien senties lors de chorus. Un groupe qui mérite d’être programmé davantage, les amateurs de ce genre de jazz électrique restant nombreux et le public jeune pouvant être intéressé par cette éternelle modernité.

Par Philippe Desmond

https://www.facebook.com/lookingupbordeaux

https://lookingupquartet.bandcamp.com/album/steps