Gazette Bleue Week-End # 7

Bonjour ! Pour poursuivre notre série, voici le septième numéro, qui vous propose d’autres chroniques de disques pour passer un agréable week-end en musique ! Bonnes lectures !

La rédaction.


Biréli Lagrène plays Loulou Gasté

De Sylvie Baudia

Label Dreyfus Jazz

Artistes:

BIRÉLI LAGRÈNE : Guitare solo

HONO WINTERSTEIN : Guitare rythmique

DIEGO IMBERT : Contrebasse

QUAND LE JAZZ MANOUCHE REVISITE DES CLASSIQUES DE LOULOU GASTÉ

Après son premier album solo «solos suite », sorti en 2022, le guitariste virtuose de renommée internationale Biréli Lagrène, est fier de vous proposer « Biréli Lagrène plays Loulou Gasté », dans les bacs depuis le 29 septembre 2023, sous le label français indépendant européen de référence Dreyfus Jazz. Ce nouvel album solo est un hommage aux chefs d’œuvres de l’auteur compositeur français Loulou Gasté, qui a composé pas moins de 1200 chansons. Il a été réalisé en étroite collaboration avec Line Renaud, qui est à l’initiative du projet. Actrice, chanteuse, meneuse de revues que l’on ne présente plus, Line Renaud est aussi veuve de Loulou Gasté, qui est le grand amour de sa vie. Elle caressait depuis longtemps le projet de créer une version manouche de ses chansons. C’est chose faite avec cet album qui sort à point nommé l’année du soixante-dixième anniversaire de la mort de Django Reinhardt, pour lequel Biréli Lagrène et Louis Gasté partageaient une passion commune. Avec sa guitare six cordes, en mode jazz manouche, Biréli Lagrène nous propose ici une œuvre magnifique.

UN GUITARISTE PRODIGE

Né en Alsace en 1966, d’une famille de musiciens manouches, Biréli Lagrène est un véritable prodige de la guitare. À cinq ans, il reçoit sa première guitare. À quatorze ans, il sort son premier disque… Révélé au début des années 80, il impressionne par sa virtuosité de grands musiciens comme John McLaughlin, qui dira à son sujet qu’il est un « phénomène de la guitare », ou Matelo Ferret, compagnon de Django Reinhardt, que l’interprétation du jeune prodige impressionnera. Ayant pour maître Django, il ne cherche cependant pas à l’imiter. Son jeu reste personnel et libre et extrêmement réjouissant.

DE CÉLÈBRES MORCEAUX ET D’AUTRES MOINS CONNUS

Dans ce nouvel album, on retrouve des morceaux renommés, comme « Un amour d’été », joué en bossa, façon Baden Powell, « Ma cabane au Canada », « Rose de mai », « Trop beau pour être vrai » ou le célèbre « Feelings », chanson reprise par Elvis Presley, Frank Sinatra, Nina Simone, The Offspring ou même en version française par Mike Brant, avec la chanson « Dis lui ». Certains morceaux sont moins célèbres mais tout aussi intéressants et bien interprétés, que ce soit le sautillant « Le soir », le tendre « Pour la bonne raison », le rêveur « Sainte-Madeleine », au rythme chaloupé, le vif «L’âme au diable » qui semble avoir été créé pour le style manouche. On fond à l’écoute du poétique et rêveur « If I love » et on se réjouit à celle de « Ces p’tites choses là ». Le morceau « Django », comme son nom l’indique, est particulièrement dédié au grand maître Django Reinhardt.

On ne peut que féliciter Biréli Lagrène pour cet excellent album et la beauté de ces chansons si joliment revisitées, avec simplicité et majesté, dans un style jazz manouche qui leur sied parfaitement.

En bref, ce superbe opus, qui nous offre une balade musicale surprenante et d’une grande élégance, est une réussite.

Titres:

  1. Ma cabane au Canada
  2. Rose de Mai
  3. Feelings (pour toi)
  4. Un amour d’été
  5. Trop beau pour être vrai
  6. Pour la bonne raison
  7. Le soir
  8. Sainte-Madeleine
  9. L’âme au diable
  10. If I love
  11. Ces p’tites choses là
  12. Django


Sandra Cipolat Trio

FINAL CUT

Sandra Cipolat Trio

Par Sylvie Baudia

Label: Collectif KOA

Musiciens

Sandra Cipolat : Chant, claviers, composition

Léo Chazallet : Basse

Julien Grégoire : Batterie

UN JAZZ MODERNE ET LIBRE POUR UNE AVENTURE MUSICALE ET CINÉMATOGRAPHIQUE

Premier opus du groupe Sandra Cipolat Trio, dans les bacs depuis le 18 août 2023, « FINAL CUT », nous plonge dans l’univers du 7ème art. En effet, en fervente cinéphile, la pianiste chanteuse Sandra Cipolat nous propose ici des compositions inspirées des films qui ont marqué sa vie.

Ne passez pas à côté de cette pépite de jazz moderne, ce cocktail réussi de free jazz, de rythmiques asymétriques et de ballades poétiques, dont les influences vont de Dave Holland à Herbie Hancock, en passant par Tigran Hamasyan, Jacob Collier ou D’angelo.

Trio de musiciens exceptionnels, le Sandra Cipolat Trio s’est formé en 2019, à l’occasion du concert d’ouverture de la 12ème édition du Koa Jazz Festival et a remporté le Tremplin Jazz 70 en 2021 au Nimes Métropole Jazz festival. Ils ont donné d’excellent concerts dans le club de jazz « Jamboree » à Barcelone ainsi qu’au Festival de Jazz à Vienne.

Final Cut est une oeuvre magnifique, tant musicale que cinématographique.   Comme un film adoré que l’on aime voir et revoir encore, je l’ai écouté en boucle, avec à chaque fois un plaisir plus grand. De mon côté, je suis sous le charme de cet album enthousiasmant !

Sandra Cipolat: brillante pianiste, chanteuse exceptionnelle et fervente cinéphile

Pianiste brillante et virtuose, inspirée et envoutante, Sandra Cipolat chante aussi divinement bien. Sa voix pure et cristalline, au soprano léger et étincelant, sait vous emporter dans les plus hautes sphères.

Née le 12 juillet 1990 d’une mère pianiste et chanteuse autodidacte et d’un père passionné de cinéma, qui lui a transmis sa passion pour le 7ème art, Sandra Cipolat est, depuis toujours, une fervente cinéphile. Mais avant le cinéma, son premier amour dans la musique était le chant. En effet, enfant, elle chantait tout le temps. Elle a commencé le piano classique à l’âge de 10 ans à Perpignan, pour se tourner vers le jazz, à l’adolescence, en intégrant la classe de Serge Lazarevitch, son mentor et professeur au Conservatoire à Rayonnement Régional de Montpellier, dont elle obtient en 2019 le Diplôme d’Études Musicales de jazz, avec mention très bien à l’unanimité.

Léo Chazallet : Un pianiste, bassiste et contrebassiste hors pair

L’excellent pianiste, bassiste et contrebassiste Léo Chazallet est déjà, à seulement 26 ans, une grande pointure de la musique qui n’a pas fini de faire parler de lui ! Issu du Conservatoire de Montpellier, dont il obtient le DEM Jazz à 21 ans, avec mention Très Bien.

Il a pris des leçons avec Dominique di Piazza et a rencontré Frédéric Monino, qui est devenu son mentor. Ce musicien talentueux joue aussi bien en trio, en quartet qu’en quintet.

Tout en développant activement sa carrière dans le Jazz, qu’il mène de main de maître, il a intégré l’orchestre de variété, « Richard Gardet », avec qui il réalise pas moins de 120 concerts par an et a accompagné plus de quarante artistes renommés, tels par exemple Marc Lavoine, Natasha St Pier, Enrico Macias ou les artistes de The Voice. Il est aussi « Side man » depuis 2019 dans l’émission musicale animée par André Manoukian « Les enfants de la musique », sur France Télévision.

Son projet le plus personnel est le « Léo Cazallet trio », avec Julien Grégoire à la batterie et Laurent Coulondre au piano, avec qui Il participe à divers festivals.

Julien Grégoire: un super batteur

Super batteur de Montpellier, Julien Grégoire a commencé la musique et la batterie à l’âge de 9 ans. A 15 ans, il rentre au Conservatoire National de Région de Montpellier, d’abord en percussions classiques, puis en rock et jazz traditionnel. Après avoir obtenu le BAC F11 (section musique), il s’inscrit au CNR de Perpignan, dont il obtient le DEM de batterie et celui de jazz. Très dynamique, Julien Grégoire a participé à diverses formations. À Montpellier, il se produit régulièrement avec le groupe de rock alternatif «la varda» et le chanteur pop rock occitan Joanda, dans son groupe de Folk rock alternatif. Très actif, il joue dans la fanfare « Born to brass » ainsi que dans diverses formations, tels le Yoda quartet, le Melquiadès Quartet ou le Darjiling Quintet. Il participe au Collectif Koa, qui lui a permis de rencontrer des musiciens tels que Magik Malik et a intégré le big band « red star orchestra » . Il tourne avec le groupe de chanson Indé Iaross, qu’il a rejoint  en 2018. Il fait partie duTrio: «Zylia», avec le pianiste Rémi Ploton et le vibraphoniste Samuel Mastorakis. Et on le retrouve aussi dans divers projets de musiques improvisées ou de musiques du monde, en tant que sideman ou co-leader.

Comme projet personnel,  il a monté le quartet «Watcher Hill», et a enregistré le disque «Broadways», signé par Label Bleu.

Six morceaux splendides

Pour concocter Final Cut, dont chaque morceau est splendide, Sandra Cipola s’est inspirée d’œuvres comme « La mort aux trousses dHitchcock », « Hook », « Novecento », « Interstellar » ou « Dunkerque »…Dès le début de l’album, on est plongé dans un univers de science fiction, avec « l’enchantement », qui démarre avec une profusion de sons métalliques pour rapidement laisser la place au chant pur et aérien de Sandra Cipola . Le deuxième titre « Rufio », inspiré par le film « Hook », réalisé par Steven Spielberg en 1991, est un morceau très doux au rythme chaloupé, où le piano est caressant et mélodique, le chant cristallin, la basse bien groovy. Le troisième, inspiré par le film éponyme réalisé par Bernardo Bertolucci en 1976, « 1900 », est un morceau d’une grande douceur à l’ ambiance feutrée, où le piano est doux et mélodique, où la basse au son chaud et rond nous offre un magnifique solo. Dans « Sorna » , morceau au style libre avec une belle improvisation des instruments, le leitmotiv chanté est envoutant et la mélodie du piano reprise par la basse est très jolie. « Dunkerque by starlight », seul titre de l’album qu’ils ont composé à trois, est une composition sur le travail de Christopher Nolan et Hans Zimmer, qui nous ont offert, en 2014, « Interstellar », génialissime film de science fiction et en 2017, « Dunkerke », un film d’action et de guerre. On retrouve dans ce magnifique morceau à la mélodie envoutante, l’influence d’Herbie Hancock, avec un synthétiseur style musique « fusion » des années 70.  Collision : Ce morceau, s’inspire t-il du film choral réalisé par Paul Haggis, « Collision », un film provocateur et sombre, qui traite du racisme et offre une peinture au vitriol de l’Amérique post 11 septembre 2001 ? En tout cas, il est tout aussi splendide, avec un chant brillant, de radieuses lignes de basse, une batterie légère et de chouettes improvisations du piano.         En bref, six titres superbes qui m’ont emballée.

CONCERTS

Pour célébrer la sortie de son album Final Cut, Sandra Cipolat Trio a donné un concert unique le 13 septembre 2023, au Sunset Sunside, à Paris.Actuellement, elle travaille sur un projet nommé « Human », fusion de soul et de jazz où les genres et les styles se mixent à travers une écriture vocale polyphonique riche, sur des textes engagés et féministes. Pour présenter ce nouveau projet, le trio sera :

-Le 10 novembre 2023 à Balaruc-les-bains (34)  sur la scène du Piano Tiroir, pour un concert qui fait suite à leur résidence de création.

-Le 14 novembre 2023 à Tarbes (65), sur la Scène Nationale Tarbes Pyrénées du Parvis , en première partie de Cécile McLorin Salvant

Tracklist:

  1. L’enchantement
  2. Rufio
  3. 1900
  4. Sorna
  5. Dunkerque by starlight
  6. Collision


JÚLIO RESENDE – Fado Jazz

SONS OF REVOLUTION

JÚLIO RESENDE – Fado Jazz

UN SAVOUREUX COCKTAIL DE FADO ET DE JAZZ

De Sylvie Baudia

Label ACT

Musiciens:

lio Resende :  piano

Bruno Chaveiro : guitare portugaise

André Rosinha : contrebasse

Alexandre Frazão : batterie

Invité spécial : Salvador Sobral  vocaux sur le titre 11

UN ALBUM DÉDIÉ À LA «  RÉVOLUTION DES OEILLETS »

Après « Fado Jazz Ensemble », paru en 2020, Júlio Resende a sorti, le 13 octobre 2023 son nouvel album « Sons of Revolution », sous le label ACT Music. Véritable pionnier du genre « Fado-Jazz » ses techniques d’improvisation vont du jazz au fado, en passant par la musique classique et aussi la musique électronique. Le timbre de voix de Salvador Sobral est extrêmement agréable et sa voix douce et caressante se prête bien au style fado.

L’album « Sons of Revolution » est dédié à la Révolution des oeillets du 25 avril 1974, qui a libéré le peuple portugais du joug du dictateur Salazar. Cette révolution doit son nom à l’oeillet rouge que les conjurés portaient à leur boutonnière et dans le canon de leur fusil, en signe de ralliement. Cet événement marque le début de la démocratisation du sud de l’Europe: les dictatures espagnoles et grecques chuteront peu de temps après.

Cet album qui nous offre la liberté du jazz et la profondeur du fado, est superbe.

LE FADO: MUSIQUE DES ÉMOTIONS VRAIES

Classé « Patrimoine immatériel de l’humanité » par l’UNESCO en 2011, le fado est aussi puissant que délicat. Né à Lisbonne au milieu du XIXe siècle de la rencontre de chants de marins et de musiques de rue venues du Brésil, c’est un genre musical qui exprime la vérité des émotions au travers de compositions simples mais profondes et belles. Il prend souvent la forme d’un chant mélancolique mais, contrairement à ce que l’on croit souvent, il n’est pas toujours triste. En effet, il parle de la vie avec ses douleurs mais aussi ses bonheurs.

DU PIANO CLASSIQUE AU JAZZ

Pianiste et compositeur portugais, né à Faro (Portugal) en 1982, Júlio Resende passe son enfance à Olhão , où il commence, à l’âge de 4 ans, le piano qu’il appelait alors son « jouet préféré ». Il suit des années d’études de piano classique au conservatoire de Fado puis il se tourne vers le jazz, par besoin de liberté. En 2001, alors étudiant en philosophie à lUniversité Nouvelle de Lisbonne, il joue avec le Hot Clube. Il étudie ensuite le jazz à l’université de Saint-Denis – Paris VIII, et sort trois albums de jazz, « Da Alma » en 2007,  « Assim Falava Jazzatustra »en 2009 et « You Taste Like a Song» en 2011 .

INTÉGRER LE PIANO DANS LE FADO ET LA « GUITARRA » DANS LE JAZZ

Les instruments traditionnellement utilisés dans le fado sont la « viola », un instrument de six cordes dérivé de la vielle du Moyen Age, qui sert surtout à marquer le rythme de la musique et la « guitarra », ou guitare portugaise, qui appartient à la famille des mandolines. La guitare portugaise est un instrument soliste dérivé du « luth », avec six cordes doublées qui se jouent avec des onglets. lio Resende s’est lancé un défi: amener le « Fado au piano ». Son album solo « Amália por Júlio Resende », réalisé en 2013 en hommage à Amália Rodrigues, la « Diva » du Fado portugais, marque sa première incursion dans le genre Fado-Jazz. En 2020, quand il sort l’album « Júlio Resende – Fado Jazz Ensemble », il y inclut la guitare portugaise, pour interagir musicalement avec un trio de jazz.

ONZE CHANSONS NOSTALGIQUES ET JOYEUSES

Quel bonheur d’écouter cet album sensible et merveilleux, aux chansons tour à tour nostalgiques et joyeuses mais toujours splendides. Du fado teinté de jazz et du jazz teinté de fado.  « Portugal Celebrates With Red Flowers (A Rosinha Dos Limões) », qui est chaleureuse et optimiste, chante l’espoir et la liberté retrouvée après des années de dictature opprimante. Le fado de « Liberdade Desgarrada » est gai et entrainant. « Mr. Fado Goes to Africa for the First Time » est un morceau exubérant et joyeux, où le fado  est empreint de sons et de rythmes africains. « End of Colonial War ! No Saudade », est une radieuse improvisation sur la célèbre chanson « Sodade », de Cesária Évora. « Mano a mano- Now We Are Brother » , est un morceau où la « saudage » est remplie d’espoir. « Peace at Last », magnifiquement nostalgique et rêveuse, évoque la paix venant ensoleiller la peine et sécher les pleurs. « Anagrama- the Retornados Love Two Lands » est une chanson très douce et nostalgique, avec une très jolie mélodie.  « Portugal Dances Another Mariquinhas» est une improvisation rayonnante et joviale sur la chanson de Amélia Rodrigues: « Vou dar de beber à dor ».  À nouveau, la nostalgie nous saisit avec « Improvisation about Traz Outro Amigo Também », un morceau mélancolique et doux, où la batterie est aérienne et les notes égrenées par le piano lumineuses et délicates. «Fado Poinciana for Ahmad Jamal», est basée sur la« poinciania », qui le plus célèbre morceau de Ahmad Jamal, ce légendaire pianiste de jazz décédé le 16 avril dernier. Ce titre est le plus « jazz » de l’album, un jazz bien sûr teinté de fado.  « Sons of Revolution » termine en beauté avec le nostalgique A Casa Dela / Her House, qui est le seul morceau chanté de l’album, où la merveilleuse voix chaude et caressante de Salvador Sobral est un régal.

En bref, cet album est un véritable joyau que je conseille à tous les mélomanes.

TITRES:

1- Portugal Celebrates With Red Flowers (A Rosinha Dos Limões)

2- Liberdade Desgarrada

3- Mr. Fado Goes to Africa for the First Time

4- End of Colonial War! No Saudade

5- Mano a mano- Now We Are Brother

6- Peace at Last

7- Anagrama- the Retornados Love Two Lands

8- Portugal Dances Another Marinquinhas

9-  Improvisation About « Traz Outro Amigo Também » 

10- Fado Poinciana for Ahmad Jamal

11-  A Casa Dela / Her House


FRANCOIS LAPEYSSONNIE. KARST

Par Christine Moreau

Label : Outline Production

Après Out line, le bassiste François Lapeyssonnie nous offre en partage un second album en tant que leader. Karst trouve son origine dans sa fascination pour la mutation de la matière. C’est un mot puissant, qui « claque » et qui désigne une structure souterraine calcaire dans laquelle l’eau s’accumule et circule, créant de multiples cavités. Le compositeur a rencontré ce terme un peu avant le Covid et a conçu autour du concept de géologie, de temps et d’érosion un projet qui a drainé lentement pour faire émerger de nouvelles strates et des ramifications de structures sonores vivifiantes. La pochette, signée Guillaume Saix, est elle même une œuvre d’art figurant un univers fantastique où se mélangent des cristaux colorés plantés dans la matière. En la regardant longuement, on finit même par distinguer des formes humaines.

Pour former son quartet, François Lapeyssonnie s’est entouré de Gauthier Toux aux claviers, Zacharie Ksyk à la trompette et Antoine Paganotti à la batterie. Ces artistes- musiciens partagent une même passion pour l’alchimie des couleurs et des timbres. C’est ainsi que l’album a été conçu en tenant compte des atouts que la technologie peut offrir à la musique avec différents traitements sonores tels les delay, filtres et distorsions. Il est également important de souligner la qualité de l’enregistrement et du mixage de Julien Herné.

L’écoute du CD nous plonge dans une musique polychrome où se mélangent jazz, pop et musique électronique. A l’image de strates multiples se superposant, le premier morceau Seeds insuffle une tonalité limpide et puissante avec une ligne de basse innovante et dynamique qui suggère une plongée dans une rivière souterraine tandis que la trompette, aérienne, s’échappe avec fluidité dans les airs et que le piano plante des premières graines lumineuses. Dans chaque composition, on retrouve cette juxtaposition de trames musicales qui imprime un son très acoustique à l’ensemble.

Avec Aréas, on retrouve ce discours parallèle avec la trompette qui semble flotter et la rythmique qui propose autre chose. C’est incroyablement vivant, dans une thématique organique et minérale de couches qui s’entremêlent. Sur le splendide Junction, la trompette se déploie dans une mélodie ample et fluide tandis que le piano, en retrait, distille des notes sur une rythmique où se distingue le phrasé de la batterie.

François Lapeyssonnie s’offre une immersion en solo dans les méandres des ramifications terrestres sur les morceaux Ktxp 1, 2 et 3. Sa basse électrique explore de nouveaux reliefs sonores avec des effets de delay ou de distorsion, portant au premier plan cet instrument qui est beaucoup plus qu’un soutien rythmique.

Deux invités viennent enrichir brillamment le propos : La chanteuse suisse Léa Maria Fries reprend le seul titre qui n’est pas composé par François Lapeyssonnie, Road de Nick Drake, dans un arrangement somptueux qui met en avant l’influence rock des années 70.

Sur Rising Sun, le guitariste Matthis Pascaud, second invité, apporte un son électrique raffiné grâce à un jeu affirmé et volontaire.

Le dernier titre Champ libre résume bien l’intention générale : L’idée est de se surprendre les uns les autres en laissant la liberté à chacun de s’exprimer. Matthis Pascaud, apporte ici une tonalité et une couleur folk alors que Gauthier Toux y introduit une inspiration jazzy.

Il faut saluer la profondeur, la créativité et l’intensité des 12 morceaux de cet album vivifiant imaginé comme un voyage fascinant dans des terres inexplorées. C’est une musique ouverte et généreuse qui propose plusieurs niveaux de lecture. Afin d’illustrer cet univers aux riches sonorités multicolores et en mutation permanente, François Lapeyssonnie travaille sur un projet où un contrepoint visuel en 3D modelé en temps réel par un plasticien serait mis en scène lors d’une série de concerts.

Tracklist : Toutes les compositions sont de François Lapeyssonnie sauf Road.

Seeds.

Ktxp One

Areas

Dodge

Road    :  Nick Drake

Focus

Caneva

Ktxp Two

Rising Sun

Ktxp Three

Champ Libre

Concert le 28 Novembre au Studio de l’ermitage à Paris.