Rocher de Palmer – Cenon – 15 juillet 2022

Laurent Bardainne & Tigre d’eau douce + Sylvain Rifflet « Remember Stan Getz »

Line up :

Laurent Bardainne : sax ténor
Arnaud Roulin : Orgue Hammond
Sylvain Daniel : Basse
Philippe Gleizes : Batterie
Fabe Beaurel Bambi : Percussions

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sax, sans jamais oser le demander.

Laurent Bardainne et son tigre d’eau douce nous conduisent pour effectuer la première partie du voyage en pays sax.

Glissant vers la cinquantaine, Laurent Bardainne, est un saxophoniste et compositeur plutôt discret. Fondateur du « Crépuscule des dinosaures », ou encore de « Rigolus » avec Thomas de Pourquery, co-leader de « Poni Hoax » et du duo « LOST » avec Camélia Jordana formé en 2017, il est manifestement hyperactif. Sa musicalité est remarquée par des sensibilités artistiques aussi diverses que Philippe Katerine, Oxmo Puccino ou Pharell Williams. Il semble surtout qu’il n’y a pas de style ni de format de prédilection dans son approche de l’instrument, mais que le dénominateur commun c’est certainement « l’équipe », quelle que soit sa taille.

En 2018, Laurent Bardainne fonde le quartet « Tigre d’Eau Douce », drôle de nom pour un quintet de jazz. Un premier single (Marvin) sort en août 2019 et l’album « Love Is Everywhere », puisant son groove dans une grosse section rythmique (batterie Philippe Gleizes, basse Sylvain Daniel, percussions Roger Raspail, orgue Arnaud Roulin) délivre de petites mélodies soul ressurgies des 60’s.

La voilà sa nouvelle équipe !

Le projet « Hymne au Soleil » enregistré avec la même configuration vient confirmer son attachement à cet animal totem à 8 jambes sur lequel le son mat du saxophoniste pose de belles idées mélodiques. Elles reflètent à la fois la modernité du hip hop, la soul et le jazz, toujours empreint d’un brin d’exotisme, s’éloignant parfois jusqu’aux rythmes africains de Pharoah Sanders.

Sans prétention, mais dans une énergie communicative Laurent et ses félins nous embarquent dans un voyage onirique et parfois cinématographique.

Dès le premier morceau, le ton est donné, chaud, coloré, rythmé, à la fois familier et nouveau.

Sylvain Daniel, distille des lignes de basse efficaces, plaquées sur la rythmique impeccable de ses compères Philippe Gleizes (batterie) et Fabe Beaurel Bambi (percussions).

Le son n’est pas trituré, on joue électro-acoustique, c’est un peu vintage parfois, mais les petites phrases mélodiques accrocheuses ponctuées par des chorus raisonnablement débridés font de l’effet. Ça tourne, ça groove, c’est accessible à la toute première écoute.

Sans en mettre partout, sans « démo », les musiciens se font quand même plaisir en prenant tour à tour leurs chorus ; la basse slappe par moments, l’orgue Hammond couine de bon cœur, les peaux résonnent sous les coups de leurs bourreaux, percussionniste et batteur se lancent tout à coup, dans une joute rythmique inspirée.

L’orgue, seul membre du tigre capable de livrer un propos polyphonique, délivre de petits gimmicks aux rythmes tantôt tropicaux, tantôt afros, nous transportant çà et là entre l’Afrique de l’Ouest et la jungle moite du sud-est asiatique, sur tempo languissant, tel un film colorisé narrant des aventures coloniales.

Agile et voyageur, le tigre d’eau douce montre aussi son humour insoupçonné. « Le titre qui suit m’a été inspiré par ma femme quand elle a perdu ses lunettes ». Sur une rythmique assez rock où la basse est très présente, le titre donne une autre couleur à la palette du peintre (fauviste) Bardainne ; chez Laurent ça doit barder lorsque Madame perd ses verres !

« Le vent, les arbres, les oiseaux m’encouragent » ; cette citation du Facteur Cheval a inspiré à Laurent un titre mid tempo, sorte de ritournelle exposée sur plusieurs tons et posée sur une nappe d’accords plaqués sur le vibrato de l’orgue.

Terminant le set avec « Hymne au soleil » dont l’intro de percussions chaude et colorée ne trahit pas le titre, Laurent Bardainne dompteur de son tigre d’eau douce a réussi à séduire l’exigeant public du Rocher de Palmer avec une soul rétrofuturiste très ensoleillée

Rappelé par des applaudissements nourris, le groupe termine son set par une ballade langoureuse, presque californienne… Le tigre d’eau douce pourrait donc aussi peupler l’ouest américain.

Petite séance de rattrapage : https://www.youtube.com/watch?v=cqNFjsn2yYU&list=PLfvylfGiJc107nKoQnmYHAV3EMfqqUpA5

Sylvain Rifflet « Remember Stan Getz »

Line up :

  • Sylvain Rifflet : saxophone ténor, direction et arrangements
  • Chloé Cailleton : voix
  • Airelle Besson : trompette
  • Julien Lourau : saxophone ténor
  • Pascal Schumacher : vibraphone et marimba
  • Nelson Veras : guitare
  • Florent Nisse : contrebasse
  • Ziv Ravitz : batterie
  • Quartet à cordes : Rémi Rière, Akémi Fillon, Ariana Smith

Si Stan Getz figure au panthéon du jazz, c’est avant tout, pour sa sonorité unique qu’il tirait de son ténor et qui permet de le distinguer dès la première note. Celui qu’on appelait « The Sound » s’éteignait définitivement le 6 juin 1991. Avec son ténor ourlé de douceur, caractérisé par un vibrato moelleux et tendre, mélancolique et délicat, il a su toucher tous ses contemporains.

Le grand public connait de Stan Getz la bossa-nova. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’artiste n’a été ni un révolutionnaire, ni un défricheur. A l’instar d’un comédien qui sait sublimer un texte, Getz maîtrisait à la perfection l’art de la phrase, du récit, de la tension narrative. Getz n’était pas compositeur, à la différence de Rollins, Coltrane ou encore Brecker ou Shorter… il ne racontait pas ses propres histoires mais empruntait celles des autres pour en exprimer toute la gamme des émotions possibles.

C’est cet artiste-là, archi connu et paradoxalement mal connu que Sylvain Rifflet a décidé de présenter dans le projet « Remember Stan Getz ». Evitant ainsi la comparaison inévitable s’il avait uniquement revisité les standards du maître, Sylvain Rifflet a d’abord pris le parti de raconter Stan Getz, sa vie, ses tourments. Il décide ici retracer tout le répertoire et la carrière de son mentor. Pour cela, il a puisé la matière dans différentes périodes marquantes, sans forcément respecter leur chronologie.

Stan Getz aimait à dire que le saxophone était l’expression de l’âme humaine. Il affirmait aussi que ce qu’il jouait, c’était lui. « C’est moi qui sort de mon saxophone », disait-il. « Stan Getz était un chanteur », souligne Sylvain Rifflet, qui élabore ce projet hommage après un parcours artistique qui avait peu laissé entrevoir qu’il connaît toute l’histoire de Getz par cœur, à part en 2017 avec « ReFocus ». En effet, il s’était attelé à revisiter le légendaire album « Focus », une suite orchestrale au carrefour du jazz et du classique composée par Eddie Sauter en 1961.

Ce soir, autour de Sylvain Rifflet, un casting de luxe : Julien Lourau (aussi) au saxophone, le guitariste brésilien Nelson Verras, le vibraphoniste Pascal Schumacher, la trompettiste Airelle Besson, la chanteuse Chloé Cailleton, portés par la rythmique de Florent Nisse (contrebasse) et du batteur Ziv Ravitz. Enfin, un quatuor à cordes complète la formation orchestrale.

Le set démarre par un insolite duo trompette saxophone, « Line for Lyons », où Airelle Besson tient le pupitre de Chet baker. Suit un solo de Rifflet avant le grand Medley bossa, de 6 titres, dont l’incontournable « Girl from Ipanema ». Un peu long à mon gout.

Intarissable sur la vie et l’œuvre de Stan Getz, Sylvain Rifflet embarque le public vers une série de titres moins connus, moins grand public et dans lesquels la richesse de l’orchestre trouve beaucoup plus de sens.

« Bird Alone » de la chanteuse Abbey Lincoln débute cette série ; Airelle Besson et Chloé Cailleton tiennent évidemment la conversation sur ce titre très féminin.

Sylvain Rifflet qui rêvait d’enregistrer un disque qui reprenne le format de « Focus », mixe ses compositions à celles de commandées par Stan Getz au compositeur et arrangeur Eddie Sauter. Considéré comme un point majeur dans la carrière de ces deux musiciens, Stan Getz considérait « Focus » comme son album le plus important.

Alternant ou partageant le pupitre, avec Julien Lourau dont le son et le phrasé sont vraiment différents, Sylvain joue aussi les chefs d’orchestre au moment de faire se révéler pleinement le quatuor à cordes.

Cette partie-là du concert semble paradoxalement plus aboutie, plus juste, plus pertinente. Chacun s’implique dans un chorus, prend le leadership, porte une part du projet et propose quelque chose, un peu comme si morceaux sacralisés des années « bossa », les avaient bridés.

Le dernier rappel, sax, guitare, chant laisse le public repartir dans la nuit sur une douce note tropicale et sucrée, « O grande amor ».

Des grands classiques des années Verve aux ultimes enregistrements avec Abbey Lincoln en passant par l’éphémère collaboration avec Eddy Louiss, René Thomas et Bernard Lubat, et une bonne dose de bossa, le portrait du grand Stan Getz est brossé en 12 morceaux interprétés par 12 artistes. Il fallait au moins ça.

Set list :

  • Line for Lyons
  • Pennies from heaven
  • Medley : The girl from Ipanema, Mania de Maria, Retrato, Chovendo na roseira, Chega de Saudade, Menina flor
  • Bird alone
  • And how I hoped for your love
  • Dum Dum !
  • Her
  • I’m late, I’m late
  • Night run (S. Rifflet)
  • Harlequin on the string (S. Rifflet)

Rappels

  • Jive hoot
  • O grande amor

Par Vince, photos Christine Sardaine.

Galerie photos 1 :

Galerie photos 2 :