Je reçois ce jour le très beau catalogue 2020 du Label Jazz Laborie – L’émotion de la découverte – augmenté de l’exergue Apprécier les qualités d’un artiste lorsqu’il est libre. La réception conjointe de 4 cd’s à chroniquer pour Action Jazz de Bordeaux, 3 tous récents de 2021 et 1 antérieur de 2019, me guide naturellement vers un focus sur ce label emblématique et ses productions. Tout d’abord, il me faut préciser ma position, elle est celle d’un critique et non d’un l’influenceur de goût (quel vilain mot) car il s’agit d’un engagement : pour mes chroniques, je ne peux me contenter de peu, à l’instar des productions exigeantes du Label Jazz Laborie. Trouver l’angle de vue et  la perspective personnalisée de mon propos critique (dans le sens grec du terme) pour chaque artiste et son projet réalisé, contextuer l’œuvre dans un environnement plus large. L’art est trop exigent pour le banaliser, il y a beaucoup à dire, à partager, que ce soit pour les artistes ou pour le public audiophile en quête de pépites.
Jazz Laborie soutien les compositeurs, se souhaite révélateur-élévateur d’artistes prometteurs, et au vu des artistes promus qui devinrent de talentueuses personnalités pérennes du monde du jazz national et international (Yaron Herman, Anne Paceo, Emile Parisien, …), nous ne pouvons qu’être convaincu de leur nez de parfumeur musicaux.
Comment définir ce qu’est un compositeur, n’y-a-t-il pas des limites voire des écueils aux choix de projets qui seront menés ? En tout état de cause, le risque est mesuré eu égard à leur professionnalisme.
Jazz Laborie soutient également les artistes réputés confirmés, un accompagnement tout au long de leurs carrières respectant la diversité des esthétiques, la parité et le large spectre générationnel.
En art, on les nomme tantôt commissaire d’exposition, éditeur, directeur artistique. Que ce soit en musique ou dans tout autre médium, ils-elles procèdent de la même énergie passionnée à composer une ligne éditoriale et esthétique sur le long terme. Ils-elles sont des compositeur-e-s du temps. L’artiste est dans son temps, le label travaille dans le temps. Un label n’est pas une tour de Babel « d’uchronies utopiques » même si nous aimerions faire un détour par ce Babel, un artiste monté trop vite en graine peut se fracasser à l’aune du temps. En cela, nous pouvons faire confiance à Jazz Laborie qui outre son nez fin a l’œil pérenne, l’œil-oreille qui manque aux éphémères (nom masculin et féminin), elles qui ont autant d’yeux pour ne voir qu’aussi brièvement dans le temps. Leurs facultés oculaires appartiendraient-elle à un temps que nous ne connaissons pas ?
Il y a un peu de ACT Music et d’ECM chez Jazz Laborie : une sorte de jazz easy listening contemporain. Mon propos n’est absolument pas péjoratif, la composition d’une ligne éditoriale claire est un choix primordial qui favorisera de nouvelles conditions d’écoute, de nouvelles propositions de partage artistiques interrogeant d’autres combinaisons instrumentales et vocales.
Et il n’y a pas que la musique qui compte dans le choix éditorial d’un Label, il y a aussi l’humanité que porte les artistes et leurs projets, que sont-ils aujourd’hui, que seront-ils demain ? En ce sens, un Label offre un espace de germination, un temps de connivence et de partage pour consolidation.
Nous ne saurions être plus heureux qu’en écoutant Jean-Michel Leygonie nous dire cela en distillant, en bon découvreur-parfumeur qu’il est, ses généreuses ondes fragrancielles dans nos cerfs-volants auditifs prompts au Bar des habitudes musicales (Franck Bartelt aux éditions Gallimard).
Au fait, qui sont vos auditeurs cher Label : consommateurs, audiophiles actifs, auditeurs acculturés ou simples béotiens ?
Tout cela m’interroge sur l’objet CD même à l’aune du tout numérique destructeur autant que facilitateur : l’enregistrement est-il objet culturel de postérité, d’étapes de vie, de révélations, de fixateur de signifiants culturels ? L’objet artistique serait-il à redéfinir au-delà de l’objet discographique même : en tant qu’œuvre, en tant que partition auditive, pour le spectacle vivant, pour la recherche, pour la connexion active avec l’édition partitionnelle à destination des conservatoires, des universités en tant que champs d’études musicologiques in vivo, l’histoire de la musique en train de se faire, de se vivre.
Nous aimerions que les deux albums pianistiques ci-dessus décrits, fassent l’office de publication pianistique.
Dichotomie ou convergence ? L’ensemble des 3 albums 2021 que nous venons de chroniquer porte d’une part, la marque d’une nouvelle consonance en jazz tel que Keith Jarrett l’initia en son temps, et porte, d’autre part, l’étonnante absence d’improvisation au sens stricte du terme, sans oublier, les pianos et voix d’aujourd’hui dans leurs assimilations multiculturelles globalisées.
Bien entendu, il y aura toujours dichotomies entre les écrits des dossiers de presse et les avis de chroniqueurs mais main dans la main, nous ne saurions envisager quelconque divorce. Œuvrons ensemble à soutenir les énergies passionnées et passionnantes des artistes d’aujourd’hui et de demain pour les publics d’aujourd’hui et de demain.

MADELEINE CAZENAVE – ROUGE – Derrière les paupières
Fermons nos paupières d’oreilles pour mieux écouter l’enfant du dedans !

Ainsi pouvons-nous résumer cet album attachant, cohérent dans son unité. Album à rapprocher de la nouvelle consonance voire de la nouvelle simplicité, ce versant de la musique contemporaine désirant retrouver le « peu » (ne voulant dire le « guère » entendons-nous), le « simple » mélodico-harmonique, le rayonnement poétique fragile et sensible. Faire avec les moyens du bord ou au bord des moyens est un choix, et ce n’est pas la même chose, les minimalistes s’en sont ouvert à ce sujet.
Si nous parlons ici de neo-consonance, c’est que déjà des artistes des années 70 / 80 épurèrent la complexité harmonique tels Keith Jarret, Steve Swallow, Gary Burton. Rappelons-nous l’album TRANCE de Steve Kuhn avec Steve Swallow justement, période toute différente d’une autre nommée modale. Aujourd’hui, le procédé est identique, prenons Sing a Song of Song de Kenny Garrett, simplification et portée poétique, dont la trame harmonique des plus simple est du meilleur effet : E – C – D – E -, et ce, en boucle.
Ecouter l’enfant du dedans ! L’enfance ne s’embarrasse pas de « lyrisme », elle est limpide, claire et directe dans la simplicité de sa restitution (Françoise Dolto nous contredirait considérant l’enfant comme un possible pervers polymorphe sur pattes, soit). Les mystiques (entendez initiés étymologiquement) ne s’embarrassent pas d’ornements superfétatoires. Et si nous cherchions du côté de l’enfant-Bach (emprunts évidents dans le 5ème morceau : 4%) ?
Dans cet album, le piano, au permanent toucher neutre, jouent ses notes à poids égaux (excepté dans le dernier morceau où le toucher semble volontairement plus subtil). L’enfant joue égal, Bach joue égal, l’enfant est à l’égal de Bach, je ne parle ni de volume ni d’amplitude qui embarquent tel ou tel crescendo mais de l’énergie (la velocity) du toucher. Cette absence de toucher nous toucha-t-elle ? Non bien entendu à l’écoute première mais quelque peu dans la perception auditive globale.
Madeleine Cazenave nous distille donc un piano égal au meilleur tempérament qui soit (je me demande d’ailleurs si une préparation du piano avec un tempérament ancien n’eut pas été pertinent). Il n’en va pas de même pour moi pianiste pour qui chaque doigt, chaque note, signifie un monde en soi. Mais ici le plaisir est tout autre, ce sont les cellules répétées, séquences, boucles, loops – les synonymes ne manquent pas – qui nous entraînent en cellule de dégrisement de la complexité. Ces tourneries enfantines ou bien encore mantratiques, sont touchers pour elles-même et porteuses d’imaginaires immobiles.
Paradoxalement, la permanente même couleur de piano ne signifie pas non-intérêt et de délicats modes de jeux employés nous ravissent (cordes légèrement mutées, etc.), ils nous ont rappelé la harpe d’Isabelle Olivier ou bien encore une prise en main-sons de la culture du monde au piano tel que la Kora africaine.
En somme, cet album est celui d’un piano de notre temps, un piano minimaliste à l’envoûtant hypnotisme.
L’architecture formelle des morceaux est à l’identique pour l’ensemble : lignes mélodiques monophoniques, thématiques cellulaires simples quasi enfantines (certaines me rappelant la compositrice russe Sofia Goubaïdoulina), appui constant sur un axe, une note perpétuelle sur laquelle s’appuie l’évolution du climax (allo Giacinto Scelci), élongations progressives des matériaux dans l’espace-temps, peu d’harmonies au piano privilégiant un développement polyphonique entre les instruments fussent-ils eux-mêmes polyphoniques.
L’accompagnement habituel du jeu pianistique dans le jazz (harmonies verticales à la main gauche) est ici substitué par des cellules et séquences répétitives, symétriques ou asymétriques. Et si quelques hauteurs harmoniques sont perçues, il en va de triades majeures ou mineures sans complexité chordale particulière.
Au fil des cellules sur le fil des forces itératives de celles-ci émergent quelques idées phares : quand le rythme fait la mélodie, quand l’accord appuie le rythme, quand les mesures asymétriques et les superpositions de différentes rythmicités nous conduisent à la perception d’équivalence rythmique, il en découle un surprenant effet d’angles auditifs entre tempi réels et tempi ressentis.
Ces cycles perpétuels permettent au batteur de s’exprimer plus librement que la contrebasse et le piano mêmes. Batterie pour laquelle nous aurions aimé davantage d’originalités de timbres, d’autres couleurs de percussions, spécifiquement pensées pour cet album.
Au mixage, le rapport entre la batterie solistique et le piano / contrebasse restant statiques du point de vue dynamique, nous semble quelque peu étrange faussant de fait la perception scénique réelle.
La longue partie de contrebasse arco sul ponticello nous paraît manquer de puissance et d’envol, est-ce le souhait de contenir le climax afin de donner voix à la batterie ?
Madeleine semble n’avoir aucune velléité à prendre le versant « soliste » privilégiant la cohésion du Trio. Mais toud’même : où est l’improvisation pianistique dans cet opus ?
Tout ceci ne manquant pas d’humour, un morceau nous renvoyant même, par ses couleurs et thématiques, à un Amicalement vôtre d’antan (Tony Curtis et Roger Moore).
Tout est boucle, tout est cycle, tout est axe, tout est beau, l’enfant-Madeleine aux boucles d’oreille s’envole et sème sa poésie sur nos petites cellules grises toutes égayées par cette découverte.

MANON CHEVALIER – IMPERNANENCE
Trouver sa voix, sa voie, ne sont choses faciles.

Certaines se sont révélées avec élégance telles les Melody Gardot, Bjork, Cassandra Wilson etc, mais n’est pas rebelge du mois d’août en rebel-lion qui veut même si l’on sait aujourd’hui que certaines vraies lionnes ont également des crinières, même parmi quelques musiciennes françaises de talent telles les Félicie Bazelaire, Flore Seube, Carole Hémard, Leila Solal, etc. Qu’on se le dise : Roaaaarrrrrrr-e (j’inclusive expressément) !
Avant tout, il nous faut comprendre et ivoire plus clair parmi toutes ces Manons, non mais, aussi nombreuses dans la voix soient-elles. Car elles sont tantôt femme politique (Manon Chevalier au Québec), tantôt actrice française (Manon Chevalier), tantôt sujet littéraire d’un opéra-comique de Jules Massenet (l’histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut). Mais que d’aventures mazette !
Que nous dévoile (peut-être) le titre de l’album IMPERNANENCE ? Nous aimons prendre la température épistolaire avant l’écoute. Huummm ? Que cet album est une « interdépendance liant les choses entre elles dans un continuum espace-temps qui modèle la matière et la pensée et dont le résultat probable est l’absence d’existence durable, un non-soi en somme » ? Dans le bouddhisme : « l’observation et la conscientisation du caractère éphémère de toute chose est à l’égal d’apaisement, on ne lutte pas contre l’impermanence de la vie, on accompagne le mouvement de la vie, on s’inscrit dans le temps présent ».
En cela, Manon est bien une voix de son temps, une pensée du temps présent, au présent voulant dire également dans son âge. Une voix de demain ? peu importe la tenue pérenne, ce qui est important, c’est la voie carpe diem.
Donc, nous nous sommes dit : cet album doit sous-tendre un propos philosophique (à l’instar de celui de Nuphar Fey Serenity Island, pianiste et compositrice israélienne) : composer la complexité du perpétuel changement et ce, à la manière des Panta rhei : tout coule, rien ne demeure / on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, d’Héraclite, d’Anaxagore rien ne nait ni ne périt, voire de Lavoisier rien ne se perd rien ne se crée tout se transforme. Chouette !
A la première écoute (car nous en faisons de multiple avant de poser la plume), nous nous sommes demandé : est-ce du jazz ? Ou se cache-t-il dans cet opus ? En allant plus loin, qu’est-ce le jazz même aujourd’hui ? Variétés des jazz’s comme la play-list que m’envoyât le Bruxelles Jazz Festival (Festival ne pouvant avoir lieu en raison de la Covid) allant de la chanteuse (de variété ?) An Pierlé Quartet au punk-jazz-electro des THE BRUMS – Kimberley. Un jazz varié, quelque fois play-lest, la variété n’étant ici ni la question ni l’enjeu, à méditer donc.
Somme toute, cet album est architecturalement minimaliste avec un instrumentarium voix, clavier, batterie, tout à fait pertinent.
Blue Wooden Chair aux teintes bluezies avec le sitar est sans conteste le meilleur morceau de l’album, magnifique solo de sitar et superbe combinatoire entre voix et sitar à l’unisson ! à noter aussi le très beau My tame bird avec son écrin d’oiseaux, des voix d’oiseaux qu’aimerait assurément Céleste Boursier-Mougenot, rappelons-nous son célèbre From Hear to Ear. Un autre avec sa touche fusion des années 80’, un autre, rock, nous rappelant Ange et son célèbre Chez ces gens là de Brel, un autre plus subtil encore avec le saxophone ténor donnant avec la voix l’impression d’un orgue positif, instrument utilisé en musique ancienne au XVIème siècle.
En conclusion, l’ensemble des arrangements est excellent malgré, à notre goût, un trop-plein de sources culturelles venant co-imbiber les compositions.
Que retiendrons-nous particulièrement de cet album : la claviériste ! Un réel coup de cœur pour Maya Cros qui porte l’architecture sonique des morceaux à bout de bras, bravo Maya, un réel investissement esthétique qui différencie le tout. Claviers multiples aux sonorités vintage nous faisant penser à Benoît Cordoz (pianiste d’Eric Truffaz), dans l’utilisation « salie » du Fender Rhodes, de longs soli un peu Zawinul très intéressants de-ci de-là, un clavier oscillant de vibrati lents microtonaux avec la voix « juste », etc.
Petit regret : un jeu de batterie trop standardisé pop-international. D’ailleurs, est-ce que l’adjonction d’une batterie justifie le jazz dans ce binarisme majoritaire ?
Quant à la voix même, sensible et fragile, une voix microphonique dirions-nous, entre fougue catalane tout en réserve et conventions vocales pop-internationales, il y a aussi quelque chose des premiers albums de Michael Jackson adolescent. Tantôt voix nue non réverbérée tantôt voix réverbérée de différentes manières, maîtrisant parfaitement les champs de profondeurs de proximité et d’éloignement avec ces jeux de réverbs.
Mais si jazz il y a où se trouve l’improvisation vocale ?
Un paradoxe de taille nous apparaît entre le texte de Manon Chevalier (certes juste, pertinent et téméraire) du dossier de presse et le composé musical, comme s’il y avait un haha (nommé aussi un saut du loup) entre l’argument et le compositionnel. Nous aimerions en savoir plus.
Manon Chevalier : « … Pour que les femmes soient plus que beauté et tranquillité … cette dictature du beau qui nous fait taire … pour qu’elles (les femmes) rompent ce silence violent et contre-nature. … ».
Rappelons-nous aussi René Char : « Il n’y a pas de place pour la beauté, toute la place est pour la beauté ». Méditons.
Bien entendu, il n’est pas nécessaire de lever le poing de la revendication pour l’affirmation de ses choix mais ici pourquoi « banaliser » par le format chanson, et donc, initier un retour à l’ancrage dans le consommable de la « variété » ? Manon Chevalier parle du « refus » de la beauté mais elle s’applique, sans doute inconsciemment, l’idiome qu’elle souhaite dénoncer. Au-delà de la beauté plastique, la beauté n’est pas synonyme de « soumission ». Manon est vraiment de son temps : revendication identitaire assimilée dans une société éco-bio-consommable. Faudrait-il dès lors « anonymer », aseptiser, résister à la beauté, la « banaliser » (au sens Hannah Arendt du terme) ? Faisons avec simplicité émerger la reconnaissance de la beauté en tant qu’ autorité naturelle (autorité = autor = compétence). Méditons.
Manon a raison face aux diktats actuels du marché de la musique, même la musique classique n’échappe pas à son lot du mannequinat exigé des artistes : de plus en plus de beaux, de belles, de sveltes, de sportifs, de plastiques irréprochables, tous ces jeunes artistes poussés au « doigt » d’être glamour, mais le glas des âges tombe vite. Sans doute le message de Manon est-il d’être en mesure d’assumer sa belle féminité sans que celle-ci soit le « cézame » à toute évolution dans les 24hs de carrière artistique de la vie d’une femme.
Et je sais de quoi je parle, moi-même m’impliquant dans une Association nationale nommée Force Femmes.
Cet album remportera un beau et franc succès auprès d’auditeurs de pop-international soit en lounge music, clubs ou bien encore festivals d’été.

SIMON DENIZART – NOMAD
Comme un enfant qui ne tient pas en place !

Nous avons aimé cette rencontre piano – percussion/drummée nimbée de temps à autre de sonorités électroniques. Malgré une excellente technique pianistique toute « masculine » et une soyeuse couleur de piano rendue par l’enregistrement encore plus chaude, ronde et généreuse, globalement, nous l’avouons, nous sommes sortis de plusieurs écoutes de l’album épuisé à chaque fois. Pourquoi ? Sans doute, dirions-nous de l’air os-court ! Certes, il s’agit ici d’un jeu pianistique spectaculaire mais paradoxalement cette magnificence de jeux tend à s’annuler au miroir de la monopolisation constante de l’espace : ça ne respire pas, nous avons manqué d’air !! Se peut-il que Simon Denizart ait peur du vide, du silence ?
Non sans humour, nous dirons que de l’arpège à l’art piège, il n’y a qu’un pas ! Non sans humour, il y a du geste olympique dans la force de propulsion de l’arpège tels des javelots, marteaux ou bien encore disques. L’arpège est le lancement de l’accord, son toucher : l’harmonie. Il y a aussi du marathonien de l’arpège dans cet opus, tout est en force et tout l’album semble être sur ce même plan-force, les Marteaux du maître !
Il semble y avoir un souhait structuraliste, dirait-on en art plastique, dans cette architecture compositionnelle tant les séquences de pensée s’enchaînent rapidement, abruptement, induisant moult décrochages radicaux d’idiomes, une sorte d’explosantes non fixes versus cubisme pianistique et compositionnel. Nous avons eu cette étrange impression d’être des enfants jouant avec un Kaléidoscope tournant la vis avec excitation pour de nouveaux plans aussi multicolorés que des vitraux.
Simon Denizart serait-il un romantique de l’arpège classico-jazzie !
Oui, nous semble-t-il, c’est bien l’arpégiation qui conduit Simon dans la composition de ses thématiques ornementées de fréquents mordants mélodiques et octaviations. Même le deuxième morceau nous laisse entendre l’arpégiator automatique d’un synthétiseur (arpégies à tort (?) dans Zoha), on y revient, on ne se quitte plus.
Simon semble définir une nouvelle consonance arpégiale à différentes vitesses créant un tourbillon de flammèches, d’envolées d’arpèges-accords et de ruptures harmoniques fortes intéressantes. Il initie le thème-arpégial tonal ou modal à la différence des thèmes-boucle de Madeleine Cazenave. Vous l’aurez compris, tout est ici arpèges aux effets psychédéliques multiples dans un univers très carré, dans lequel il n’y a pas de vélocité en soi mais nombre de crescendi/decrescendi propices à la métaphore océanique, la Mer de Debussyversus déchainements tempestueux d’abrupts houles arpégiales.
Quelle a été l’intention compositionnelle initiale entre les deux instruments piano et percussion/drummée ? Quels apports et innovations furent espérés, attendus ? Qu’apporte la percussion-batterie au pianiste ? Ou est d’ailleurs l’improvisation pianistique ?
Qu’apporte donc la percussion-batterie : de la vie par itérations rythmiques ? De toute évidence, la batterie sculpte l’arpège. Cette proposition percussive aux ambiances « boite à rythme » dégingandée me rappelle l’album In Praise of Dreams de Yan Garbarek chez ECM avec Kim Kashkashian au violon alto et Manu Katché aux drums électroacoustiques.
Personnellement, la complémentarité avec un percussionniste outillé de tout de sorte d’accessoires tablas, métaux insolites, aurait permis une coloration plus fine au projet plutôt qu’un jeu constant d’itérations rythmiques percus-drummées.
Souvent le batteur semble s’évertuer à « accorder » sa pulsation avec le piano, à essayer d’« originaliser » ses actions mais lui-même n’a guère de place tant le discours pianistique est omniprésent et obsédant, se résout-il à des «  4/4 » décousus pour valider ses actions ?
Eu égard à l’instabilité très organisée du piano qui n’assoit aucun univers dans le temps pour le développer, le percussioniste-batteur n’a de fait pas beaucoup d’espace d’expression, les changements de direction trop rapides empêchent celui-ci de s’envoler réellement comme dans le morceau où sa plage d’improvisation est « obstruée » par de puissants accords incessants. Aucune place n’est donc laissée aux timbres perçus, le piano se souhaitant ultra dominant. Il y a nombre de mises en place exigeantes ayant comme résultat de mettre en sas, en nasse, le batteur-percussionniste, nous le sentons manquant de coudées franches pour un apport rythmique oriental dans le monde néoclassique pianistique de Simon. C’est dommage car le batteur-percussionniste est le seul à prendre le chemin de l’improvisation.
Même le mixage positionne le batteur-percussionniste à l’arrière du piano. Du coup, quid de la nature même du DUO ? Y-a- t-il vraiment eu un travail compositionnel duettiste ? Est-ce davantage un soliste accompagné ?
A la moitié du 3ème morceau, se trouve une étrange coupure abrupte ressemblant à un collage de bande de studio ?
Du point de vue mélodique, Simon Dezinart est sincère, ses mélodies sont chantantes, badinantes, agréables à l’oreille, légères, quelques peu sucre d’orge à la clé des champs der men. Mais ce que nous retenons, c’est la posture compositionnelle de Simon initiant dans cet album : le thème-rythme, le thème-rythme arpégial, le thème-rythme martelé, comme s’il avait exploité les archétypes de l’accompagnement convenu en jazz pour en faire des morceaux. Bonne idée de ce changement d’angle de vue même si dans Last Night, trop d’usage de pédale forte, nous donne une impression de noyade. Du Tombeau des Naïades à la noyade, « …il faut noyer le ton… » disait Debussy à la recherche « … d’accords incomplets, flottants… on sort par la porte qu’on veut … ».
Dans cet album, tout est très bien écrit – mais ou est la porte de l’improvisation, nous nous répétons – dans cette dynamique de succession de cellules, séquences, plans séquences, minimalisme arpégial, compingarpégial, le tout passant quelque peu du « coq-à-l’âne », en néerlandais cette expression devient voler comme un papillon, van de hak op de tak springen. Simon serait-il Papillon ?
Un excellent album, nerveux à souhait, ne manquant assurément pas de gonades, un programme qui saura ravir les scènes de jazz et le public en quête de musiques apnéiques.

Mansuy / Leloil / Fenichel / Pasqua
LES QUATRES VENTS

Ma chronique sera courte, d’autres furent faites précédemment. Je dirai simplement que si nous ne sommes pas arrivé à rentrer dans les 4 premiers morceaux de l’album, les 5 6 7 8 9 sont très réussis, fallait-il que les musiciens s’installent ?
Cet album nous donne l’impression d’être dans un club, au contact direct des musiciens, comme au concert. Très réussi !
Mais au fait, avec quels vents ai-je pu bien danser ?

Patrick-Astrid Defossez