Mother Earth

Par Philippe Desmond
Dave Blenkhorn nous parle de son nouvel album « Mother Earth » enregistré à New Orleans en février 2019

AJ : Comment est venu ce projet ?
DB : L’année dernière j’ai eu une crise cardiaque à Singapour pendant une tournée avec le pianiste David Torkanowsky et le trompettiste Leon « Kid Chocolate » Brown. Par chance le meilleur hôpital de cardiologie d’Asie était à cinq minutes de la scène et ils m’ont miraculeusement sauvé la vie en me posant un stent en urgence. David est reparti à NOLA, mais avant il m’a invité là-bas pour faire un disque dès que je serais rétabli. Après trois jours à l’hôpital de Singapour j’ai été logé dans un immeuble en face de l’hôtel Shangri La avec interdiction de voyager pendant un mois. J’ai ainsi eu tout le temps de réfléchir à maintes choses. J’ai ainsi décidé de faire cet album pour ma famille, ayant perdu mon père quelques années auparavant et ayant toujours voulu enregistrer un disque en son hommage.

AJ : le répertoire est très varié, peux tu nous dire pourquoi ?
DB : Nous avons grandi en écoutant du blues, de la country et du jazz dans ma ville de Tamworth en Australie, célèbre pour son festival annuel de country music. Entre cela et mon frère ainé qui jouait de la guitare il y avait une forte culture musicale qui se forgeait. New Orleans est bien sûr l’endroit pour la musique live de tous genres, il y a une créativité naturelle qui donne naissance à tellement de musiciens talentueux et originaux, et je savais qu’il se passerait quelque chose de spécial pour cet enregistrement.

AJ : il y a des musiciens remarquables avec toi !
DB : C’est grâce à David Torkanowsky que nous avons eu tant de grands musiciens sur le disque. Nous avons enregistré 12 titres en une journée avec Hervin Riley, Grayson Brockamp, David et moi plus quelques invités spéciaux Jamison Ross, Pedro Segundo et l’immense George Porter Jr

AJ : ce disque est un peu une surprise, une bonne, par rapport à ce que tu joues habituellement
DB : Par rapport à ce que le public connaît de moi c’est un voyage différent et éclectique mais j’espère qu’il sera perçu comme cohérent et conforme à ma personnalité tout au long du disque. J’espère que vous aimerez cet album

Dave Blenkhorn est un sideman et parfois leader très apprécié. L’Australien désormais installé dans les landes girondines a en effet de belles cordes à son arc : des cordes vocales et des cordes de guitare. Capable aussi bien de chanter Nat King Cole que de gratter du swing ou d’aller taquiner du Pat Metheny. Pour les raisons évoquées dans l’interview il est donc parti à New Orleans pour ce projet personnel. A ce sujet il est intéressant de constater comment cette ville revient très fort sur le devant de la scène jazz en ce moment. On retourne souvent à ses racines paraît-il ; le jazz n’échappe pas à cet adage.

Il est donc parti là-bas pour s’entourer de musiciens de prestige bien ancrés dans ce lieu bien qu’ayant roulé leur bosse sur tout le continent, voire le globe. 

Au piano et au Rhodes, David Torkanowsky donc, une grosse pointure née à NO et qui a collaboré avec Dianne Reeves, Allen Toussaint, Earl Turbington, Errol Garner même et bien d’autres. Capable de jouer le jazz, le blues, le funk, en sideman ou en leader.

A la contrebasse Grayson Brockamp . Après des années à New York comme sideman incontournable au Blue Note, au Birdland ou au Dizzy’s Club il a rejoint NO pour intégrer le NOJO (New Orleans Jazz Orchestra) puis former le New Orleans Wildlife Band.

A la batterie, last but not least, Herlin Riley en personne. Ce monsieur a travaillé avec Ahmad Jamal (7 ans), Winton Marsalis, George Benson, Harry Connick Jr et d’autres encore. Un pilier légendaire de NO.

De mauvais ingrédients ne font pas une bonne sauce, le contraire par contre n’est pas automatique. Rassurez-vous de suite, ici le résultat est un régal pour les papilles auditives, quelques invités étant venus en plus pimenter le tout.

Dave est allé chercher un répertoire varié allant du jazz, au blues et même à la country. Ouverture avec « Junco Partner’s », un blues métamorphosé en reggae il y a déjà 40 ans par The Clash. Ici il est tonique éclairé par la voie haute et franche de Dave. La guitare chante elle aussi sur une rythmique alerte très second line. Déjà sur ce premier titre on a compris à qui l’on avait affaire ! Et comment ne pas penser à Dr John. Puis le blues profond « Mother Earth » de Memphis Slim et son piano un peu bastringue, une surprise avec « Don’t Think Twice It’s Alright » de Bob Dylan dans une version énergique ; bon sang cette rythmique ! Douceur avec « Bye Bye Blackbird » un vrai tube maintes fois repris, même par Ringo Starr ! David Torkanowsky nous y offre un petit concerto. Fats Domino est évoqué avec « When My Dream Boat Comes home », Dave aussi à l’aise à la guitare qu’au chant. Parfum délicat d’ « Azalea » la ballade d’Armstong avant de retrouver Willie Nelson pour du blues avec « Night Life » et une ballade country « Blue Eyes Crying In The Rain » ; guitare de cristal, rythmique sage et profonde. « What Is This Thing Called Love » standard de Cole Porter et un passage au swing que Dave adore aussi. Il se fait crooner sur « Skylark » . « Just a Lucky So And So » du Duke ; ils ne sont que quatre et pourtant ça sonne comme un big band, certes un jour sans vents. « Do You Know What It Means To Miss New Orleans » pour finir, comme un aveu de tristesse de devoir se séparer.