Rocher de Palmer – 14 juillet 2022Rhoda Scott Lady All Stars + Anthony Joseph

Rhoda Scott Lady All Stars

Deuxième soirée du festival Sons d’Été avec à l’affiche une formation qui vole de succès en succès et cela pour diverses raisons : la notoriété de Rhoda Scott connue aussi du grand public, l’originalité de son projet avec un orchestre entièrement féminin, la composition de celui-ci, des stars françaises et le bouche à oreille car c’est musicalement très réussi.

Ce Rhoda Scott Lady All Stars qui succède au Rhoda Scott Lady Quartet ne peut pas être accusé de surfer sur la vague féministe actuelle, la première formation créée au Festival Jazz à Vienne date de 2004 ! Sa composition de base qui n’a pas changé a été étoffée par d’autres remarquables musiciennes, jugez plutôt : à l’orgue Hammond bien sûr la dame aux pieds nus, avec elle à la rythmique la batteuse Anne Paceo et la batteriste (elle y tient) Julie Saury, au sax baryton Céline Bonacina, au ténor Sophie Alour, à l’alto Géraldine Laurent et Lisa Cat-Berro, à la trompette Airelle Besson ! La dream team au complet ce soir nous précise Rhoda.

Je vous laisse compter les titulaires de Victoires du Jazz ou d’autres prix tout aussi prestigieux. Et oui le jazz n’est pas seulement une affaire de testostérone, un repère de machos (il y en a !) et cette formation met un focus sur ces remarquables musiciennes. Et surtout, si vous faites « déguster en aveugle » personne ne pourra vous trouver la caractéristique de cet octet ; c’est avant tout du jazz de haute volée. Rhoda, hier soir en pleine forme une semaine après avoir fêté ses 84 ans, trône au milieu de ses collègues sortant la quintessence de son orgue avec une joie non dissimulée qui se transmet au public. Il y a tellement longtemps que je n’ai pas vu un concert de jazz aussi joyeux ! Fortement marquée par la rythmique de l’orgue et des deux batteries ainsi que la participation du sax baryton, la musique écrite par ces musiciennes laisse libre court aux chorus. On est dans un jazz teinté de blues, de gospel, de soul, de rock n’roll même, on pourrait parfois le danser, c’est jubilatoire. Ce mini big band une fois lancé est donc une merveille, un régal pour les oreilles et, vais-je oser le dire sans me faire traiter de tous les noms, pour les yeux. Quelle chance d’avoir un tel feu d’artifice de groove en ce soir de 14 juillet ! Et je me suis laissé dire par l’une d’entre elles que Rhoda n’avait pas l’intention d’en rester là.. Ça risque finir en big band cette affaire ! J’en rêve.

Par Philippe Desmond, photos Jean-Michel Meyre.

Anthony Joseph

Les mois de confinements avaient permis à Anthony Joseph, chanteur basé à Londres, originaire de Trinidad, de sortir le magnifique « The Rich Are Only Defeated When Running For Their Lives », une sorte d’album manifest , enregistré en live, et joué ce soir, dont on apprend  que le titre « vient du livre « The Black Jacobins » (1938) de l’écrivain C.L.R James, philosophe, historien et militant socialiste trinidadien, sur la révolution haïtienne ».  Déjà programmé il y a quelques années au Rocher, Anthony Joseph avait eu l’occasion de marquer les esprits, mais il semble que depuis, le ton de ce poète engagé, à l’esprit militant et au verbe persuasif, se soit éclairé d’une lumière encore plus vive sur ses engagements, nourris par les sons et les mots de ses racines caribéennes. Nous voilà accueillis par une longue intro aux encens spirituels, de cérémonie coltranienne, mêlée aux citations blues torsadées du guitariste, à la clarinette basse et au souffle cuivré énigmatique du saxophone, sur tapis rythmique au drums & Bass mutant obsédant. Le décor est mis pour l’entrée d’Anthony Joseph, chanteur parleur dont les « spoken words » sont dans la ligne de ceux des Gil Scott Héron et autres Last Poets, à moins que, de par son look, il ne s’agisse aussi de Richie Havens, ou encore d’Isaac Hayes. Les cinq remarquables musiciens qui l’entourent, le protègent ou même le projettent dans le ciel lumineux d’un Icare diseur de vérité, en tissant un groove profond et mélancolique, tatoué par endroits d’accents éthiopiques poignants, socle enflammé à l’hommage rendu au Peuple caribéen arrivé jadis en Angleterre, et à ses magnifiques poètes, comme par exemple Edward Kamau Brathwaite, emporté début 2020, une influence pour Anthony Joseph, qui dit ses textes avec une ferveur émue, le morceau « Kamau » nous laisse sans voix ! Autre grande étape de ce voyage saisissant, « Langage (Poem for Anthony McNeill) », longue suite philosophique, « We have name for everything » répète à l’envi le leader, verbe d’abord soutenu par de petits conciliabules sonores, au ton free donnant d’irrésistibles frissons, puis étoffant leurs ailes de plus de vigueur pour s’échapper dans d’incroyables transes libertaires, sur fond d’un irrésistible beat tatoué afro funk! Même couleur pour le trépidant « Swing praxis », lui aussi chargé d’un sens unique et attirant, bannissant toute interdiction !
Anthony Joseph et ses hommes nous ont offert un groove d’âme, porteur d’un message clairement humaniste, sur un flow changeant, électrisant,  époustouflant ! Des rythmes martelés comme des battements de cœur, des entrelacs de saxophones et de clarinette, véritables vrilles perce-cœur de liberté, pour servir un chant habité, beau comme la vie !

Par Dom Imonk, photos Christine Sardaine.

Line up : 

Anthony Joseph : Voix lead 

Thibaut Remy : Guitare. 

Andrew John : Basse 

Denys Baptiste : Saxophone ténor et clarinette basse

Jason Yarde : Saxophone alto et baryton

Rod Youngs : Batterie 

Galerie photos 1 :

Galerie photos 2 :