Le swing colle aux basques.
Chronique d’humeur d’une première fois au Anglet Jazz Festival (64)

Terre de traditions, le pays basque n’en est pas moins ouvert aux cultures d’origines plus lointaines ; le surf n’est-il pas devenu l’un des emblèmes de la région depuis les années 60 ?

Aussi fertile pour le jazz que pour les pommes à cidre, la terre basque offre aux aficionados du genre, de belles heures d’écoute de part et d’autre de la frontière. Frontière ? Je crois que le mot n’existe pas au pays basque, car, unies comme les doigts de la main, les 7 provinces invitent à découvrir les notes bleues çà et là sur cette terre d’exception. Getxo, Vittoria Gasteiz en passant par Saint-Sébastien et Hendaye durant le mois de juillet et enfin Anglet fermant le bal de très belle manière, l’amateur novice ou le jazzophile éclairé ont du choix dans la région. Evidemment, ceci était surtout vrai jusqu’en 2019.

Pour sa 14ème édition le festival jazz à Anglet a parié que le jazz serait une excellente thérapie contre la morosité que la COVID-19 fait peser sur le spectacle vivant depuis 7 mois. 

Pari réussi, puisque le public était au rendez-vous et ne bouda son plaisir à l’écoute des différents groupes aux styles éclectiques, trois soirs durant au théâtre Quintaou (jeudi 17, vendredi 18 et samedi 19 septembre). Le soleil aussi était là pour encourager les 3 groupes dimanche 20 septembre, sur l’herbe à Baroja. Braver avec autant d’impertinence une météo incertaine, la rentrée scolaire, l’arrivée télévisée de l’édition retardée du Tour de France et le 1/4 de finale de Coupe d’Europe de rugby et bien entendu… cette pénible pandémie, cela s’appelle être audacieux, ou peut-être Basque, tout simplement ! Chapeau bas (ou peut-être, ici, béret bas !) Oui, car je rentre enthousiasmé de cette escapade au sud de l’Adour. Blasé le Vince ? non, jamais, même, s’il faut l’avouer, tout n’est pas toujours époustouflant quand on enchaîne les concerts depuis quelques années ! Festivals médiatisés, belles salles, musiciens à la stature internationale, sponsors de luxe… ne font pas toujours un « beau festival ».

Ma définition toute personnelle d’un beau festival peut alors tenir dans la simple description de celui d’Anglet ; une poignée de passionnés irréductibles, une sélection de musiciens affamés, invités à partager la scène comme on partage un bon repas, un public qui est là pour découvrir, s’amuser, fraterniser comme on sait si bien le faire au pays basque dans la décontraction mais en mettant un certain point d’honneur à la qualité du savoir vivre. J’en veux pour preuve les belles tablées au format pique-nique, où jambon, ardi-gasna, vins et bières du pays trônaient, ce dimanche sur l’herbe. A l’instar de Saint-Émilion, Andernos ou encore Respire jazz en Charente l’Anglet jazz festival a une âme ! Le battement des rythmes de son cœur fait vibrer bien plus que la sensibilité des auditeurs. C’est une chaleur, une convivialité, un véritable élan d’affection qui unit bénévoles musiciens et spectateurs, dans le plaisir retrouvé d’être ensemble, d’écouter et de partager, tout simplement. 

Bon… c’est bien joli ma poésie à 2 croches, mais qu’avons-nous à vous dire sur les concerts de cette fin d’été à Anglet ?

Côté musique, le chroniqueur frustré que je suis, de ne pas avoir tout vu, ni tout entendu ne vous fera que quelques retours sur le show du samedi soir et de l’herbe de Baroja, dimanche.

L.Coulondre. A.Ceccarelli & J.Bruyère
L. Coulondre. A. Ceccarelli & J. Bruyère

Le set de Laurent Coulondre accompagné à la basse par Jérémy Bruyère et à la batterie par le mythique DD Ceccarelli (que l’on ne présente plus !) débute par Colors et Looking up, deux compositions Michel Petrucciani que Laurent a décidé d’honorer à travers le projet « Michel on my mind » sorti en août 2019. Heureux de retrouver la scène et ses amis musiciens Laurent saisit le micro pour faire partager au public son émotion et sa joie immense, mais aussi de pouvoir célébrer l’anniversaire de Jérémy Bruyère. Comme un seul homme les 300 ou 400 spectateurs de la salle lui entonnent un vibrant « joyeux anniversaire ». Les morceaux s’enchaînent « Michel on my mind » composition de Laurent Coulondre et titre éponyme du CD dans lequel, Laurent peint un portrait musical de cet immense musicien disparu trop tôt. Un instant seul sur scène, Laurent interprète un titre composé par Eddy Louis que Petrucciani jouait en trio, « les grelots ». La performance est prodigieuse ! Pivotant sur son tabouret de piano entre l’orgue Hammond, son pédalier et le grand-queue de concert, Laurent se contorsionne pour livrer une performance technique autant que musicale en livrant seul ce titre que vous pouvez retrouver sur l’album « Petrucciani Louis, Conférence de presse volume 1 ». C’est comme si Eddy Louis et Michel Petrucciani étaient, l’espace d’un instant, redescendus sur terre pour remonter sur scène. Bravo Laurent ! Le set se termine par une composition écrite par Laurent avant le confinement et fini pendant… pour les beaux yeux d’une certaine Laura qui semble avoir inspiré une balade romantique au charmant Laurent Coulondre. Le set se termine par Chorinho et Brazil like. Après une salve d’applaudissements, le trio remercie le public avec un rappel « she did it again » qui clôture ce premier set ébouriffant.

Benoît Sourisse

La 2ème partie de la soirée permet de découvrir ou redécouvrir un projet initié par un Benoît Sourisse (orgue Hammond) et André Charlier (batterie), les inséparables duettistes du jazz français qui ont invité Louis Winsberg à revisiter le répertoire de l’immense et regretté Michael Brecker. L’album sorti au cours de l’été 2018, intitulé « Tales from Michael » regorge de réinterprétations réussies des morceaux choisis au fil des différentes époques du prolifique saxophoniste (30 projets en leader ou coleader et plus de 700 apparitions en sideman). Ce soir le trio a choisi d’élargir encore le panorama de l’œuvre immense laissée par le musicien disparu en 2007. Démarrant par « Minsk » puis « talking to myself » et le fameux « strap hanging » des débuts des Brecker Brothers (1981), Winsberg, Charlier et Sourisse donnent une autre dimension aux mélodies connues pour être soufflées par ce ténor de légende. « Wide angles » du quindectet (2003) poursuit ce voyage dans le temps. En quelques morceaux le trio passe tour à tour du son électrique des années 70 aux morceaux plus récents comme « Cost of living » ou « Oops » de la période Step Ahead. Le set se termine en mettant à l’honneur Le talent de Louis Winsberg sur une guitare acoustique. Il fait des merveilles sur la reprise aux accents Ravéliens du titre « four sleepers », ballade composée par le pianiste Don Grolnik compère de toujours du saxophoniste Michael Brecker. Entre émotion contenue et bonheur de se retrouver sur scène, le trio clôture les 3 soirées de Quintaou.

Volontairement ou non, le concert de ce soir résonne de coïncidences. D’abord l’orgue Hammond, commun aux 2 sets, mais aussi par la présence de musiciens qui se sont déjà croisés… Laurent Coulondre a découvert le jeu d’orgue sous la houlette de Benoît Sourisse et son professeur de rythme ne fut autre que André Charlier, l’autre batteur aux initiales « AC » avec André Ceccarelli ! Hommages : c’est aussi à la mémoire et au répertoire toujours vivants de musiciens vedettes de la planète jazz que cette nuit bleutée a vibré. Y’a pas de hasard, j’vous dis ! 

Mais, un beau festival, c’est surtout un état d’esprit et cette communion (enfin retrouvée) sur scène et devant, pendant et après le show. Et vous pouvez compter sur Vince pour trainer, bien après les dernières notes…

J’ai donc rapporté pour vous quelques infos exclusives du petit tour fait autour des tables de dédicaces. Laurent Coulondre avec lequel le contact se fait au premier regard (et oui… pour les sourires il faut retirer le masque !), rien de plus facile.

Alors Laurent ? Que voudrais tu dire aux lecteurs d’Action Jazz ? D’accord tu ne t’attendais pas une une non-question !

Il faut dire que c’est Laurent qui m’a provoqué, improvisant une interview, à l’heure où une petite bière aurait été bien plus appréciée (à consommer avec Maud et ration… toujours) ! Il m’a même « forcé » à ressortir mon carnet de notes que j’avais rangé à la fin du show !

Vince : Laurent, Comment peux-tu expliquer « l’épaisseur » qu’a pris le projet depuis 2019 (en effet j’avais eu la chance de rencontrer Laurent au festival jazz au phare à sur l’île de Ré en août 2019 juste au moment de la sortie de l’album « Michel on my mind ») .

Laurent : « oui, on a pris du recul, on a pris la distance sur ce projet et le fait de retrouver le public aujourd’hui, nous fait rejouer différemment. »

Vince : est-ce que la présence de DD apporte une différence ?

Laurent et Jérémy : « en fait DD il se met toujours en retrait. Il adore jouer avec nous, mais il se met au service de notre jeu, il se place différemment que Stéphane (Stéphane Huchard qui joue le remplaçant de luxe, en l’absence d’André). C’est comme s’il était spectateur en fait ! Il n’a rien à prouver, mais il fait toujours le truc qui sert à quelque chose ! »

Vince : Et après ? des scoops, des projets ?

Jérémy : « artiste instrumental aux victoires du jazz le 6 octobre (fou rires) ».

C’est vrai que là où Laurent Coulondre passe les récompenses et les partenariats pleuvent depuis quelques années :  Victoire du Jazz en 2016 et prix du « Disque français de l’année » par l’Académie du Jazz, élu « Musicien français de l’année » par Jazz Magazine et soutien de la Fondation BNP Paribas, ce surdoué gagne tout !

Laurent : « ah, si, je risque de jouer pour les jeux olympiques pendant un des quart-temps d’un match de basket. »

L’autre passion de Laurent, (et il s’en est fallu de peu de ne jamais le voir au piano), c’est le basket-ball. Aujourd’hui arbitre amateur, il est licencié dans un club en région parisienne. Les dirigeants ont récemment découvert que leur arbitre Laurent Coulondre était aussi un fameux pianiste… le raccourci fut vite fait ! Paris 2024 aura un petit air jazzy !

Alors, ça c’est du scoop chers amis ! non ?

Nous quittons Laurent, Jérémy, André, Benoit, Louis… toujours un peu frustrés de ne pas partager davantage leurs voyages, leurs projets et leurs confidences, mais remplies de cet indicible plaisir d’avoir juste partagé nos émotions.

The Soul Jazz Rebels Y. Penichou – H. Saint Guirons

A la fin du concert, Marc Tambourindéguy, directeur artistique du festival nous avait invités à rejoindre l’herbe de Baroja. Promesse tenue. Nous voilà pénétrant dans ce parc magnifique, paré pour l’occasion des équipements adéquats, scène, régie, buvette, WC et station de désinfection au gel hydroalcoolique !

Malgré les menaces de la météo du matin, le soleil encore chaud de septembre honore le public et les musiciens de sa présence. MAAJ 5tet débute le bal et la jolie voix mezzo de Jane Cockell coule sur des standards ou des reprises très swing de Sting ou Bill Withers, mais aussi de compositions originales de Marc Tambourindéguy, aussi à l’aise au piano, qu’à la programmation du festival ! Un set joliment mené pendant lequel le public s’est peut à peu étoffé. Arrivent alors les bordelais Soul Jazz Rebels aux accents soul rock funky… un beau mélange pour donner envie à quelques intrépides de danser un brin (tant pis les gestes barrières !).

Jean Marie Ecay © photo B. Labat

Enfin, le très attendu Jean-Marie Ecay, l’enfant du pays, tout juste atterri de Milan clôture ce dimanche entre amis ou en famille, accompagné de deux musiciens espagnols.

En contact avant le festival avec la discrète mais efficace Elodie en charge notamment des relations partenaires, j’ai aussi voulu faire la petite souris curieuse et vous restituer le festival de l’intérieur.

Pourriez-vous me dire quelles ont été les plus importantes difficultés pour cette édition 2020 ?

Elodie : La difficulté la plus importante que nous ayons eu était l’incertitude présente jusqu’au jour du démarrage du festival. Avec le passage en zone rouge quelques jours plus tôt, la possible grève SNCF qui aurait empêché les musiciens de venir et la peur que le public ne réponde pas présent par peur du COVID, cette édition a été assez stressante pour toute l’équipe.

Que pouvez-vous dire de l’affluence du public sur les 4 jours ?

Elodie :  Nous étions agréablement surpris par le nombre de personnes venues assister au festival et par leur discipline quant aux règles sanitaires. La jauge étant divisée par deux cette année, nous savions que le nombre de spectateurs serait réduit par rapport aux années précédentes mais malgré le port du masque durant le concert et la situation sanitaire actuelle, un grand nombre de personnes se sont déplacées pour assister au festival.

Avez-vous redouté des annulations, de musiciens, administratives, des transports ?

Elodie : Bien sûr. Nous n’étions pas sûrs que les partenaires pourraient nous suivre sur cette édition à cause du contexte économique. Et le contexte sanitaire nous a privé de quelques musiciens bloqués dans leur pays et remplacés pour l’occasion. La possible grève SNCF n’a pas aidé nos appréhensions mais elle n’a finalement pas été suivie.

Quels enseignements sur cette édition 2020 ?

Elodie :  Cette édition nous a prouvé que malgré la difficulté, nous étions capables d’aller au bout et d’être suivis par les partenaires et le public. C’était important pour nous de faire jouer les musiciens qui n’étaient parfois pas remontés sur scène depuis le début du confinement et de proposer aux Angloys un événement culturel et artistique.

Mais encore ?

Elodie : Nous remercions infiniment nos partenaires qui ont accepté de se lancer dans l’aventure malgré toutes les incertitudes évoquées, également le public, pour avoir répondu présent en cette édition toute particulière, ainsi que toutes les personnes qui ont travaillé sur le festival de près ou de loin. Nous sommes ravis d’avoir pu le maintenir et de constater le sourire sur le visage des musiciens et des spectateurs. Nous espérons grandement pouvoir réunir davantage de personnes à Quintaou l’année prochaine. Jazz sur l’herbe existe depuis plus longtemps que le festival en lui-même, la journée du dimanche a donc un succès lié à une certaine notoriété. Une notoriété qui se fait petit à petit sur les autres jours du festival mais que nous souhaiterions booster.

Tels les nuages, au-dessus de l’herbe de Baroja, les sombres heures pandémiques finiront bien par se dissiper. Alors, aucune hésitation, pour prolonger l’été, goûter à la douceur de l’été indien aux accents basques, et pour tout simplement s’enivrer de belles émotions, réservez votre 2ème ou 3ème week-end de septembre 2021… pour la 15ème édition.

Merci et un grand bravo à Elodie, Agnès et Marc et aux dévoués bénévoles du festival, ainsi qu’aux musiciens et partenaires de l’événement.

Par Vince, photos : Kiswing