Le retour en grâce de l’accordéon

L’accordéon, inventé vers la fin du XIXe siècle, a longtemps été un instrument un peu en marge du jazz. Mis en valeur par les chansons d’Edith Piaf, il a été, dans les années 60, méprisé pour son côté trop populaire – la musette, les bals – ringardisé par les yéyés avec l’injonction « Ton accordéon me fatigue Yvette si tu jouais plutôt de la clarinette » élucubrée par Antoine. Pourtant dans le monde, en Amérique latine par exemple,  il a toujours très prisé. Avant de revenir en force dans le jazz, il y a tout de même eu ses défenseurs. Citons dans le Swing, Gus Viseur et sa célèbre « Flambée montalbanaise » toujours beaucoup jouée, Jo Privat et ses collaborations avec Django, Marcel Azzola, Tony Murena et son immortelle « Indifférence »… Depuis quelques années les sonorités si caractéristiques de l’accordéon ont été redécouvertes et remises sur le devant de la scène grâce à Marc Berthoumieux, Marc Perrone, Richard Galliano, Vincent Peirani (reprenant même du Led Zep avec), Daniel Mille, Ludovic Beir… et plus près de chez nous, Laurent Derache, Gaëtan Larrue, Pascal Lamige, Jojo Gallardo (les Hurlements d’Léo) … N’oublions pas de citer un poly instrumentiste qui joue très bien de ce fameux « piano à bretelles », Bernard Lubat. Ainsi ce si bel instrument, si complexe on va le voir, a désormais sa place attirant les jeunes musiciens et le public.

Instrument complexe, comme une belle mécanique italienne (il a vraiment éclos là-bas) il nécessite ainsi des metteurs au point. Nous sommes allés en rencontrer un, Maxime Barbaud alias Monsieur Accordéon, un « facteur » installé non dans un bureau de Poste mais dans une gare, celle de Cérons en Gironde. Il n’y répare pas les soufflets entre les wagons pas plus que ceux des accordéons. Plus précisément Maxime n’est pas facteur d’accordéons, il n’en fabrique pas, il ne fait « que » les réparer et les accorder ; réparateur-accordeur donc. Nous voilà dans son joli atelier baigné de bonne musique, à l’étage de la gare toujours en activité, le parking bondé témoignant de la forte utilisation de la ligne menant vers Bordeaux.

C’est ma femme qui m’a poussé

AJ : Comment devient-on réparateur-accordeur d’accordéon ?

MB : j’en jouais ainsi que ma femme mais le sien était meilleur et ça ne me plaisait pas, alors je suis allé chez un réparateur pour le faire améliorer et quand il l’a ouvert devant moi ça été une révélation. Et si je fais ce métier c’est grâce à Capucine ma femme qui m’a poussé, elle adore la musique.

AJ : de là à avoir envie de le faire et pouvoir le faire comment cela s’est il passé.

MB : un gros travail, tout le monde disait que je ne savais pas planter un clou et j’ai fini par clouer tout le monde en réussissant ! Quand e suis allé chez le maître artisan et quand il a vu que je jouais à l’oreille sans partition il m’a dit « Viens travailler avec moi ». Il m’a rappelé plusieurs fois, j’ai hésité puis je me suis lancé.

AJ : c’était quand ?

MB : il y a douze ans. Je suis tombé dans le métier et je n’ai jamais lâché. Après ma formation sur le tas j’ai monté mon atelier à Maison Alfort et j’ai eu la chance de travailler de suite pour des grands, comme par exemple Laurent Derache.

AJ : et alors c’est compliqué comme travail ?

MB : c’est un métier, un accordéon est très complexe il y a beaucoup beaucoup de pièces entre 6000 à 12000 pièces selon les modèles ! Les diatoniques en ont moins (1). Il faut tellement de mécanique pour faire fonctionner la totalité des anches que c’est un véritable capharnaüm ! C’est ce qui est beau justement. Plein d’axes, de biellettes, de leviers, de ressorts.

AJ : comment ça marche ?

MB : c’est avant tout un instrument à vent. Quand on tire ou qu’on pousse sur le soufflet, quand on joue une note ça lève une soupape qui laisse passer l’air qui va faire vibrer une anche métallique.

Démonstration à l’appui sur une table d’accordage Maugein (2) qui lui permet d’accorder la rampe de anches en dehors de l’accordéon sans se casser le dos ; il faut près de 20 heures pour accorder complètement un instrument. Celle-ci sonne « musette » et il doit la transformer en « swing » , comment ? En diminuant l’équilibre et la vibration des anches en limant leur tête ou leur pied de façon à en modifier la fréquence vibratoire (pour faire simple car l’explication est beaucoup plus complexe)

Des anches habillées de peau…

AJ : en quoi sont faites les anches ?

MB : en duralumin et en acier bleui. Elles sont habillées de peau naturelle ou de plastique mais moi je ne travaille qu’avec la peau en cuir, celle-ci permettant de condamner une des deux anches suivant qu’on tire ou pousse sur le soufflet ; chaque anche de la paire est dédiée à un sens de passage d’air.

Puis Maxime nous montre un accordéon Bayan, utilisé surtout en musique classique mais aussi en jazz, Vincent Peirani en particulier. Sur un accordéon normal le clavier de droite permet de jouer les mélodies, celui de gauche la rythmique d’accompagnement avec des accords de basse pré installés, une touche pouvant actionner plusieurs notes simultanément. Sur le Bayan un déclencheur permet de d’associer les basses-accords standard et les basses libres chromatiques.

MB : au Conservatoire l’accordéon n’a été accepté qu’il y a une vingtaine d’années et seul le Bayan est autorisé, or il coûte deux fois plus cher que les autres, même pour débuter (de 1500 € d’occasion à 3000 € neuf pour un accordéon chromatique, le double pour le Bayan) ce qui pénalise les familles et ralentit le développement de la pratique. Certains peuvent monter jusqu’à 40 000 €. En plus ils pèsent 15 kg et c’est lourd à porter. Le mécanisme est en effet doublé dans la partie gauche déjà très complexe.

AJ : dans le jazz c’est utilisé ?

MB : de plus en plus, Peirani en a un, Laurent Derache aussi mais eux c’est leur métier ; ils ont appris avec des accordéons à basses standard.

AJ : ceux-là sont plus petits.

MB : ce sont des diatoniques, le son de la note est différent selon qu’on pousse ou tire sur le soufflet. Plutôt pour la musique celte, folklorique. Moi je ne sais pas en jouer, ça m’énerve, il faut agir sans arrêt sur le soufflet pousser, tirer pour jouer les notes alors que sur le chromatique le mouvement du soufflet est plus lent, moins saccadé. C’est très particulier.

AJ : et les soufflets tu les répares aussi ?

MB : non je les fais refaire ou je les remplace. Je les commande en Italie, ils sont de belle qualité et deux à trois fois moins chers que ceux faits en France. En accordéon les meilleurs ce sont les Italiens. Le brevet de l’accordéon est autrichien mais ce sont les Italiens qui très vite ont développé la fabrication. Ils savent faire des Rolls

AJ : en quoi sont-ils faits ?

MB : c’est du carton, du cuir et des coins métalliques en alu. S’ils sont peu usés je peux parfois les réparer.

AJ : il y a beaucoup d’accordéonistes dans le coin donc de clients ?

MB : beaucoup plus que je pouvais imaginer ! D’ailleurs j’ai du mal à comprendre ce qui se passe en Gironde, je trouve que la culture n’est pas mise en avant, c’est assez renfermé. On a ici des artistes incroyables mais en Gironde ils ne passent jamais. Dans le jazz ils sont très peu, Gaëtan Larrue (3), Pierre-Jean Ley… René Lacaye aussi même si ce n’est pas du jazz mais il peut tout jouer, il est incroyable.

Quelques clients célèbres

AJ : tu travailles avec eux ?

MB : oui, et quand j’avais mon atelier à Maison Alfort j’ai eu aussi Vincent Peirani, Lionel Suarez, Laurent Derache, David Venitucci…

AJ : revenons aux entrailles de l’instrument. Tu fabriques les pièces de rechange ?

MB : certaines oui, j’en répare d’autres des biellettes ou des leviers que je ressoude mais sinon j’achète des pièces détachées, en Italie , en France c’est vite inaccessible.

AJ : ça a l’air d’être un métier passion ?

MB : oui, je ne fais pas ça pour devenir riche mais par amour de l’instrument et du travail bien fait. Je suis au service des musiciens, je dois respecter leur choix de tonalité, de réglages. Un accordage au diapason c’est au moins 18 heures, une révision c’est seulement 2 heures.

AJ : et pour terminer comment t’es tu retrouvé à l’étage de cette gare ?

MB : je cherchais un local après certains déboires avec mon précédent atelier et j’ai répondu à l’appel à projets de la SNCF nommé 1001 gares qui consiste à louer des anciennes gares ou des locaux dans d’autres en activité comme ici pour les maintenir en bon état ou les valoriser. Et j’ai été choisi parmi trois propositions. Mais c’est vraiment complexe à monter comme dossier !

 Encore une belle rencontre avec ce trentenaire passionné qui apparemment ne manque pas de travail mais a tout de même pris le temps de nous accueillir aimablement et surtout instructivement.

par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat

  1. diatonique : les notes des touches sont différentes selon qu’on vide ou remplit le soufflet contrairement au chromatique où il est le même.
  2. Maugein : dernier fabricant d’accordéons français, situé à Tulle en Corrèze.
  3. Gaëtan Larrue devait être avec nous mais a eu un empêchement de dernière minute.

http://www.monsieuraccordeon.com/