Entretien avec Denis Girault et Geoffroy Boizard

photo Ricky Rickmans

A l’approche de la sortie de leur album, nous avons rencontré deux membres de Claribol Stompers, Denis Girault le clarinettiste à l’origine du projet et Geoffroy Boizard, guitariste solo du groupe.

Action Jazz : Claribol Stompers, d’où vient ce nom ?

Denis Girault : Claribol c’est la clarinette en argot des musiciens et stomp c’est battre la mesure avec le pied par exemple

Geoffroy Boizard : L’idée c’est de monter que cette musique américaine est en France

DG : au tout début j’ai voulu faire un groupe de jazz manouche avec deux guitares, une contrebasse et une clarinette. On a commencé comme ça en quartet avec Ludovic Langlade à la guitare rythmique, Nicolas Dubouchet à la contrebasse et nous deux. Mais rapidement le batteur Yann Vicaire s’est rajouté au groupe

AJ : en principe le manouche c’est sans tambour ni trompette

DG : oui et à partir de ce moment-là on a un peu changé de son, Geoffroy s’est mis à la guitare électrique avec un son un peu plus saturé pour avoir celui de Django Reinhardt des années cinquante.

GB : oui l’esthétique de Django de ces années là.

DG : notre son vient de plusieurs influences, du blues, du jazz swing, du New Orleans et du manouche. On arrive tous d’univers différents. En concert je leade le groupe plutôt façon New Orleans.

AJ : quelles sont vos origines musicales ?

DG : moi c’est plutôt le jazz NO

GB : moi c’est manouche

DG : Nicolas est plutôt blues et swing, Ludovic jazz manouche et swing.

GB : au début de Django, mis à part les instruments qu’il joue il est difficile de faire la différence entre sa musique et le New Orleans. Les thèmes sont quasiment les mêmes mais la façon de jouer est différence. Et nous on a voulu « casser » les morceaux et les amener dans une esthétique qui nous est propre.

AJ : comment au départ vous êtes vous dirigé vers ces musiques plutôt que d’autres ?

GB : chez moi il y avait une cassette de Django Reinhardt. J’avais 10 ans j’écoutais cette musique je ne la comprenais pas mais ça m’a appris à l’aimer. J’ai joué ensuite du flamenco, du hard rock, j’ai fait du picking la méthode Marcel Dadi et un jour la musique de Django est revenue vers moi, j’ai commencé à la travailler et en définitive à la comprendre. Elle ne m’a plus jamais quitté.

DG : moi j’arrive du jazz de la Nouvelle Orleans car je suis de la Teste et quand j’étais jeune il y avait plein de musiciens du coin comme Guillaume Nouaux, Fred Dupin, Jérôme Etcheberry, Jérôme Gatius, Olivier Boeuf qui jouaient cette musique. Et j’aime par dessus tout le clarinettiste de NO, Evan Christopher. Il a fait un disque que j’adore et que j’écoute une fois par mois, « Django à la Créole » et c’est ça qui m’a donné envie de monter un quartet de jazz manouche à la base. Je n’ai pas voulu le copier mais ça m’a inspiré.

photo Patrick Votion

AJ : Geoffroy est-il vrai que certains s’attachent les doigts de la main gauche pour faire comme Django qui en avait perdu deux dans l’incendie de sa roulotte ?

GB : oui c’est vrai, il y en a beaucoup qui le font, ils se scotchent les doigts !  C’est en effet une technique très particulière qu’a dû développer Django. Moi qui vient du picking j’ai dû m’y reprendre à quatre ou cinq fois pour y arriver. Le fait de n’avoir que deux doigts donne des phrasés très particuliers et qui produisent cette sonorité. Je joue plus souvent à trois doigts mais sur des petites mélodies je prends plaisir à jouer avec deux seulement. Il y a d’ailleurs des phrasés qui ne sont jouables qu’à deux doigts, même les accords d’accompagnement.

AJ : cette musique a toujours un public fidèle et qui en plus semble se renouveler, vous le ressentez ?

DG : oui depuis cinq ans à Bordeaux il y a un public jeune qui adore le swing en général. C’est peut-être un phénomène de mode lié à l’engouement pour la danse et les écoles de swing 

GB : moi qui me suis spécialisé dans ce style voilà quinze ans, il y a eu des vagues mais ce n’est jamais parti. On mettait ça sur le succès des films de Tony Gatlif ou de « Accords et Désaccords » de Woody Allen mais je pense que c’est dû au côté énergique de cette musique. Les gens la sentent la comprennent. On l’écoute on a envie de taper du pied avec le principe de la pompe. Le phénomène de la danse est venu se rajouter.

AJ : dans le jazz manouche il y a manouche mais vous ne l’êtes pas, on ne vous l’a jamais reproché, vous accaparer une musique qui n’est pas « la vôtre » ?

GB : je suis plutôt contre cette appellation de jazz manouche ou gypsy. Je préfère dire que je fais du jazz dans le style de Django Reinhardt. Le problème c’est que le public connaît le jazz manouche et on est quasiment obligé d’utiliser cette étiquette.

DG : on dit qu’on fait du jazz swing des années 50 et on le fait à notre façon, même si on aime le manouche. 

AJ : on ne vous a jamais regardé de travers en vous traitant d’usurpateur ? (rires)

DG : jamais, d’ailleurs au festival Gypsy de Salles l’an dernier, Samson Schmitt est venu discuter avec nous dans les loges, aucun problème.

GB : je me souviens être allé jouer dans le Cantal avec Thibaud Bonté dans le camp des Dinandiers et c’est nous qui leur avons expliqué d’où venait leur musique, ils ne connaissaient pas du tout. Avec la municipalité on leur a montré le film de Gatlif puis on a fait un concert et l’accueil a été incroyable.

AJ : où en êtes-vous de votre intermittence après ces trois mois. On parle d’une année blanche mais rien n’est clair

DG : moi j’ai mon quota mais j’ai un manque à gagner certain par rapport à l’an dernier et en effet on ne sait pas grand chose pour le moment

GB : moi qui renouvelle mi-août il va me manquer dix dates

AJ : vous sentez des choses bouger ?

DG : très peu, c’est frileux ou alors c’est du jour au lendemain. J’ai eu une date hier dimanche, je l’ai su la veille : « allo vous êtes libres ? », oui bien sûr en ce moment ! On connait d’habitude les dates avec un an d’avance mais là tout s’est annulé.

GB : il commence à y avoir un début de reprogrammation pour la rentrée, quitte à ce que ça ne soit pas possible mais au moins on avance. Mais en juillet août presque tout est annulé pour le moment.

DG : à Monségur les 24 heures du Swing sont annulées mais il y aura un genre de off en septembre où nous sommes programmés avec Claribol Stompers. Les gens sont en demande pourtant, hier ils étaient comme des fous de retrouver de la musique live !

AJ : revenons à votre disque. Comment allez-vous le distribuer, le promouvoir  ?

DG : on l’aura début juillet, on a quelques concerts jusqu’en septembre et la sortie officielle est le 16 octobre au Thélonious, en quintet. Le CD sera aussi en vente sur mon site et la page Facebook du groupe.

AJ : d’autres projets en cours avec d’autres formations ?

GB : toujours les Pères Peinards et Rêves de Swing, du pur Hot Club de France.

DG : toujours mon quintet jazz NO, le Denis Girault New Orleans Project, Avec le Perry Gordon Rhythm Club, le Jazz Chamber Orchestra avec qui on repasse au théâtre l’année prochaine. Mais le plus important en ce moment c’est Claribol !

AJ : et d’un point de vue général, comment vivez vous votre passion, et comment vivez-vous DE votre passion, indépendamment de cette période que l’on vient de vivre ?

DG : personnellement je vis ma passion très bien et aussi grâce au système d’intermittence. Je viens d’un autre métier, la comptabilité, dans le privé et depuis deux ans je vis assez confortablement ma passion. Mais c’est dur, le démarchage, se faire connaître, l’inquiétude de ne pas avoir ses dates, tout ça s’estompant sur scène où là ça roule !

AJ : vous composez tous les deux ?

GB : moi je compose beaucoup et dans l’album suivant on aimerait bien qu’il y ait davantage de compositions et d’arrangements personnels.

AJ : d’ailleurs vous continuez à faire des CD alors que certains arrêtent faisant soit des vinyles soit du streaming.

GB : moi je fais partie de la vieille école, j’aime bien avoir quelque chose dans les mains et en plus après les concerts on nous demande toujours des CD.

DG : il y a encore pas mal de gens que cela intéresse alors on continue.

AJ : merci les amis de nous avoir accordé cet entretien et que les jours meilleurs arrivent enfin !

Philippe Desmond

Claribols Stompers « Swingattic »

Le jazz swing occupe toujours une place de choix dans le cœur de beaucoup d’amateurs de jazz. La scène bordelaise est riche de ces formations, le public étant nombreux, des clubs aux manifestations privées. Le clarinettiste Denis Girault est un des tenants de ce type de musique old school, très actif sur le Bassin d’Arcachon et la région bordelaise. Depuis quelques mois, il a monté le groupe « Claribol Stompers » qui propose de revisiter l’époque du swing et notamment du gypsy, le fameux jazz manouche inventé par Django Reinhardt. Cet album de quatorze titres comporte pas moins de dix compositions de Django, le « Mood Indigo » de Duke et le standard « Bernie’sTune », deux morceaux du guitariste du groupe, Geoffrey Boizard, complétant le tout.

La rythmique est confiée à Ludovic Langlade à la guitare grande bouche, Nicolas Dubouchet à la contrebasse et Yann Vicaire à la batterie, du très solide. Nous voilà très proches, mais avec des arrangements très personnels, du premier Quintette du Hot Club de France mais cette fois loin des guerres picrocholines entre tradis et modernes, les seconds étant voués au sort des premiers un jour ou l’autre. Il faut de la musique pour tout le monde est celle qui est proposée ici n’est elle pas devenue intemporelle ? Oppose t-on Mozart à Stockhausen ?

On a en plus affaire à cinq excellents musiciens qui ont su reproduire ce son vintage jusqu’à celui de la batterie qui sonne comme avant. Les dialogues entre la clarinette et la guitare solo électrique, comme Django dans les 50’s, parfois sensibles parfois enjoués sont un vrai régal. Cette musique va très bien à la clarinette qui s’appuie sur la fameuse pompe rythmique.

Nul doute que les danseurs aussi vont apprécier ce disque, la rythmique engageante ne pouvant que leur donner des fourmis dans les jambes. De très jolies ballades leur permettront même de danser quelques slows, ces moments si agréables ayant quasiment disparu de nos jours, l’épidémie n’arrangeant pas les choses ! Et si vous ne dansez pas vous taperez forcément du pied, stomp en anglais.

Replongez-vous avec délectation dans l’insouciance des ces années d’avant et d’après guerre, laissez-vous porter par ces mélodies apparemment simples mais pas si faciles que ça à faire swinguer. Eux y arrivent parfaitement.

Autoproduit : https://denisgiraultjazz.wixsite.com/denisgirault

Philippe Desmond