Charley Rose Trio – Dada Pulp
[COUP DE CŒUR] Il y a à peine deux ans, le Charley Rose Trio nous avait déjà sérieusement empoignés avec un premier album (sorti sur le label Déluge), qui offrait sa vision grand angle d’une musique habitée, aux impulsions inattendues. Il y avait du jazz bien sûr mais mutant, joué par des virtuoses décomplexés d’être si bons, du rock, un soupçon d’electro, du contemporain en mode un tantinet chambriste peroxydé, et surtout une étonnante complicité qui soudait leurs judicieuses parataxes, animées de réjouissantes sautes d’humeur, car ils sont amis de longue date et se connaissent parfaitement. Le son magnifique de chacun, une singulière densité et l’art de la composition, étrange par moment, qui captive et piège les « explorateurs » de nouvelles textures sonores ! Nous eûmes la chance de les voir en live à l’époque, et la surprise de l’album fut encore plus époustouflante en concert !
Les influences de chacun expliquent cela. Pour Charley Rose, c’est du rock au contemporain du 20° siècle en passant par le free et le jazz. Il participe par exemple à l’aventure expérimentale du groupe Larchey Zore Quartet ou encore à celle des Multiplexers de Benoît Delbecq. Pour Enzo Carniel et Ariel Tessier, ce n’est pas vraiment différent. Musiciens aux participations multiples et dans des courants divers où une turbulente curiosité est de mise, ils viennent tous les deux du quartet House of Echo formé par le premier, autre groupe de recherche et de prise de risques, où improvisations « no limits » et compositions sont au menu. Il était donc naturel que nos trois compères unissent leurs visions sans œillères en un tel trio.
Avec le nouveau projet « Dada Pulp », les choses sont loin de s’être calmées car l’inspiration, toujours aussi perchée, trouve carrément ses sources dans le « Pulp » de Charles Bukowski et le mouvement « Dada » ! Ressortirons-nous vivants d’une telle expérience ? Ne nous posons même pas la question, et allons-y ! L’album nous pousse à l’audace d’exister en toute liberté, à abandonner nos parures tendance, aux formes étriquées, pour épouser une autre personnalité, un « alter-ego », en abordant ce disque comme lui le veut, et non plus nous. Nous sommes ainsi invités à entrer dans un film bolide, bizarre et marginal, surprenant et déstabilisant, une histoire parallèle où tout va très vite et semble pourtant possible. Nous voici inclus dans son déroulement ! Le message du trio est d’ailleurs très clair : « Laissez-vous porter par la musique, laissez vos sens vagabonder, et surtout amusez-vous à découvrir l’inconnu » ! Là, l’inconnu c’est surtout le nôtre, jusqu’à quel point sommes-nous capables de sauter dans le vide et d’accepter une nouvelle alchimie de sons hors normes ? Ici, nous le pouvons, soyons fous !
Ce disque c’est un peu la bo de ce film foldingue, qui serait tourné en même temps par les frères Coen, Jim Jarmusch et même David Lynch. Un rythme haletant pour ce scénario décrit morceau par morceau dans le texte de pochette qu’il faut absolument lire avant écoute, une suite de « cadavres exquis » surréalistes mis bout à bout, et qui vous racontent chaque thème avec une drôlerie totalement décalée !
Douze pièces d’une foisonnante créativité qui, de « Cow’s blues » à « Au bout toujours la lumière » vous feront vivre un rêve éveillé, sur des allures changeantes, bien souvent trépidantes, l’occasion pour le saxophone d’élancer au plus profond des cœurs ses rayons dorés, au piano de dessiner d’infinis champs de fleurs émotionnelles et à la batterie de transmettre en tous instants les battements les plus vibrants de la vie, aidée en cela par la respiration palpitante de la contrebasse d’Arne Huber sur trois titres. Enfin, mention spéciale pour « La morale à zéro », ambitieuse pièce chantée par Yumi Ito, dont l’ambiance et la voix mystérieuses ne sont pas sans évoquer celles d’Annette Peacock, ou mieux, celles de Patty Waters, notamment sur « Black is the color of my true love’s hair » que rappelle un peu ce titre. « Dada Pulp » vous attend, ne le décevez pas !
Charley Rose Trio :
Charley Rose : sax tenor, effets
Enzo Carniel : piano, MS 20
Ariel Tessier : batterie, percussions
Invités :
Yumi Ito : voix sur « La morale à zéro »
Arne Huber : contrebasse sur « La valse à Tchibi », « Mr T », et « Explanations »
Par Dom Imonk
Chez Menace Sense