Improdimensions

Agusti Fernandez : Piano
Liudas Mockunas : Clarinette contrebasse, saxophone ténor et soprano


Nouvelle parution de la courageuse (dans ses choix musicaux) maison de disques lituanienne. On a entendu ce pianiste catalan vétéran (66 ans) auprès de Barry Guy, Derek Bailey, Evan Parker ou Joe Morris, et tout ce qui compte dans la musique improvisée d’Europe et d’ailleurs… parmi la centaine d’enregistrement auxquels il a participé. Ses qualités d’écoute et de réaction, son jeu varié, de minimaliste à foisonnant en font un musicien incontournable dans le genre. Concernant ce jeune multi-souffleur local (Lituanien né en “76″), c’est sur une scène plus jeune et aventureuse que nous l’avons croisé, avec, entre autres piliers actuels : René Duby, Marc Ducret ou Sylvain Darrifourcq. On comprend facilement que son style autodidacte et personnel, privilégiant sensibilité et émotion, ainsi que sa large palette sonore aient touchés d’autres défricheurs en quête de compagnon d’exploration.


On entend tout ça, et plus sur ce très beau disque (en totale impro) qui peut sembler être une réponse, ou une suite au travail de Jimmy Guiffre qui participa à l’élaboration du 3ème courant (Third Stream) avec Lenny Tristano et le MJQ, ainsi qu’un hommage à Cecil Taylor pour qui le silence est indissociable du son, et de la musique. Communion totale entre les 2 artistes qui se cherchent, se trouvent, communiquent en concertation unifiée ou contradictoire… La tension est palpable dans cette discussion haut niveau où la virtuosité et la spontanéité se mêlent naturellement. Chacun s’exprimant librement, exposant des idées, un sens, appelant le sentiment de l’autre sur cette proposition qui sera partagée, enrichie, ou bien modifiée, contredite, mais toujours avec respect et acceptation de ce qui vient d’être émit.


De belles plages presque désertes, des cris d’oiseaux fabuleux et coquillages qui chantent. Pluies de cordes obstinées sur claquements de clés. Concerti contemporains à ravir les auditeurs avertis les plus exigeants. Paroxysme de notes, de sons inconnus dans un esprit libertaire où rien ne se perd, mais rebondi jusqu’au prochain silence, materia prima d’où émergent de nouvelles intentions lointaines, prennent corps en catimini, en douce (ur), s’affirment, un nouveau sujet est abordé ! Le silence ponctue les fragments de manifestes qui passent par le tamis de l’appréciation de chacun des duettistes, en temps réel avec l’émotion ressentie par tous. Silence qui n’est seulement une séparation et un lien entre deux propositions, mais aussi qui existe, pour lui-même, repos des oreilles, de l’attention, de l’esprit. Même s’il ne persiste, il a le temps d’imprimer une couleur sur ce qui l’a précédé et ce qui suit. Une respiration dans un univers plein de formes joyeuses, d’instants dramatiques, de paysages fantasmagoriques… On s’attend souvent à entendre les 2 bons parleurs éclater de rire, après une tension gérée, pendant une pause habitée. On imagine les plis de leurs visages suivant les images qu’ils mettent en page, et que l’on prend pour cadeau, contents. Magie de l’instant.

Magie permanente de chaque instant passé avec ces deux poètes-sculpteurs de sons au style si particulier !
Un très beau disque, rare.

Chez NoBusiness Records
Par Alain Fleche