Yoann Loustalot – Oiseau Rare
Yoann Loustalot (trompette, bugle)
Julien Touéry (piano)
Marie-Violaine Cadoret (violon)
Cécile Grenier (alto)
Atsushi Sakai (violoncelle)
Ivan Gélugne (contrebasse)
Matyas Szandai (contrebasse (CD : 5, 6, 9))
Nouvelle apparition de notre oiseau rare hexagonal. Rare de par ses qualités personnelles, comparable à nul autre : économie de notes, son tendre et chaleureux, on l’imagine rêvant, près de la cheminée, l’esprit parti loin dans son imaginaire d’où il tentera de nous restituer un extrait, le suc, de ses trouvailles sans mots, bourrées de sentiments et d’émotions à fleur de peau.
Ce n’est pas un disque avec cordes, l’oiseau ne se prend pas pour Bird ! C’est un disque de vent et cordes, une trompette qui joue avec un piano, un violon, violoncelle et contrebasse, chacun ayant son mot à dire à tout instant. Tous les instruments ont leur importance, et si la trompette (ou le bugle) est prédominante, au-dessus du tapis tissé avec soin, c’est plus de par sa tessiture plus vive et lumineuse que par la place qu’il partage avec les amis, qu’il a choisi pour leur sensibilité proche de la sienne dans ce projet qu’il a voulu brut, sincère et naturel.
Choix instrumental à haut risque pour ce novice en la matière, qui peut se révéler casse gueule en cas d’ expansion d’égo. Ce n’est pas le cas, grâce à l’équilibre des parties écrites dévolues à chacun, occupant ainsi un rôle distinct et indispensable tout le long de l’enregistrement. Un exercice aventureux qui oblige une attention particulière à la composition rigoureuse et souple où chaque son et phrase sont répartis pour une exploitation maximale de l’idée originale. Une grosse prise de risques inconfortable, une mise en danger permanente pour une restitution juste du moment fugace et voulu.
Les compositions sentent le petit matin encore sombre, une nuit passée à écouter et transcrire ce que l’instant lui dicte, introspection dans l’intimité de l’artiste, écriture automatique du médium abordant son inconscient qui lui impose sa face cachée. La nuit est longue et les inspirations suivent les étoiles, balises de souvenirs enfouis. Balade jazz, évocation de tango furieux, relents de musique de cirque extraordinaire, expressionnisme minimaliste, paysages sonores encore inconnus, cheminements mystérieux dans l’obscurité d’un lieu qui semble clos, jusqu’à la sensation d’une luminosité qui va guider des pas plus assurés vers des couleurs qui se découvrent peu à peu et débordent du cadre convenu.
Comme d’habitude chez Yoann, rien de trop. Pas de digression superfétatoire ni broderie décorative pour faire joli, direct à l’essentiel ! L’émotion pure et brute qui suinte de chaque note, chaque rebondissement, chaque silence, elle est là, écoutez…
Les archets étirent des notes romantiques comme une brume qui confond les formes alentour, l’oiseau secoue ses plumes, quelques pas, volette, se pose, les cordes frappées du fidèle et indispensable Julien attisent une brise imperceptible qui porte le volatile dans les airs. Les cordes frottées s’ébrouent, l’oiseau s’est envolé.
Si l’écriture pour les cordes paraît puiser dans le registre ‘musique savante’, la liberté du piaf nous replace bien dans l’économie jazz. Le piano navigue d’une tendance à l’autre et fait le lien entre les écrits ciselés et les divagations calculées de l’oiseau jouant à cache-cache avec les ombres et la lumière qu’il plante au coin des mesure et des temps.
Dans un bois paisible, des pas mesurés et régulier qui découvrent des cailloux brillants, le regard se perd en suivant la hauteur d’un arbre qui disparaît dans la nuit étincelante.
Le vent balaye les feuilles, le chemin est moins certain, scintillement de lucioles, l’herbe crisse, l’aurore révèle quelques habitants des bois cherchant refuge, la brume ne se lèvera pas.
Pouf, changement de décors, le soleil se lève sur une île méditerranéenne. Couleurs du levant sur pierres blanches. Dernier jour. De visite ? De la vie ? Au revoir… ou adieu ? Méditation sur la réalité de l’instant.
Des accords au rapprochement incertain qui tentent de s’ordonner, de donner du sens aux titubements de pas hésitants. Le piano se veut montrer une voie balisée, mais les tourbillons de feuilles, les branches cassées qui traversent le décor, d’autres oiseaux qui foncent l’allure d’un fourré à la cime d’un arbuste nu et agité … ‘À la dérive’.
‘Voix de velours’, en deux parties, tout en douceur, tout en lenteur. Acrobaties dans les airs. Illustration parfaite du dessin de jaquette. Des corps, des feuilles, dans tous les sens. Ralentis et accélérés se mélangent, l’oiseau rare se distingue, juste avant le temps, s’élève toujours plus haut, plus loin.
Le ‘dernier oiseau’ saute de corde en corde, juste avant que le son ne s’éteigne, puis traîne la patte, s’enfouit sous les feuilles qui font talus mouvant. Requiem pour une espèce en voie de disparition : l’oiseau rare : le génie.
Mais non, cela ne se peut. La vie porte en elle l’inventivité insoupçonnable, la surprise indécelable, la réalité magique de l’instant renouvelé, magique. Et toujours se trouvera d’aucun d’approcher cette vérité cachée pour la révéler à qui à des oreilles !
Un disque essentiel !
Chez : Bruit Chic
Par : Alain Fleche
https://www.facebook.com/YoannLoustalotMusic
C’est vraiment très beau, cristallin et féerique. Avec simplicité des sons de la trompette comme Miles dans Ascenseur pour l’échafaud. Superbe, prenant et émouvant à la fois.