Tempus Fugit

❤️ [COUP DE COEUR] Aujourd’hui, tout va si vite que se poser pour réfléchir un peu devient chose presqu’impossible, l’irrésistible flot des évènements voulant nous engloutir comme des êtres abêtis. Il faut au temps présent des observateurs aux aguets, des peintres du furtif, des photographes soniques, des cinéastes de l’écorché vif « one shot », bref, des artistes urgentistes qui puissent nous révéler tous ces interstices vitaux que nous ne voyons pas, mais qui peuvent sauver nos espoirs. Avec ce quatrième disque, Caravaggio vient à point nommé nous délivrer d’une torpeur enlisante, en nous proposant de suivre ses mystérieuses sculptures mouvantes, vers des « no way » salvateurs. L’inouïe, l’interdit, on aime ça ! Et décidément, grâce à eux,  il n’y a pas que du moche dans ce 21ème siècle glauque, même si l’on peut reconnaître que son adulescence ne se présente pas au mieux !  Une magnifique photo de couverture de Dmitry Markov nous invite à suivre le ballon du dribleur vers un film bleuté dont l’univers futuriste nous happe dès l’inquiétant « Jessica Hyde ».  Une ambiance electro symphonique s’instaure, saisissante, mêlant post-rock hachuré et samples bruitistes, à des voicings bizarres de tables d’écoutes ou de tours de contrôle fantomatiques, c’est comme on veut, et déroule des tapis pas nets, aux plis sonores propices aux crocs-en- jambe. « My Way (A) » est déjà consommé, alors que les électrochocs du (B) nous aimantent. L’attention est scotchée d’entrée par des musiciens, forgerons du temps neuf, équilibristes émotionnels géniaux. On veut adopter leur codes et franchir avec eux ces cordes improbables, tendues entre des pics brumeux, en bravant yeux fermés le vide sans filet. On cite ces guides tourmenteurs, mais bienveillants, que sont Bruno Chevillon (basse, contrebasse, effets),  Éric Échampard (batterie, percussions, pad), Benjamin de la Fuente (violon, guitare électrique ténor, mandocaster, effets), Samuel Sighicelli (orgue Hammond, synthétiseurs (Moog, Korg, Dave Smith)) et Serge Teyssot-Gay (guitare), invité sur « Vers la flamme ». Les « Windings roads » nous font vivre d’imparables accélérations, qui nous entrainent dans la nuit inquiétante d’un « Mulholland drive » imaginaire. Mais l’échappée en est possible grâce au magnifique « Travelling », qui poursuivra ce mystérieux mood cinématographique en nous menant, sans que nous puissions y résister,  vers des flammes d’abord poétiques et oniriques, puis d’un rock apocalyptique, au creux desquelles l’invité Teyssot-Gay crépite d’inventivité, lui dont on avait adoré la participation aux « Trans » (1 et 2), aux côtés de la grande Joëlle Léandre. Pour terminer cet ébouriffant  voyage, atmosphère ouatée, lunaire, irréelle, en un « 70mn » crépusculaire, rythmé par une association basse/batterie de fin des temps, écheveaux électrifiés, strates lézardées de voix ultimes, de coups de freins urbains, de fanfares, comme des échantillons humains à emporter en témoignage, dans un vaisseau spatial en fuite vers un autre monde. Ajoutons une mention spéciale au son superbe, grâce à Sylvain Thévenard et Marwan Danoun. Album époustouflant !

« Hey Nelson, is it a science-fiction picture ? »

Par Dom Imonk

Eole Records/Distrart