Yannick Rieu – Symbiosis
[COUP DE CŒUR] Quand on écoute Yannick Rieu pour la première fois en concert, il est impossible de rester indifférent à la personnalité de cet étonnant saxophoniste et compositeur et à la force de son message musical. Il en est de même pour ses disques, tous d’humeur changeante, mais dont le fil commun semble être celui d’une recherche presque scientifique des racines de l’émotion sonore, une obstination à en découvrir la source pure, quel qu’en soit le contexte.
De stature internationale Yannick Rieu, basé au Québec, fourmille de projets, sa riche carrière en abonde, comme « MachiNations », disque sorti fin 2019 par lequel nous le découvrîmes. Bourré d’énergie et d’invention, un album de passionné pour passionnés, en témoignent chronique et interview dans nos colonnes à l’époque ! Yannick Rieu nous confia alors qu’il avait baigné dès son plus jeune âge dans ce qu’écoutait son père, certaines musiques classiques, musiques d’Afrique, rock, chansons francophone etc…et elles le marquèrent profondément, même si ses études le conduiront « doucement » vers le jazz, et surtout vers John Coltrane, le choc, devenu l’un de ses héros. Cependant, une autre révélation nous disait-il fut la découverte de Glenn Gould, en particulier sa manière « scientifique » d’enregistrer, qui l’influença, notamment pour l’album sus cité.
En parcourant les notes très enrichissantes du nouveau « Symbiosis », à lire avant d’écouter le disque, on retrouve le lien au classique cher à Yannick Rieu depuis ses années de conservatoire, et en particulier à la musique de Johannes Brahms qui l’a « toujours attiré et ému ». Nous apprenons que « c’est au cours d’une discussion avec Wonny Song de Orford Musique, lui aussi grand amateur de Brahms », que ce projet est né. Nous avons notre explication de la présence de Brahms dans ce nouveau projet, La boucle étant ainsi bouclée !
Adepte des formules acoustiques, comme ce fut précédemment le cas avec Génération Quartet « Qui qu’en grogne » sorti en 2022 (chroniqué lui aussi ici-même), c’est une formation comparable qui porte « Symbiosis », où l’on perçoit très vite le bien-fondé du titre, tant la complicité est grande entre Yannick Rieu et cette joyeuse bande de musiciens de haut vol où l’éventuelle question de génération est bien vite éludée par la force d’une naturelle synergie créative, comme si souvent chez le maestro ! Symbiose entre les êtres, les climats, les idées, avec l’être « musique », et entre les diverses étapes de son propre chemin. L’artiste, à la fois solitaire et multiple !
Voici donc réunis autour de Yannick Rieu (saxophones soprano et ténor, compositions), Jonathan Cayer (piano), Rémi-Jean Leblanc (contrebasse) et Louis-Vincent Hamel (batterie). Une épatante équipée pour porter les sept chapitres de cette nouvelle histoire, belle et sensible.
C’est « Prélude » qui ouvre la suite, avec sensibilité et délicatesse, comme les premiers mots choisis d’une lettre d’amour. L’hommage romantique est ouvert à Brahms, lui qui fut l’un des plus illustres acteurs de cette période. Piano et saxophone se comptent alors fleurette en une poésie toute en retenue, le premier en des saveurs de bois précieux à peine caressé par le silence, le second et son lyrisme dont l’éclat subtil se dévoile intime et dense. Mais l’allure change, et nous voici aspirés par une « Danse magyare » enjouée, qui nous invite par sa rythmique agile à nous fondre à ses couleurs de joie tournantes, un peu sépia. Même si Yannick ne reprend pas ouvertement du Brahms, il y pense fortement cependant avec les saisissants « Contrepoint jour Johannes » (inspiré par la symphonie n° 4) et « De Hambourg à Vienne » (inspiré par la symphonie n°2), deux allusions appuyées à l’art du mentor, généreusement développées, superbement écrites et jouées, pour lui rendre avec grâce et inventivité l’hommage qui lui est dû !
Et le jazz dans tout ça ? Nous en retrouvons un peu partout le feeling en interligne, et en particulier à l’écoute du très beau « A Fairy Tale », ou encore à celle du remarquable « Valse à 4 temps », l’un des sommets émotionnels de l’album, au fil duquel le soprano fait merveille de ses élans chantés d’oiseau magique, sans pour autant occulter le très sensuel « Embrahms-moi », dont le flot charnel et le sincère message d’amour de Rieu à Brahms va bien au-delà du simple jeu de mot du titre !
Nous ressortons charmés par cet album, captivés par la symbiose qui existe entre ces magnifiques musiciens et des idées qui défilent librement, aussi belles que des myriades de papillons de printemps ! Un disque à l’humeur intuitive, dont la beauté d’âme n’est pas préméditée, mais simplement naturelle et inattendue, comme l’air.
Au final, à la question « Aimez-vous Rieu… », nous répondons sans hésiter, oui, passionnément !
Par Dom Imonk
Yari Productions
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