De cet album, l’opus one d’une série à n’en point douter, nous n’aurons que des compliments ! Un très beau sax, encore mieux : un son est né ! Tout en s’inscrivant sur les pistes buissonnières tracées par les altistes historiques, Charley Rose réussi à dépasser le son de l’alto « standard » afin que du sien propre puisse naître ce timbre magnifique qui, nous l’espérons, l’identifiera dans l’avenir. Ses chants, thématiques et improvisations, souvent dans le haut-médium et aigu, nimbés de souffle et d’absences volontaires, « à la gomme » pourrions-nous dire, nous laissent dans « l’approximation » de leurs présences afin de nous inviter à poétiser par nombre d’effets de masque ces ghost-absences-distances mélodiques et improvisationelles (masque : mot ici employé en correspondance avec la technique utilisée en peinture visant à cacher une chromie par une autre tout en laissant se deviner le complexe obtenu). 

Un album très écrit, très bien écrit, un régal où la performance instrumentale vivifiante, la fougue rythmique enjouée, nous embarque en terres du jazz contemporain.La question qui se pose initialement à tout compositeur-e ou leaders de formation : quels seront les instruments les plus pertinents afin de révéler le discours, quel sera l’instrumentarium idéal afin de sublimer le projet ? Vaste question… pensant aux essais de colorisation timbrique de Steve Coleman et ses Five Elements, à Bill Evans chez Miles Davis, à John Zorn,… nous le voyons, la poule et l’œuf n’ont pas fini de pondre, la formation avant le projet ou le projet trouvant sa formation, être le soliste d’une œuvre ou être le soliste d’une formation ? Le piano, et non le pianiste, je le précise nettement, qui est d’une réelle solidité technique et poétique (nous avons entendu Enzo en concert à Banon (04) dans une formule originale piano-trombone, et pour un pianiste, il est toujours prouesse de se passer d’un contrebassiste), le piano donc n’aurait-il dû ici se réinventer spécifiquement, creuser un peu plus ce qui aurait « démarqué » l’album à son écoute. Globalement, le piano apporte-t-il dans ses usages harmoniques quelques plus ou assurances aux compositions, aux discours de l’alto ? N’induit-il pas un certain académisme entre lui harmoniquement verticalisé et un soliste mélodiquement horizontalisé ? Pour notre part, nous aurions pris le risque de « désharmoniser, déverticaliser » les compositions avec un autre instrument que le piano. Voyons, réfléchissons à un compromis : une harpe pour ses limitations des possibles ou une guitare acoustique pour son corps à nu, ou bien encore une guitare électrique pour ses aventures de moult traitements sonores proches de l’électroacoustique ? Le piano, par sa verticalité harmonique omniprésente et une ponctuation quasi permanente de la batterie de ses points d’articulations chordaux, nous convoque à des réflexes archétypaux d’écoute. Quant aux compositions et improvisations, un beau florilège ne manquant pas d’humour et d’inventivité. Nombre de moments croustillants nous ont réjouis : un « fantôme harmonique » très en Fiesta, ahah Fellini you’re back, Herbie Hancock et ses Head Hunters en intro, énergie et petite folie pygmées ici, là une ballade « qui arrache et fera pleurer les filles » dans les moites vapeurs salies de claviers électroniques so vintage, cela repose, le son se perd, étrange introduction de bruitismes de-ci de-là, ballade poétiquement abstraite, …

Mais pourquoi les musiciens placent-ils toujours les morceaux les plus intéressants à la fin de leurs albums ? Bigre et palsambleu, la poule et l’œuf n’ont pas fini de nous surprendre (le pou – certes en ancien français – est bien le mâle de la poule, question de parité). Nous avons vraiment aimé cet album – et son graphisme ne l’oublions pas, vivement sur scène !!!

Charley Rose : Sax alto,
Enzo Carniel : Piano,
Ariel Tessier : Batterie.

Par Patrick Defossez

Label Déluge