UPPSALA – LIVE IN BORDEAUX 1982

[ÉVÈNEMENT] Dans le tumulte musical des seventies, le rock et le jazz empruntèrent de nouvelles directions, qui permirent la découverte de nouveaux territoires sonores. Leurs terres, vierges et fertiles, virent éclore des fleurs aux couleurs turbulentes, et aux parfums à ce point enivrants que nous les évoquons encore aujourd’hui ! Créé en 1976, le trio Uppsala est formé de Philippe Cauvin (guitare, chants, compositions), de Dany Marcombe (basse fretless, compositions) et de Didier Lamarque (batterie, percussions, compositions). Avant cette aventure, un petit point d’histoire ! Philippe Cauvin avait été membre de Papoose, puis d’Absinthe, au sein duquel Dany Marcombe le rejoignit un temps, avant d’intégrer l’illustre Xalph. Les deux se retrouvèrent enfin au sein de Musique d’ici et Maintenant, avec Didier Lamarque aux percussions, Serge Korjanevski aux claviers et André Lesgouarres à la batterie. C’est après dissolution de cette dernière formation, que nos trois compères formèrent leur propre trio, dont le nom est un clin d’œil à leurs amis suédois Jukka Tolonen et Coste Apetrea, ce dernier étant guitariste au sein de Samla Mammas Manna, plus tard rebaptisés Zamla Mammaz Manna, une formation originaire de la ville d’Uppsala, un groupe qui fut d’ailleurs l’une des influences du trio.

En ces années-là, de forts courants musicaux circulaient donc tout autour de la planète et certains styles tels que le jazz ou le rock se virent ainsi bousculés, refondés, voire démultipliés en de nouvelles ramifications, par la baguette magique de la fée électricité. Chez nos disquaires favoris, ont ainsi fleuri des stickers guides, collés sur certains disques, portant les mentions « progressive jazz » pour les uns, « progressive rock » pour les autres. A simple titre d’exemple, nous découvrions les Return to Forever, Mahavishnu Orchestra et autres Weather Report classés dans la première catégorie, et les Emerson, Lake and Palmer, Yes et autres King Crimson dans la deuxième. Parallèlement à ces très attirantes émergences, de fameux groupes tels que ceux de Jimi Hendrix, Experience et Band of Gypsies, Cream ou encore Beck, Bogert and Appice, continuaient à nourrir un vrai culte auprès des afficionados du rock en trio. Contrairement à ce que semblent indiquer les exemples ci-dessus, ce vaste mouvement ne concernait pas que les USA et le Royaume Uni, mais aussi l’Europe, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, le Japon, et probablement d’autres lieux, en fouillant bien ! C’est aussi à cette période qu’émergea en France le groupe Magma, collectif légendaire, encore actif aujourd‘hui, qui créa le « zeuhl », une musique puissante et multidirectionnelle, à la dimension spirituelle et cosmique, portée par le mystérieux langage « kobaïen », créé par son fondateur Christian Vander. Tout ce préambule pour préciser dans quel contexte incroyable est apparu Uppsala ! Un groupe formé de trois fortes personnalités, remarquables musiciens à la créativité visionnaire, dont l’indépendance presque militante leur a permis de forger leur propre style, dans un univers où des idées fourmillaient à l’envi ! La force de leur trio, c’est en premier lieu une puissance collective, que l’on retrouve certes des autres cités plus haut, mais à leur façon, avec un équilibre plus subtil car moins héroïque, la place de chacun se fondant en une identité unique. C’est ensuite Philippe Cauvin, compositeur inspiré, à la voix de poète astral, aussi perchée que les étoiles (on nous dit « haute-contre »), des mots poignants d’émotion vive, des onomatopées instantanées, et un vocabulaire inconnu venu d’ailleurs. Un langage que nous ne rapprocherons pourtant pas du verbe kobaïen, même si d’aucuns avaient jadis tenté d’associer Uppsala à la mouvance zeuhl. Philippe Cauvin est aussi un grand guitariste électrique, passé plus tard à l’acoustique. Maître des envolées cristallines, comme des riffs multi strates, aux gros sons par moment presque prog, mais non, pas que ! Loupé ! C’est du son Cauvin ! A ses côtés l’indispensable Dany Marcombe, qui officie actuellement au sein de Post Image. Peut-être le plus « progressive rock » de la bande. Sa basse fretless est aussi belle et imposante qu’un grand pin de la lande, qui jamais ne cachera la forêt qui l’entoure. Sa gamme de sons et ses lignes ont fait école, des grondements en introspections des plus abyssales, aux altitudes les plus alpines, parfois entrecoupés d’accents plus percussifs. Il bâtit une structure protectrice mais ouverte, qui permet au trio de tenir le cap, aidé en cela par le troisième membre de cette précieuse triade, Didier Lamarque, batteur et percussionniste maquisard, équipé d’un vrai atelier de peintre sonore ambulant aux outils d’inventeur. Un improvisateur libre qui colore par touches agiles et précises une toile omniprésente et mouvante, en la parant de nuances naturelles aux multiples facettes, pénétrant de ses bruissements et impacts les silences inquiets. Fort de tournées à succès et d’un accueil des plus enthousiastes du public et de la presse, Uppsala s’est un jour posé à Bordeaux, dans la Salle des fêtes du Grand Parc, pour un mémorable concert. C’était le 24 février 1982 et le présent disque en témoigne. Capté à l’époque par Patrick Briand, c’est Dany Marcombe qui en a miraculeusement retrouvé les bandes, qu’il a restaurées avec Philippe Cauvin au Studio Le Martinet.  

Le disque démarre en trombe par l’époustouflant « Decorum », signé par les trois. Une courte urgence façon « Beat » du Roi Pourpre, mais avec déjà une singulière étrangeté, et une densité captivante. Même impression à l’écoute d’« Etude n°1 » qui suit dans une répétitivité rythmique imparable, chevauchée d’une guitare aux étincelles tournoyants, et de la voix illuminée d’un Pierrot d’au-delà de la lune. Nous voilà alors happés par le morceau « Uppsala », l’une des trois pièces maitresses du concert. Il y a du Yes dans cette sorte de mini opéra cosmique aux irrésistibles fulgurances, entrecoupées de breaks astronomiques, la voix s’échappe et tourne autour d’étoiles inconnues, tandis qu’une rythmique d’airain assure l’envol du starship qu’est vraiment devenu ce trio !  Par la suite, nous ne résisterons pas au groove déjanté d’« Algarade », et aux gros beats rock attitude, un soupçon crimsoniens de « Coup de folie », ces deux transpercés de chorus d’anthologie. Nous aurons entre temps pu prendre quelque répit avec « Danyriveul » superbe balade au ton bizarre décalé un tant soit peu sylvianien, et les chants d’oiseaux mystérieux de « Tropical road ». L’album s’achève sur les deux autres pièces maitresses que sont « Leïda » et son climat lunaire hypnotisant, et « Quatre divertissements », mini pièce d’un théâtre mutant, aux déclamations d’un nouveau lyrisme extraterrestre. Ce disque magnifique nous offre un beau voyage mené par des explorateurs hors norme, en des espaces de splendeur, aux messages tous différents, avec une atmosphère à l’air vif et à la météo changeante, en un style très personnel, déjà inaccoutumé dans les années quatre-vingt, mais qui le demeure aujourd’hui, et laisserait espérer que ce trio majeur se reforme un jour !

Pour encore mieux découvrir les possibilités live du trio, il est à noter que l’album « Uppsala » (*), paru en 1983, fut réédité en 2001, l’occasion d’écouter trois bonus, « Antrada », « Chant de nuit » et « Entrechocs », enregistrés en live à (feu) la Médoquine à Talence (33). C’était 11 mars 1995 pour les 10 ans de Musique de Nuit, en 1° partie du groupe Fusion, avec le trompettiste Freddy Buzon en invité. Enfin, ne manquez surtout pas de lire les notes très éclairantes de Thierry Payssan (du groupe Minimum Vital), qui, en véritable historien, permet de situer au mieux la place d’Uppsala dans l’histoire de la musique à cette époque.

Par Dom Imonk

Aqui Label Musique/Musea

Design : Jean Bernard Nadau

Coordination graphique : Stéphanie Marcombe (SM-CREATIONGRAPHIQUE.COM)

Photo : Nicole Korjanevski

Uppsala sur Facebook :

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(*) Album de 1983 réédité en 2001 + 3 bonus live de 1995