« L’hiver »

Voici un superbe album —by Thomas Julienne. Album à forte dimension et portée internationales qui nous renvoyât à la première écoute aux années 70 mais ici avec le gros son d’aujourd’hui ! Le titre de l’album L’HIVER préfigure-t-il trois autres saisons de viva ? Sortir L’Hiver à la fin du printemps s’associe-t-il à la confrérie des Transis qui par amour se sur-couvraient l’été et en hiver se sur-dévêtaient afin de conquérir leurs belles ? Ne serait-ce de nos jours afin de séduire les auditeurs ?

D’autre part, cet opus est-il mangeur ou absorbeur d’époque(s) tels ces anthropophages mangeant le corps de vaincus afin de se nourrir de leurs esprits? Que nenni, on ne naît pas ex nihilo que diantre, et cette jeune équipe de musiciens talentueux – Thomas Julienne, Ellinoa, Boris Lamerand, Antonin Fresson et Tom Peyron – nous concocte ici avec brio des orchestrations recherchées, subtiles et complexes sans complications (une toute petite question : pourquoi la drums accentue-t-elle aussi souvent les articulations d’accords, « pêcher » par trop de « pêches » en somme).

Du grec théorêma – objet digne d’étude – théorème est une assertion qui est établie comme vraie à partir d’autres assertions déjà démontrées ou assertions acceptées comme vraies, appelées axiomes. Un théorème se démontre dans un système déductif et est une conséquence logique d’un système d’axiomes. En ce sens, il se distingue d’une loi scientifique, obtenue par l’expérimentation, nous dit Wikipedia.

En bien, nous en sommes convaincus: cet album est la conséquence logique d’expérimentations musicales et soniques initiées par moult générations antérieures d’artistes, et repris-poursuivis-développés ici, dans les orchestrations, les « styles » abordés et la voix même.

THEOREM OF JOY conjugue, dans un éclectisme culturel mondialisé mâtiné d’élégance toute à la française, un socle instrumental-vocal de type jazz-rock dopés par quelques invités acoustiques savamment choisis. Il revisite les possibles de l’orchestration mariant formats de chanson aux mélodies abstraites à moult rythmiques asymétriques et équivalences systématisées que nous retrouvons aussi dans nombre d’albums de l’ONJ par exemple, aux vapeurs fréquentielles de la musique contemporaine et électronique, au rock saturax, aux improvisations instrumentales et vocales, le tout excellemment dosé !!

Lorsque nous parlons de mélodies vocales abstraites dignes des meilleures trapézistes en sauts intervalliques dis-et-con-sonants et mélismes vocaux tout aussi dignes de l’ornementation baroque, cela n’est pas nouveau en soit, Michel Legrand, en son temps, n’en était pas moins abstrait, rappelons-nous la Chanson de Maxence et ses écarts intervalliques contants de 7ème majeur voire de 9ème, tout comme Bjork à ses débuts à grand renfort d’éléments électroniques.

Nous avons isolé la voix du reste de l’orchestration, voix soprano pouvant être de temps à autre colarature (deux acceptions ici : coloratura signifiant « orner » et qualifie une voix virtuose apte à réaliser des vocalises complexes au sein d’un répertoire), nous y sommes. Le compositeur a-t-il écrit pour la voix « chanson » ou l’a-t-il considérée comme instrumentale ? Est-ce vocalement reproductible sous la douche par mr et mde tout’monde ? Comment ces derniers vont-ils s’approprier de telles mélodies qu’ils ne pourront a priori pas aisément chanter a contrario des chansons de variété? Mais le propos n’est pas là et tient davantage d’une alternative qui vise à inclure la voix dans l’orchestration tout en la mettant en dehors. En ce sens, cet album se démarque du marché de la pop-internationale en proposant un autre type de mélodie accompagnée : celle à vivre dans le flux qu’elle génère.

Dans De l’autre coté du silence, ce côté abstrait pour voix d’aujourd’hui, nous rappelle (entre autre) Choices de Mike Stern revu par Judy Niemack (qui elle aussi improvise excellemment) dans Better Choices (le timbre de la voix d’Ellinoa pouvant s’en rapproche d’ailleurs étonnamment). Ou bien encore, nous rappelle les compositions et improvisations mélismatiques de Youn Sun Nah dans Momento magico, Immersion, … mélismes que manient tout aussi pertinemment Ellinoa dans ses improvisations.Du point de vue sémantique, l’anglais fonctionne mieux pour ce type de relation syllabique et le français pour la poésie.

Nous retrouvons de telles constructions vocales abstraites chez Frank Zappa, rappelons-nous A token of his extreme (voix masculine) ou bien encore cette voix-instrument que nous aimions tant dans le Vienna Art Orchestra avec Lauren Newton et Anna Lauvergnac. Sans oublier de nos jours Thierry Maillard et son Zappa forever où la voix y est tout aussi instrumentalement importante. Quant aux relations voix-orchestrations, nous y voyons aussi quelques filiations avec le tout fou JAV contreband & David Linx Let’s Dance ou le poétique A women left lonely avec Anne Sila, ou bien encore certaines plages avec voix des Snarky Puppies.

Orchestralement encore, des hypothèses s’imposent à nous: et s’il s’agissait ici d’une sorte de Third Stream, in between entre le jazz et la chanson alternative à la française ? Et s’il s’agissait ici d’une sorte de Mahavishnu Orchestra (You know you know), d’une Conversations entre Dr. L. Subramaniam, Jean Luc Ponty, Billy Cobham et, ou tout simplement l’idée (par exemple) d’un Jean-Luc Ponty compositionnellement asymétrisé tel un Cosmic Messenger versus le Sacre du Tympan de Fred Palem ? La période jazz-rock des années 70’ (recherche de timbres acoustiques extra-européens mariés aux premiers synthétiseurs électroniques) revisitée versus mondialisation d’aujourd’hui !

Pourquoi pensons-nous au Third Stream ? Pouvons-nous y voir un écho dans l’exploitation classico-jazzistique des cordes avec le célèbre Focus de Stan Getz ? Il semble que le monde des cordes séduise et enrichisse à souhait le jazz d’aujourd’hui quel qu’il soit : le magnifique Greenhouse des Yellowjackets, Melody Gardot enregistré à Hermonville, ce Love is easy et cet étonnant solo extatique de trombone (alto ou ténor ?) dans l’aigu et ce From Paris with Love de 2020, Diana Krall avec quatuor à corde. Les exemples ne manquent pas, les cordes si longuement oubliées ont donc bien le vent en poupe !Dans ce THEOREM OF JOY, les très belles orchestrations complexes révélées par le Quatuor Les Enfants d’Icare, occupent un bel espace avec une rare densité et présence.

Chapeaux bas aux hauts-de-forme tout en couleur des invités : Loïs le Van (voix), Laurent Derache (accordéon), Sébastien Liado (trombone), Anissa Nehari (percussion) =>

ATOLL une couleur de voix et de forme assez scandinave,
L’HIVER … texte en français sur une une introduction planante, un tantinet Michel Legrand avec son beau solo d’accordéon à la touche so frenchie,
DUST … belle atmosphère en suspension évolutive rehaussé d’un beau solo de guitare,
DE L’AUTRE COTÉ DU SILENCE ambiance orientale avec une mélodie – texte en français – doublée comme au rebec … un solo de violon en écho avec des percussions moyen-orientales et improvisations mélismatiques,
LITTLE CLOUD … atmosphère à la Jean-Luc Ponty et Mike Stern,
TOMOROW RIOTS … complémentarité entre trombone solo et ostinato très ambiance,
CONVERGENCE … beau solo de violoncelle.

La jeune génération et leurs projets voient grand tant leur nombre ne cesse de croitre tels les Thierry Maillard, The Very Big Experimental Toubifri Orchestra, le Sacre du Tympan, RadiationX, Warning (Carmen Lefrançois), etc. Soutenons-les avec passion et saluons le retour de ces albums-concept aux prismes poétiques multipolaires !

Côté parité, cakes efforts restent à faire, sur treize musiciens deux femmes, hum… à suivre et à poursuivre.

Sans aucun doute, cet album ravira les meilleures scènes nationales et internationales ! Bravo AAA+++.


Patrick-Astrid Defossez