SUPERNOVA 4 – UNICUM

JEAN DEROME : Flûtes, Saxophones, compositions

FELIX STÜSSI : Piano, compositions

NORMAND GUILBEAULT : Contrebasse

PIERRE TANGUAY : Batterie

Notre ami Alain Bédard * a mis en boîte et nous propose le second album de ce quartet de luxe que l’on retrouve avec grand plaisir, gourmandise et curiosité : toujours aussi passionnant ? Ouiii !

Les 4 sont bien rodés, techniciens virtuoses, au top de leur talent, ils (se) jouent 11 compositions, très léchées, chantantes, exigeantes, bourrées de swing, d’humour et de modernisme éclairé.

Capté en public, l’enregistrement restitue l’écoute attentive et l’univers débordant de créativité de chacun des éléments de ce bel ensemble, dont le premier opus est largement encensé des deux côtés de l’Atlantique. Pas de doute, celui-ci devrait rencontrer la même reconnaissance légitime, la navette spatiale avançant de plus en plus loin dans la qualité des chansons et du jeu intègre du groupe qui a encore bien d’histoires épatantes à nous conter…

Ces ‘vieux’ briscards jouent comme des gosses qui découvrent de nouveaux joujoux qu’ils ont démonté pour voir comment ça marche, remonté à leur façon pour se les approprier et les faire aussi bien fonctionner que ceux de leur copains de jeu… et se les échanger, le temps de percer les secrets des différents montages inventés par les autres, et pressentir les innovations et surprises qui ne vont pas manquer de surgir.

11 titres bien distincts qui s’enchaînent en toute logique dans la même joie de jouer, de vivre, juste d’être là, et de chercher le beau à chaque coin de note, de phrase, de proposition qui seront soutenues par les 6 autres mains (et pieds) qui ne restent jamais longtemps vacantes, respectant cependant les moments de silence indispensables à la respiration des développements. 11 morceaux qui racontent toute l’histoire du jazz, du blues et dixieland débridé jusqu’aux tempi modernes libertaires, avec une bonne dose de swing et de sentiments qui réjouissent et chavirent le cœur et l’esprit. Pour se faire, ils connaissent le chemin dont pas un buisson, pas un caillou ne leur est étranger, ils en profitent pour se (nous) balader dans leur voyage entre le temps et l’espace avec des écarts, des entre-chats, des fou-rires, des pauses pour apprécier un reflet de soleil, une fleur éclatante de lumière, un ruisseau limpide…

Ce nouveau chapitre de l’épopée de ‘l’étoile éphémère’ s’ouvre avec le cri d’un empereur hongrois guéri de ses tourments gastrique par une médecine « Unicum » (unique) ! Composé par le pianiste en tournée à Budapest, il résume l’ambiance du disque : le piano virevolte sur des accords nouveaux qui empruntent autant au be-bop qu’au jazz actuel avec de larges bouts de swing et de blues dedans, picorant le florilège des balises jazzistiques qui ont nourrit le compositeur-pianiste tout au long de son travail. On retrouve dans son jeu tout ce qui a fait la force, l’originalité et la passion de cette musique depuis plus d’un siècle, passant d’une émotion à l’autre, de la gaîté, du partage, de la concentration et du lâcher-prise, lyrisme et attention étendue… Appuyé d’une section rythmique au cordeau, en phase avec la mélodie, loin des walking et chabada classiques, (même si quelques réminiscences apparaissent ça et là) mais avec une présence indéfectueuse pleine d’élan pertinent, des idées bien personnelles qui s’imposent en logique tout en créant, parfois, la surprise. Quelques chorus de contrebasse qui aèrent le discours général et un battement discret ou en force lorsque nécessaire pour alimenter la flamme, moteur de la machine qui s’arrache de l’attraction du connu et impose sa propre direction vers des galaxies choisies. Et là-dessus, des souffles de toutes les couleurs, multiples instruments à vents parfaitement maîtrisés, puisant dans le passé les bases annonçant la musique de demain, sans référence implicites, laissant place à une inventivité dégagée d’attaches et de lourdeur, tantôt joyeux, réfléchis, avec humour ou mélancolie d’époques bientôt oubliées, du mystère, des relents de blues, de bop cuisiné maison et une large palette de sentiments sincères qui touchent le cœur et l’âme.

On continue la route avec des balades attachantes, des accélérations qui s’emballent où l’on se perd dans un dédale de notes, un jaillissement de fulgurances contrôlées, un fouillis malicieux parfaitement orchestré… Des clins d’œil vers le romantisme généreux de Shepp, ou la (dé)marche irrégulière et transversale de Monk, une échappée réussie dans un monde plus contemporain, entre dodécaphonie écrite et improvisations à la volée…

Superbe traversée onirique à partir du tronc commun à toutes musiques actuelles, avec des moments d’équilibre précaire sur des branches inexplorées et des découvertes de joyaux brillants et envoûtants de couleurs et de saveurs…

Une belle réussite !

* Alain Bédard, directeur de « Effendi », et néanmoins contrebassiste dont nous attendons avec impatience la sortie du nouvel opus de l’« Auguste Quartet »…

Chez : EFFENDI Records

Par : Alain Fleche

https://www.effendirecords.com