Le Lady Quartet de Rhoda Scott au Festival Jazz et Garonne de Marmande, l’occasion était trop belle pour rater une interview de cette grande Dame du jazz et des ses partenaires de scène depuis déjà 18 ans ! Et oui c’était en juillet 2004 au Festival Jazz à Vienne. On s’est ainsi retrouvés à discuter autour d’une table avec Rhoda, Julie Saury, Sophie Alour et Lisa Cat-Berro. Une ambiance détendue, beaucoup de rires, j’ai connu pire.

Action Jazz : merci Rhoda, merci mesdames de nous accorder du temps. Rhoda on ne va pas passer en revue votre carrière on y serait pour la semaine, on va simplement parler de ce Lady Quartet et de son développement en Lady All Stars. Alors rappelez-nous comment cela a démarré.

Rhoda Scott : en 2004 Jean-Pierre Vignola (directeur artistique du festival Jazz à Vienne) m’a téléphoné : il faut que tu viennes au festival avec un quartet de femmes pour la Ladies Night car Abbey Lincoln a annulé pour raison de santé. J’ai dit mais comment je vais faire ? Je ne connais pas de musiciennes en France et pas tellement aux Etats-Unis non plus ! Moi j’en connais a dit Jean-Pierre, je vais te mettre en rapport. Alors on s’est téléphoné, on s’est donné rendez-vous. Il y avait Julie Saury, Sophie Alour et Airelle Besson. On s’est vu dans un petit studio avec un piano.

Julie Saury : c’était à l’IACP à Paris

Sophie Alour : il n’y avait pas d’orgue.

Lisa Cat Berro : il n’y avait pas d’orgue ?!

SA: c’était la seule répétition avant le concert à Vienne !

RS : on s’est fixé un répertoire et puis on est allées en face au bistrot pour boire un coup et discuter. Et on a fait ce concert . On était présentées par Dee Dee Brigewater qui venait de perdre tous ses cheveux. Je me souviens, elle avait un bob sur la tête.

JS : ces détails dont tu te souviens !

RS : elle avait les larmes aux yeux quand elle m’a parlé après le concert, elle m’a pris le bras : il faut que tu continues, je n’ai jamais ressenti ça ! Après je pense que le premier contrat qu’on ait eu était Monségur en juillet 2005

JS : je me souviens de cette date, il y a une vidéo sur You Tube, on dirait qu’on a 12 ans

AJ : est-ce que vous êtes consciente que vous avez créé une vitrine du jazz féminin de qualité en France ? Parce que ça n’existait pas, mais ce n’était pas un coup prévu.

RS : c’est le hasard mais je ne vois pas ça comme ça car toutes ces musiciennes étaient déjà sur une montée incontournable, chacune avait déjà fait sa réputation de bonne musicienne, le fait que je ne les connaissais pas ne voulait rien dire.

AJ : mais la notoriété de Rhoda a rejailli sur vous ?

LCB : elles avaient déjà leurs carrières bien lancées mais c’était surtout l’occasion de se rassembler

AJ : j’évoque le fait qu’à cette époque déjà Rhoda était, elle, connue du grand public

SA : j’avais compris que vous parliez de maintenant que c’était toujours une vitrine.

AJ : ah non à l’époque, maintenant on est passé au delà de ça.

SA : ça a permis de flécher les filles qui jouaient du jazz, c’est vrai qu’on avait pas cette opportunité de jouer sur la scène de Vienne sans Rhoda. C’est sûr qu’on a bénéficié de son aura.

JS : ça nous a permis de connaître plein d’autres femmes musiciennes, on se connaissait entre nous mais en allant creuser à droite à gauche pour des remplacements on a fait de chouettes rencontres. Et à l’époque il n’y avait pas les réseaux sociaux ! Il fallait sortir, utiliser le bouche à oreille !

AJ : partout où vous passez vous avez un succès incroyable

LCB : c’est vrai ! (Rires)

AJ : c’est vrai, ne soyez pas modestes ! Votre musique passe très vite au dessus de votre succès de curiosité qu’il y a pu avoir à un moment.

RS : les gens quand ils assistent au concert se rendent compte que ce n’est pas pour faire une vitrine, que ce sont des musiciennes qui jouent sérieusement

AJ c’est ce que j’ai dit plusieurs fois dans des articles, on ferme les yeux et on entend du jazz, pas des femmes qui jouent du jazz. Vous avez l’air de bien vous amuser sur scène.

LCB : oui, on se fait beaucoup de blagues en off !

AJ : et en dehors de la scène comme ça se passe ?

JS : on peut pas se blairer en fait ! (Eclats de rire)

SA : c’est tellement compliqué de s’interrompre de parler que parfois la conversation se poursuit jusqu’au moment où on rentre sur scène. A partir du moment où on se voit, on parle. Ca nous est arrivé de rater des arrêts de train !

AJ : mais ce sont des stéréotypes féminins que vous me racontez là ! (Rires)

JS : moi je connais des gars qui font pareil, ce n’est pas une exclusivité féminine, pas du tout ! Mais c’est vrai qu’on se connait depuis longtemps, le Lady va bientôt féter ses 20 ans, toi Lisa tu es là depuis une quinzaine d’années, alors il y a une forte dimension amicale, conviviale et même intime.

AJ : pendant cette déjà longue période il y a eu beaucoup de récompenses pour les musiciennes, des Victoires du Jazz et ainsi vous êtes de venues des stars d’où le Lady All Stars ?

RS : Exactement.

AJ : ce Lady All Stars, c’était pour élargir la musique ou élargir l’équipe ?

RS : encore une fois ce n’est pas une idée à moi, c’est une idée de mon agent. Puisque j’allais avoir 80 ans et comme on avait eu tellement de fois des remplaçantes qui sont devenues une partie du groupe, Géraldine Laurent, Anne Paceo, Céline Bonnacina, il m’a dit qu’il fallait faire une tournée et mettre tout le monde ensemble.

AJ : quelle belle idée !

RS : j’ai dit OK ! Mon seul mérite, qui est un défaut, c’est que je ne sais pas dire non.

AJ : vous avez bien fait de ne pas dire non ! Qui décide des compositions ?

LCB : tout le monde a amené au moins un morceau, ça a vite rempli un répertoire.

JA : on était parti de cette idée qu’il devait y avoir au moins une compo de chacune

AJ : Julie m’a dit hier qu’elle composait mais sous la menace

JS : oui certaines sont plus prolifiques, Lisa, Rhoda, Sophie a même composé un tube « I wanna move »

AJ : alors après le quartet, le All stars vers quoi se dirige-t-on ? Un big band ? J’ai quelques amies ou connaissances trombonistes qui n’attendent que ça !

RS : souvent je vois des musiciennes qui me disent : si vous cherchez une musicienne, une chanteuse moi je suis prête. Je plaisante mais nous sommes huit parce qu’on a incorporé toutes les remplaçantes, mais maintenant arrivent de nouvelles remplaçantes, des remplaçantes de remplaçantes, ça commence à grossir. On peut faire avec trois batteuses…

AJ : mais par contre Rhoda vous êtes irremplaçable vous !

RS : oui !! (éclats de rire)

AJ : on va maintenant vous laisser tranquille avant le concert de ce soir au Théâtre Comoedia, c’était un grand honneur et un grand bonheur de passer ce moment avec vous toutes.

Propos recueillis au festival Jazz et Garonne le 15 octobre 2022 par Philippe Desmond ; photos Philippe Marzat.